La décision de Russie de procéder à des opérations aériennes en Syrie a surpris tous les commentateurs par la rapidité de son déclenchement.
L’intervention historique du président russe à l’Assemblée générale de l’ONU, intervention qui s’inscrit historiquement dans la foulée de celle de Munich en 2007, ne laissait pourtant que peu de doutes à ce sujet, le président russe y affirmant clairement la nécessité de « fournir une aide tous azimuts au gouvernement syrien légal ».
Pendant que les États occidentaux campaient sur leurs positions, souhaitant un nécessaire départ d’Assad, Moscou entamait ses premières frappes sur le territoire syrien, prenant vraisemblablement de court tant les services secrets américains que français sur la dimension du dispositif russe en Syrie et la détermination du Kremlin à soutenir l’État syrien. Un comble alors que la presse française depuis maintenant trois ans ne cesse de nous rabâcher que le Kremlin s’apprêtait à « lâcher Assad ».
Au passage, l’ambassade américaine en Syrie a confirmé avoir reçu une requête des autorités russes pour qu’aucun avion américain ou de la coalition ne survole le territoire syrien. Pour ceux qui avaient des doutes, ces trois derniers jours ont confirmé que quand Poutine dit quelque chose, il le fait, mais aussi et surtout que la Russie, qui au cours des dernières années a confirmé son statut de puissance régionale, confirme également son statut de puissance internationale.
Dès le discours de Vladimir Poutine et « avant » même les premières frappes, les réseaux sociaux ont été submergés de témoignages et photos affirmant que les frappes russes seraient dirigées contre les rebelles modérés et non contre Daech, ou encore qu’elles auraient touché les populations civiles. Moins d’une heure après les frappes, des tweets sont apparus pour dénoncer la mort de civils. Comme on peut le constater ici ou encore là, de nombreuses photos sont utilisées pour dénoncer les frappes russes alors qu’elles ont été utilisées au préalable ailleurs. Il est intéressant de noter que dans cette offensive médiatique, l’ONG White Helmets, qui se présente comme humanitaire, est à la pointe de l’action. À ce titre, Twitter regorge de témoignages et photos qui semblent tendre vers une collaboration réelle sur le terrain entre cette soi-disant ONG et les mouvements radicaux notamment le Front Al-Nosra, comme on peut le constater par exemple ici, là ou encore là.
Cette guerre de l’information a visiblement contaminé tant le ministère des Affaires étrangères Français que nos spécialistes nationaux, qui se sont levés d’une seule voix pour affirmer que la Russie ne frappait que l’opposition modérée et non Daech. Dans une déclaration commune, les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Royaume-Uni ont demandé à la Russie de cesser de viser l’opposition modérée tandis que l’Arabie Saoudite a exigé de la Russie qu’elle cesse purement et simplement son opération militaire.
Peu de temps après ces manipulations médiatiques, c’est le porte-parole de l’ONU en personne qui s’est excusé et s’est vu contraint de démentir l’authenticité des récentes déclarations de l’organisation en confirmant avoir été désinformé par des ONG de terrain tel que notamment les White Helmets.
Pas de chance, après avoir affirmé que la Russie ne s’en prenait pas à Daech, les centres occidentaux ont été contraints de revoir leur copie lorsque la Russie s’est mise à frapper l’EI au cœur de son sanctuaire : au sein de la région de Raqqa. Paris et Washington sont désormais contraints de changer leur logiciel narratif et de demander la Russie de ne frapper « que » l’EI, oubliant ainsi la nébuleuse islamiste comprenant le front Al-Nosra (la variante syrienne d’Al-Qaïda) ou encore l’Armée du Salut, qui s’est fortement implantée dans la zone d’Idlib et comprend de nombreux mercenaires turkmènes. Ces groupes radicaux (Al-Qaïda !) ne doivent-ils pas être combattus par la Russie ?
Pour la petite histoire et sur le thème des opposants modérés, j’incite les lecteurs de Sputnik à consulter cet article qui résume l’épopée (il n’y a pas d’autres mots) de l’armée mexicaine des États-Unis en Syrie. Un échec tel que Washington vient d’affirmer cesser (provisoirement ?) son programme de formation de rebelles soi-disant modérés.
