Dans son discours « historique » de Prague en 2009, le président Obama déclarait que les États-Unis feraient des pas concrets vers un monde sans armes nucléaires, en renforçant le traité de non-prolifération. Mais Obama a maintenant opéré un « virage nucléaire à 180° » : c’est ce qu’écrit le journal britannique Guardian, en fournissant d’importants détails.
Le nouveau plan nucléaire
Dans le sillage du discours d’Obama, l’Allemagne et d’autres pays européens de l’Otan (Belgique, Luxembourg, Norvège et Pays-Bas) avaient proposé le retrait des armes nucléaires étasuniennes d’Europe, devenues inutiles après la fin de la guerre froide. Mais certains Etats de l’Est, récemment entrés dans l’Otan, ont bloqué la proposition, avec l’argument (à coup sûr « suggéré » par Washington) que cela affaiblirait l’engagement des USA à « les défendre contre la Russie ».
C’est ainsi que sont restées dans quatre pays européens de l’Otan – Allemagne, Italie, Belgique et Pays-Bas – et en Turquie environ 200 bombes nucléaires tactiques (avec une portée inférieure à 5 500 km) de type B61. Comme nous l’avons toujours soutenu dans Il Manifesto, il ne s’agit pas de résidus de la guerre froide, mais d’armes nucléaires maintenues en efficience et prêtes à être modernisées. Ce que confirme le nouveau plan : les États-Unis dépenseront 11 milliards de dollars pour moderniser ces bombes nucléaires.
Les B61 seront transformées de bombes à chute libre en bombes à guidage de précision : grâce à une nouvelle section de queue elles seront guidées sur l’objectif par un système satellitaire, probablement intégré par un laser. Elles pourront ainsi être larguées à grande distance de l’objectif (plus de 80 km). Les nouvelles bombes nucléaires à guidage de précision, chacune d’une puissance de 50 kilotonnes (environ quatre fois la bombe de Hiroshima), seront particulièrement adaptées aux nouveaux chasseurs F-35, projetés pour pénétrer à travers les défenses ennemies.
L’Italie, base de la stratégie nucléaire des États-Unis
Selon une estimation basse, il y a en Italie entre 70 et 90 bombes nucléaires étasuniennes, stockées à Aviano [province de Pordenone, région Frioul-Vénétie-Julie, NdT] et à Ghedi Torre (Brescia). Mais elles pourraient être beaucoup plus nombreuses et stockées aussi dans d’autres sites. On connaît moins encore le nombre d’armes nucléaires qui sont à bord des unités de la Sixième Flotte et d’autres navires de guerre qui jettent l’ancre dans nos ports.
Le déploiement des armes nucléaires étasuniennes en Europe est en effet régulé par des accords secrets, que les gouvernements n’ont jamais soumis à leurs parlements respectifs. L’accord qui régule le déploiement des armes nucléaires en Italie stipule le principe de « double clé », c’est-à-dire prévoit qu’une partie de ces armes peut être utilisée par les forces armées italiennes sous commandement étasunien. À cet effet – révèle le rapport US Nuclear Weapons in Europe, publié par le Natural Resources Defense Council – des pilotes italiens sont entraînés à l’utilisation des bombes nucléaires dans les polygones de Capo Frasca [Oristano, Sardaigne, NdT] et Maniago II (Pordenone).
L’Italie, faisant partie avec les USA du « Groupe de planification nucléaire » de l’Otan, viole ainsi le Traité de non-prolifération des armes nucléaires. De plus, en 1999, le premier ministre D’Alema (aujourd’hui candidat au ministère des Affaires étrangères) souscrit, sans le soumettre au parlement, un accord sur la « planification nucléaire collective » de l’Otan qui stipule que « l’Alliance conservera des forces nucléaires adéquates en Europe ».
La dangerosité de l’arsenal nucléaire en Italie consiste non seulement dans le nombre d’engins déposés ici, mais dans le fait que notre pays se trouve accroché à la dangereuse stratégie étasunienne. Sont actuellement en phase de réalisation des bombes nucléaires en mesure de pénétrer dans la terre et de détruire les bunkers de centres de commandement, pour « décapiter » le pays ennemi par un first strike, une attaque nucléaire par surprise.
Qui sait si, après avoir à l’unanimité exclu la politique étrangère du débat politique, les partis auront quelque réaction en apprenant la nouvelle de la modernisation de l’arsenal nucléaire étasunien en Italie. Les porte-parole du Mouvement 5 étoiles demanderont-ils des explications à l’ambassadeur étasunien David Thorne, leur soutien, en transmettant peut-être les réponses en streaming [en continu, Ndt] ?
Où sont et combien y a-t-il de bombes nucléaires en Italie ?
Selon ce qu’on a appris, jusqu’à 90 bombes nucléaires étasuniennes sont stockées à Aviano et à Ghedi Torre. Il pourrait cependant y en avoir davantage. Il n’est de fait pas exclu que les 24 bombes ramenées en 2001 de la base d’Araxos, à la demande du gouvernement grec, aient été transférées à Aviano dont la capacité est de 72 bombes, le double par rapport à celle des autres bases européennes. Ghedi Torre, dont la capacité s’avère être de 44 bombes, est par contre quasiment au complet : de fait, quand en 1993 la base de Rimini a été désactivée, les bombes nucléaires qui y étaient stockées ont été transférées à Ghedi.
La 31st Fighter Wing, l’escadrille de chasseurs-bombardiers étasuniens F-16 déployée à Aviano, est prête à l’attaque nucléaire 24 heures sur 24. En même temps, des Tornado italiens sont prêts à être armés de bombes nucléaires stockées à Ghedi Torre.
Comme la politique de l’US Air Force est de regrouper les rames nucléaires dans moins de localités géographiques, de nombreux experts pensent que les localités les plus probables pour ce déploiement sont Aviano, dont la capacité pourrait être amplifiée, et Incirlik en Turquie. On présuppose que le gouvernement italien a déjà donné secrètement son consensus pour regrouper à Aviano, et peut-être aussi dans un autre site, des bombes nucléaires ramenées d’autres bases européennes.
Manli Dinucci et Tommaso di Francesco
Source : Il Manifesto, mardi 23 avril 2013
Traduction de l’italien : Marie-Ange Patrizio