Dans le nord du Mali, nous récoltons aujourd’hui les fruits de cette erreur politique majeure que fut notre ingérence dans la guerre civile libyenne. Tout y a en effet commencé au mois de janvier 2012, quand, de retour de Libye, les Touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), culbutèrent l’armée malienne avant de proclamer l’indépendance de la région.
Profitant de l’aubaine, les islamistes d’Al-Qaïda et ses diverticules régionaux se joignirent au mouvement, mais avec des objectifs totalement différents puisqu’ils prônent la création d’un califat transnational, rêvant de faire du Sahel un nouvel Afghanistan. Dans un premier temps ces groupes islamistes nouèrent des alliances de circonstance avec certaines fractions touaregs, ce qui leur permit d’étendre leur zone d’influence ; puis, ils les doublèrent avant de les chasser de Tombouctou, de Gao et du fleuve Niger, les repoussant vers la frontière algérienne, dans le nord de la région de Kidal.
Maîtres de Tombouctou, les miliciens islamistes ont alors entrepris d’y purifier l’islam en luttant contre le culte des saints qu’ils considèrent comme une résurgence ou une survivance du paganisme. A Tombouctou, la population va en effet prier autour des tombeaux de ces saints pour leur demander la guérison ou la réussite. Pour éradiquer cette forme d’idolâtrie, les islamistes ont donc entrepris de raser les tombeaux, Allah, dieu unique méritant seul prière et invocation, interdisant de demander à d’autres ce qui ne relève que de Lui.
Pour nous, Européens qui devons veiller sur notre arrière-cour saharo sahélienne, la question est claire : pouvons-nous laisser pourrir une situation qui pourrait avoir pour résultat la coagulation de plusieurs foyers régionaux de déstabilisation situés dans le nord du Nigeria avec la secte fondamentaliste Boko Haram, dans la région du Sahara nord occidental avec AQMI et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens avec le Polisario ? Pouvons-nous laisser se développer un califat fondamentaliste en zone sahélienne ?
Numériquement les islamistes ne sont qu’une poignée, entre 300 et 500 combattants fortement armés grâce au pillage des arsenaux libyens et ils détiennent des otages européens et algériens.
Ceci étant, la solution n’est pas que militaire, tout règlement en profondeur étant politique, mais le problème est que sa prise en compte conduit à une profonde remise en question des dogmes auxquels nous sommes attachés. Il nous faudrait ainsi reconnaître enfin que vouloir faire vivre dans un même État les agriculteurs noirs sédentaires du Sud et les nomades berbères ou arabes du Nord est une utopie profondément crisogène puisque la démocratie africaine étant d’abord une ethno-mathématique, elle donne automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les Noirs sudistes, ce que les nordistes ne peuvent accepter.
Cette évidence étant admise il conviendra alors d’aller plus avant dans la connaissance des réalités ethnographiques locales qui sont particulièrement complexes. Les Touaregs ne sont ainsi pas les seuls habitants de l’ouest saharien, immense région aux caractéristiques géographiques et humaines très contrastées abritant plusieurs grandes populations aux territoires relativement bien identifiés :
- Les Touaregs, qui sont des Berbères, vivent dans le Sahara central ;
- Les Chaamba, qui sont des Arabes se rattachant au rameau des Beni Sulaym, ont pour cœur territorial l’oasis de Timimoun en Algérie ;
- Les Reguibat, eux aussi Arabes et qui revendiquent une filiation idrisside, nomadisent entre la Mauritanie et le Sahara occidental ;
- Les Maures, dont la composante blanche est également arabe puisqu’elle se rattache aux tribus hilaliennes (de Beni Hilal), sont installés en Mauritanie ;
- Les Songhay, Peuls et certains Touaregs vivent dans la région du fleuve Niger.
Il serait de plus illusoire de vouloir créer un État de l’Azawad qui ne prendrait pas en compte le fait que ces populations ont toujours été en conflit. Au moment de la poussée coloniale, les Chaamba furent ainsi les efficaces auxiliaires des Français qui butaient alors sur le bastion touareg. Aujourd’hui, AQMI prospère essentiellement chez certains Arabes sahariens, pas chez les Touaregs, à quelques exceptions près liées à des clivages internes à certains sous clans. Quant aux populations mélangées du fleuve, elles ont toujours vécu dans la hantise des incursions venues du désert.
L’option de sortie de crise pourrait être celle d’une très large autonomie des trois Azawad autour de ses trois grandes composantes ethno géographiques à savoir : la partie sud, le long du Niger, notamment peuplée par des Songhay et des Peul ; la partie nord, ou cœur de l’Azawad, territoire des Touaregs et l’ouest saharien « arabe ».
Mais avant toutes choses il serait nécessaire de convaincre Bamako que le Mali « unitaire » n’existera jamais plus -il n’a d’ailleurs jamais existé-, et qu’il est donc urgent de penser à une nouvelle organisation constitutionnelle et territoriale qui permettrait de faire revenir les Touaregs sur leur déclaration unilatérale d’indépendance. Toute autre approche serait vouée à l’échec.