« Il sera très difficile de revenir en arrière » sur la réforme du collège après sa mise en œuvre à la rentrée 2016, a tout récemment déclaré Mme Vallaud-Belkacem, très souriante, comme d’habitude, à l’idée de l’entourloupe. Pourquoi cette étrange certitude ? Ce qu’un décret pris à la hâte sur un coin de table a cherché à établir, un autre décret mûrement réfléchi devrait pouvoir l’effacer. Pas si simple.
L’arme fatale du manuel
Pour créer de l’irréversible, la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), bras armé du ministère, fait pression depuis un mois sur les éditeurs scolaires en leur suggérant lourdement de ne plus faire des manuels par matière et par année, mais par cycle. La réforme institue en effet des cycles qui regroupent, à chaque coup, trois classes. Cycle 2 ? du CP au CE2. Cycle 3, du CM1 à la 6e. Cycle 4, de la 5e à la 3e.
L’idée de génie du ministère est donc d’imposer un seul livre qui regrouperait tous les savoirs que des programmes absurdes – nous en avons déjà largement parlé – prétendent imposer, et selon la forme pédagogique voulue par le ministère : c’est ce que l’on appelle la séquence.
Une séquence est l’organisation immuable de plusieurs cours. Pour donner un exemple, une séquence de français, en collège, peut très bien tourner autour d’une œuvre (on suppose donc que l’on étudiera Le Cid en cinq heures, en survolant Corneille, le XVIIe siècle, le théâtre, Gérard Philipe, « Rodrigue, as-tu du cœur ? », « à moi, Comte, deux mots ! », « Va, je ne te hais point », « Nous partîmes cinq cents » – fin de la séquence). Au passage, on pourra glisser une remarque de grammaire ou d’orthographe (« Le Ô de Ô rage, ô désespoir… est une interjection et prend un accent circonflexe… »), mais rien de construit, rien de systématique. Pour apprendre le français, le français de France, vous repasserez.
L’idée que l’on étudie encore Le Cid en quatrième est quelque peu naïve, sous ma plume. Voilà beau temps que l’inspection déconseille de faire travailler les élèves sur une pièce où l’on tue allègrement des Maures…
Cette désorganisation létale a été mise en place par les IUFM dans les années 1990-2000, et a généré les générations déboussolées que nous voyons aujourd’hui faire la queue à Pôle emploi. Les pédagogues qui ont inventé la séquence sont des criminels, et arpentent pourtant tranquillement les couloirs du ministère.
L’organisation totalitaire – je n’ai pas d’autre mot – des manuels scolaires désirés par la DGESCO et son chef, Florence Robine – méprisée par ses troupes qui persistent à célébrer la mémoire de Jean-Michel Blanquer, son prédécesseur – vise à désorganiser l’enseignement de manière irréversible. Mme Robine a donc pris son téléphone et a joint les responsables des principales maisons d’édition spécialisées dans le scolaire, pour leur vendre l’idée d’un manuel unique passant sous les fourches caudines de programmes ineptes enseignés de façon inepte.
Le problème, c’est que cela s’est su. Marianne.net a publié, dans un article ironique (l’ironie, on se le rappelle, est la politesse du désespoir), l’interview d’un auteur de manuels qui dénonce le vilain coup ourdi par le ministère.