On ne sait trop si c’est une forte incompétence, une mauvaise foi insensée ou un manque de courage qui ronge les diplomaties occidentales… Le cas de la France est sans doute pour les Français le plus préoccupant. En décembre 2012, notre ministre des Affaires étrangères affirmait que les jours d’Assad étaient comptés et rappelait les grands principes du droit international : « Il ne peut pas y avoir d’intervention militaire (en Syrie) s’il n’y a pas une décision internationale légale. »
On peut ainsi mesurer, en 36 mois, l’absence totale de visibilité de la France dans ce dossier. On pourrait en rire si ce n’était tragique.
Par conséquent, sans trop de surprises au vu de l’occupation territoriale par les différents acteurs présents sur le territoire syrien, la première vague de frappes russes a visé le contour est et nord-est de la bande côtière sous contrôle de l’État, pour sécuriser les grands axes permettant de relier la capitale et l’Alaouitistan côtier. Il est du reste intéressant qu’après un an de bombardement de cette gigantesque coalition qui s’en est soi-disant pris au terrorisme en Syrie, celui-ci n’ait cessé de croître, les groupes radicaux prenant le contrôle de 60% du territoire contre 30% il y a un an. Pour Alexey Pushkov, président de la commission des Affaires étrangères à la Douma russe, la coalition n’a « volontairement pas bombardé l’EI depuis un an mais s’est contentée de bombarder le désert vide ».
Il est difficile de dire ce qui devrait se passer en Syrie.
Les opérations militaires russes devraient durer selon les dernières informations publiées par la partie russe au minimum trois à quatre mois et sensiblement s’intensifier. Des troupes au sol ne seraient pas envisagées à ce jour, bien que selon le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem, les frappes aériennes menées sans coordination avec l’armée régulière sont insuffisantes pour venir à bout des groupes terroristes opérant dans le pays. Le message est-il adressé à la Russie ou à l’Iran ? Peut-on imaginer un scénario rocambolesque qui verrait l’armée iranienne lancer une offensive terrestre contre Daech en binôme avec un soutien tactique, logistique et aérien russe ?
En Syrie, les troupes russes devraient vraisemblablement concentrer leurs frappes sur quatre grandes zones :
La province d’Idlib, aux mains d’Al-Qaïda et de l’Armée du Salut, pour éviter que ces groupes ne s’approchent de la côte zone côtière de Lattaquié d’où est originaire la minorité alaouite et où sont installées les bases russes ;
La zone au nord et à l’est d’Alep pour libérer la ville de la pression de l’EI, permettre aux loyalistes de se concentrer sur la reprise des parties de la ville qui leur échappent et surtout briser la dynamique en cours à la frontière turco-syrienne, d’où des centaines de combattants s’infiltrent en Syrie ;
Le sud-est d’Homs et la zone de Palmyre pour sécuriser les grands axes Sud-Nord et Est-Ouest, et tenter de désenclaver la ville de Deir-El-Zor ;
La bande territoriale du nord-est du pays, autour de Raqqa, qui est considéré comme le fief de Daech.
La surveillance aérienne de l’aviation russe devrait permettre d’éviter que ne se reproduise un scénario à la Palmyre, où des centaines de combattants de l’EI avaient pu traverser le désert de Syrie pourtant surveillé par la coalition internationale pour prendre la ville aux forces d’Assad en coupant ainsi un axe vital pour le régime et menacer ce trésor de l’humanité. Dans le même temps, les forces russes pourraient (et devraient) intervenir en Irak également, avec sans doute l’objectif de détruire les connexions terrestres entre les deux pays.
Signe des temps, pendant que la Russie combat l’EI sur le terrain, l’OTAN lance ses plus importantes manœuvres militaires en dix ans en Europe, en y incluant ses « partenaires », tels que l’Ukraine en faillite.
Washington ne se trompe-t-il pas, une fois de plus, d’ennemi ?