« La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire […] pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. […] Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre […]. »
Traité de Lisbonne, titre VII, article 72 (7)
Le texte qui suit nous vient d’Allemagne. Là-bas, beaucoup de personnes sont manifestement tout à fait conscientes de ce que l’UE n’est ni un projet de paix ni une structure axée sur les idées de liberté, d’Etat de droit et de démocratie. Et la majorité des Allemands préférerait sortir le plus vite possible de l’UE et passer d’une oligarchie des partis et d’un centralisme bureaucratique à une démocratie directe. On a peine à imaginer que certains veuillent faire l’inverse.
La peine de mort est-elle définitivement abolie en Allemagne, comme le stipule la Loi fondamentale ou va-t-elle faire son retour ?
La Loi fondamentale permet aux soldats de tuer uniquement pour se défendre. Mais depuis la réunification, ce principe a été assoupli. Depuis, l’Allemagne participe activement à la lutte armée contre les « voyous », les « pirates », les « terroristes », les « islamistes » : elle ne se contente pas de les priver de leur pouvoir de nuisance, elle leur ôte la vie. Pendant la guerre en Yougoslavie, l’Armée de l’air a bombardé un pays non-aligné ; maintenant, la Marine lutte contre les « pirates » au large de la Somalie et des troupes terrestres ont pris position en Afghanistan : l’Unité des forces spéciales (KSK) s’exerce à tuer de manière ciblée. D’autres cibles sont envisagées. Des soldats de la Bundeswehr sont en train d’apprendre le persan parlé en Iran, pays riche en pétrole.
Les intérêts que défend le pouvoir militaire n’ont pas fondamentalement changé depuis les guerres mondiales déclenchées par l’Allemagne au siècle passé. En1940, dans un document du Service géologique impérial, on pouvait lire : « Il est absolument nécessaire de s’emparer des réserves pétrolières du Proche-Orient pour assurer l’approvisionnement de l’Europe. » En 1993, Klaus Naumann, inspecteur général de la Bundeswehr et promoteur des engagements militaires contraires au droit international – « pour défendre les intérêts allemands » – déclarait de manière lapidaire : « Il existe au monde deux monnaies : le pouvoir économique et les moyens militaires pour l’imposer. » Quand quelqu’un nourrit à ce point imprégné des ambitions traditionnelles de grande puissance, il ne pense pas qu’il y a une troisième « monnaie », la raison économique, celle que pratique la Chine, par exemple, dans ses accords commerciaux qui présentent des avantages pour les deux parties et respectent le droit international.
Ce qu’a déclaré Horst Köhler, de manière un peu alambiquée, au retour de son dernier voyage présidentiel en Afghanistan, n’avait rien d’extraordinaire ; c’était depuis longtemps assez évident : « J’estime cependant que d’une manière générale, nous sommes en train, et avec nous toute la société, de comprendre qu’un pays de l’importance de l’Allemagne, avec sa conception du commerce extérieur et sa dépendance par rapport à cela, doit savoir qu’en cas de doute, et au besoin, les engagements militaires sont nécessaires pour sauvegarder nos intérêts, par exemple assurer la liberté des voies commerciales, par exemple empêcher des instabilités régionales qui réduiront certainement nos chances en matière de commerce, d’emplois et de revenus. »
La transformation de la Bundeswehr d’une armée défensive destinée à la protection de la population en une armée soumise à l’économie et prête à intervenir dans le monde entier ne traduit pas toute la vérité. La Bundeswehr prévoit également d’intervenir à l’intérieur du pays dans un but dont les militaires et les politiques en charge de la Défense préfèrent ne pas parler, celui de protéger les riches et les grands groupes fraudeurs du fisc contre la population qui, elle, paie ses impôts. En effet, la peine de mort et le fait de tuer en cas d’« insurrection » et d’« émeute » permettent de se défendre efficacement contre une population qui n’est plus disposée à tout accepter.
Dans les « explications » relatives à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui ont été formulées sous la présidence de la Convention chargée de l’élaboration de la Charte et actualisées sous la responsabilité de la présidence de la Convention européenne, on peut lire ceci à propos de l’article sur le « droit à la vie » : « La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire […] pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. […] Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre […]. » Ces formulations « négatives » doivent être considérées comme faisant partie de la Charte. Conformément au titre VII, art. 72 (7) du Traité de Lisbonne, les explications, rédigées pour faciliter l’interprétation de la Charte, doivent être dûment prises en compte par les tribunaux de l’Union européenne et les Etats membres. On constate ici une nette contradiction avec l’abolition de la peine de mort garantie à l’article 102 de la Loi fondamentale et avec le Protocole no 13 du 3 mai 2002 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances (Conseil de l’Europe).
Pour tromper l’opinion, les explications sur la Charte, qui figuraient encore dans la version refusée du Traité établissant une Loi fondamentale pour l’Europe, ont disparu du Traité de Lisbonne. On les trouve dans le Journal officiel de l’Union européenne du 14 décembre 2007. L’ancien vice-président de la Convention constituante de l’Union européenne Giuliano Amato a déclaré, en juin 2007, que les chefs de gouvernement étaient tombés d’accord pour rendre le texte difficile à lire afin que les réformes fondamentales ne sautent pas aux yeux et que l’on évite la demande de référendum dans les Etats membres (communication de la députée européenne Sahra Wagenknecht dans le magazine marx21 du 21 septembre 2007).
Dans la plainte déposée auprès de la Cour constitutionnelle allemande, par laquelle le député au Bundestag Peter Gauweiler (CSU) voulait faire constater que le Traité de Lisbonne était incompatible avec la Constitution allemande, son mandataire, le professeur Karl Albrecht Schachtschneider expliquait qu’« on peut voir des émeutes et des insurrections également dans certaines manifestations ». Selon le Traité de Lisbonne, l’utilisation d’armes à feu mortelles dans de telles situations ne serait pas une violation du droit à la vie. En outre, les autorisations de l’Union européenne dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune suffiraient pour introduire la peine de mort dans l’intérêt de l’efficacité des missions ou de la défense. [Il s’agit ici de la liste de « missions » européennes conformément aux articles 42, 43 et 222 du Traité de l’Union européenne, nda] Si par exemple le Conseil européen faisait usage de l’autorisation de fixer des dispositions d’application, ni le Parlement européen ni les parlements nationaux seraient impliqués.
La Cour constitutionnelle allemande a renoncé à examiner l’anticonstitutionnalité de ces droits de l’homme négatifs car, sinon, le Traité de Lisbonne, avec ses graves déficits démocratiques et le traitement de faveur accordé aux puissances financières et économiques, n’aurait plus été défendable. On a trouvé un artifice permettant de réduire un tant soit peu la mise à l’écart des parlements nationaux, c’est-à-dire une loi d’accompagnement européenne. Cette loi, maintenant promulguée, doit entre autres empêcher que le Conseil européen soit seul à décider d’un engagement de la Bundeswehr. Le représentant allemand au Conseil européen doit auparavant demander l’accord du Bundestag. Dans leur déclaration sur l’adoption du Traité de Lisbonne, les gouvernements des pays concernés ont, au point 17, insisté sur la primauté du droit communautaire, mais l’artifice a été efficace : La Cour constitutionnelle allemande a déclaré le Traité conforme à la Loi fondamentale.