Il y a toujours eu dans les milieux nationaux un véritable complexe relatif à tout ce qui touche aux questions économiques. A tel point qu’on a eu tôt fait de ranger toutes les doctrines matérialistes de la science politique, du marxisme au libéralisme, sous l’étiquette péjorative d’économisme, terme connoté très négativement chez beaucoup de nos amis. Quelle serait la nature de cet économisme, selon ceux qui le rejettent ? Il s’agirait d’une vision du monde ultra-matérialiste, froide, réductrice, incapable de prendre en compte tout un ensemble de variables humaines fondamentales mais inquantifiables. Les doctrines économistes, filles du rationalisme triomphant, auraient nivelé et formalisé un monde qu’il s’agirait pour nous de réenchanter.
Ce romantisme était déjà celui de certains contre-révolutionnaires français qui voyaient dans la pensée des Lumières la source de ce rationalisme totalisant, dont le positivisme ne sera qu’un des nombreux avatars durant le siècle suivant. S’ils vivaient encore, ils considéreraient certainement que le marxiste-léniniste avec sa logique de classes souffre précisément de ce syndrome tendant à réduire l’identité des êtres humains à leur statut économique, de même d’ailleurs que l’ultralibéral fana de croissance et obsédé par l’augmentation des profits. Il est étonnant que certains nationaux d’aujourd’hui reprennent cette nostalgie à leur compte quand on sait que ceux qui sont à l’origine du principe de nation sont précisément les adversaires de ces contre-révolutionnaires dont nous parlions plus haut...
En tant que républicains, en tant que socialistes et en tant que nationaux, nous ne pouvons faire nôtre cette vision purement réactive de l’économie. Car, contrairement à nombre d’émigrés français de cette époque attendant leur heure en Angleterre ou en Suisse, nous ne sommes pas dans un cénacle d’esthètes, mais sur le terrain, le terrain politique. Pas de politique sérieuse sans un rapport pragmatique à la réalité, et pas de pragmatisme sans une connaissance réaliste de l’économie. Ce n’est pas une condition suffisante mais c’est une condition nécessaire. Serions-nous donc aussi naïfs que le jeune alter-gauchiste de base qui, délesté de tout éclairage marxiste par son inculture (il a troqué depuis belle lurette son édition de poche du Capital contre la discographie complète de Manu Chao), voit lui aussi l’économie comme le mal absolu, le Grand Satan, persuadé de l’équation crétine économie = capitalisme, et certain que la société autogérée dont il rêve sera placée sous le signe de la non-économie ? Or, la non-économie n’existe pas ; dès qu’il y a communauté, il y a économie.
Certains nationaux d’aujourd’hui ne sont pas très différents, eux qui ont oublié De Gaulle aussi vite que d’autres oubliaient Marx. Si on en croit certains de leurs pamphlets, tout réflexion économique ne saurait aboutir qu’au capitalisme ou au bolchévisme, et il n’y aurait donc rien de bon à en tirer. Comme si les partisans de la "troisième voie" avaient arrêté, paradoxalement, qu’il ne saurait, en matière économique, exister que deux voies ! Prétendre cela revient pourtant à tomber dans le piège tendu par les libéraux, ce dogme totalitaire énoncé par Margareth Thatcher et connu sous le sigle de T.I.N.A. (there is not alternative) : les choses ne peuvent être autrement que ce qu’elles sont, nous disent-ils, parce que le marché a ses lois comme l’ordre naturel a les siennes. Soyons clair, l’acception ou le refus de cette assertion ultralibérale fera de nous ou des collabos ou des révolutionnaires. A cela, nous devons répondre que non, ce n’est pas le marché qui fait la loi, mais bien les hommes à travers le travail politique ; nous devons répondre que oui, il peut exister un autre modèle économique, et même plusieurs autres, et qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes libres de les choisir.
Si je reproche leur anti-économisme aux nationaux, je n’en fais pas une condamnation sans appel, car les causes de cette réaction sont aisément compréhensibles. Ces causes, je les connais bien ; tout comme Alain Soral et plusieurs membres d’Égalité & Réconciliation, j’ai fait mes classes chez les marxistes avant de rejoindre les rangs qui sont les nôtres. Pourquion étions-nous – et sommes-nous toujours d’une certaine manière – marxistes ? Parce que nous haïssons l’injustice, parce que nous sommes révoltés par les inégalités sociales provoquées par un système de production malhonnête et fondé en grande partie sur la spéculation, parce que notre camp et celui du peuple des travailleurs. Pourquoi nous avons voulu dépasser le marxisme en joignant le combat national ? Parce que la conscience sociale (conscience de classe par exemple) doit s’accompagner d’une autre conscience, extra-économique celle-là, une conscience authentiquement populaire basée sur la culture, sur l’identité, sur une histoire commune et sur des valeurs morales et/ou spirituelles. Au marxisme, qui est une lecture économiste du monde, nous voulons ajouter une vision non-économiste du monde mais allant elle aussi dans le sens de la justice et de l’émancipation.
Notre rôle dans Égalité & Réconciliation, à nous les marxiens, est donc peut-être de rappeler l’importance de l’économie dans notre weltanschaaung, de rappeler que sans elle, aucune société viable ne verra jamais le jour. Nous devons le rappeler pour équilibrer la balance. Pour un mouvement qui se veut politique et résolument ancré dans le monde réel, le romantisme et l’idéalisme des salons où l’on cause ne sont plus de mise. Conservons nos idéaux, car ils sont la vraie raison de notre engagement, mais ajoutons-leur la cohérence, la crédibilité et le sérieux d’une doctrine économique juste et conforme à la société que nous voulons bâtir.
Quelle doctrine économique ? La question fera l’objet d’une prochaine chronique.
David L’Épée pour Égalité & Réconciliation