L’information n’est pas nouvelle, mais c’est bien le problème. En conséquence, un rafraîchissement de mémoire est nécessaire, surtout qu’on parle de plus en plus de la Moldavie dans les médias. Selon ces derniers, La Moldavie est le prochain objectif du glouton Poutine.
La Moldavie, issue de la désintégration de l’URSS en 1991, n’appartient pas à l’Union européenne : elle n’a que le statut de pays candidat. Il est vrai que le casse-tête ethnico-politique et surtout social de l’ex-république moldave donnerait un mal de tête à l’européiste le plus forcené : c’est le pays le plus pauvre et le plus corrompu d’Europe. Voilà pourquoi il attire vautours et mafias de tous les pays, notamment Israël, qui s’intéresse de près aux reins de ses habitants.
Ce n’est pas un secret : le rein moldave se négocie autour de 3 000 euros dans les cliniques privées turques, et se revend jusqu’à 160 000 dollars (150 000 euros) en Israël. On rappelle que là-bas, pour des raisons « religieuses », le don d’organes n’existe quasiment pas. Il faut donc aller les chercher chez les autres (par exemple en France grâce à la générosité de Simone Veil), au besoin sur le marché noir.
Chacun sait la corrélation entre misère et délinquance, et dans ces domaines, la Moldavie bat tous les records. Le salaire minimum brut moldave, avec 46 euros par mois, est 34 fois plus bas que son équivalent luxembourgeois, il est vrai le mieux payé d’Europe. Juste au-dessus du Moldave, on trouve le Monténégrin, avec 55 euros, et l’Ukrainien, avec 68 euros. Attention à ne pas confondre salaire minimum et salaire moyen. Mais cela donne un ordre de grandeur, ou plutôt de petitesse.
Le modus operandi des trafiquants d’organes moldaves est simple : soit les organes sont volés à des donneurs inconscients, soit ils sont achetés après des pressions physiques ou administratives. Et puis, quand un paysan gagne moins de 30 euros par mois, comment résister à 3 000 euros ?
Confirmation de ce témoignage dans Le Monde du 21 février 2002, qui résume le reportage d’Envoyé spécial (introuvable aujourd’hui) consacré à ce sanglant et juteux trafic :
Envoyé spécial, qui ne craint pas de s’attaquer à des sujets difficiles et même tabous (...), a mené une enquête sur une autre filière qui concerne la Moldavie, la Turquie et Israël (ce qui n’en exclut pas d’autres, évidemment). Catherine Berthillier, qui a travaillé parfois avec une caméra cachée, une méthode qu’on peut critiquer – mais comment obtenir certaines preuves quand elles sont justement cachées ? –, a remonté le circuit qui va du pays donneur, la Moldavie, nouvel eldorado pour obtenir les organes les moins chers d’Europe, à Israël, où les candidats à l’achat peuvent se procurer un rein en parcourant les petites annonces dans leur quotidien, en passant par la Turquie, où des chirurgiens se font des ponts d’or en assurant clandestinement les transplantations.
Deux ans plus tard, le 25 mars 2004, Le Monde diffuse le témoignage de Sergiu, âgé de 23 ans, qui a accepté de vendre un de ses reins pour changer de vie.
À Edinet, petite ville située dans le nord de la Moldavie, la vente d’un rein pour une poignée de dollars n’est pas un acte extraordinaire. Enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, la Moldavie est devenue le principal fournisseur d’un commerce aussi sordide que lucratif : le trafic d’organes qui relie cette ancienne république soviétique à Israël et aux pays occidentaux via la Turquie. (...)
Des contacts lui permettent de contourner les réseaux de trafic d’organes en Moldavie. « Ce n’est pas un bon plan de faire appel aux Moldaves pour vendre un rein, explique-t-il. Tu es payé en moyenne 3 000 dollars, le reste va à ceux qui organisent l’opération. Je me suis dit que si je devais me séparer de mon rein, il fallait en tirer le meilleur prix. »
Il se rend alors directement à la source, en Turquie. « J’ai contacté un ami turc qui a tout arrangé à Istanbul », avoue-t-il. « J’y suis arrivé fin août 2003, précise-t-il. Le soir même, on m’a conduit dans une clinique où on m’a fait un scanner et un tas d’analyses. Le lendemain, j’ai signé des papiers où je donnais mon accord pour la transplantation de mon rein à Razi, un Israélien âgé de 24 ans. J’ai été hospitalisé à 16 heures et l’opération a eu lieu à 21 heures ». Depuis la fin des années 1990, les cliniques privées turques sont devenues une plaque tournante du trafic de reins moldaves.
« Je suis resté à l’hôpital une semaine, le temps de récupérer après l’opération, continue Sergiu. Les parents de Razi ont été très gentils avec moi. Ils m’ont rendu visite et m’ont offert une veste toute neuve. Ils m’ont versé 10 000 dollars pour mon rein. Une fortune, n’est-ce pas ? » Certes, comparé à 3 000 dollars, le prix moyen à la bourse moldave du trafic d’organes, 10 000 dollars est un véritable pactole.
Finalement, Sergiu survivra à son don, pourra se payer un saxo et fera même une tournée en France. Il est heureux parce que grâce à son rein, l’Israélien Razi, qui ne pouvait se déplacer qu’en fauteuil roulant, marche. Cependant, il a peur pour sa vie et il a peur de s’endormir car il a l’impression d’être encore sur la table d’opération...
Les opérations, chirurgicales et financières, ne se passent pas toujours aussi bien. Si Sergiu a gagné 10 000 dollars et une veste, d’autres ont gagné beaucoup moins et perdu la santé. Et les passeurs ne sont pas tous des amis de l’humanité. Le Monde écrit :
De plus en plus de Moldaves sont victimes de réseaux bien organisés. Le scénario est invariable : on leur propose un travail en Turquie et on leur paie un passeport et un voyage à Istanbul où, soudain, tout se complique. Vasile Moise, victime de ce trafic, raconte sa version des faits.
« On m’avait promis un travail de maçon mais, une fois arrivé en Turquie, on m’a dit qu’il n’y avait pas de travail et que je devais 300 dollars pour les frais de passeport et de voyage, dit-il. Il n’y avait qu’une seule solution, vendre l’un de mes reins. Au début, j’ai refusé. Mais j’étais seul, sans argent et sans papiers dans un pays que je ne connaissais pas. Et je ne voulais pas rentrer sans rien. Alors j’ai donné mon rein à un Israélien en échange de 3 000 dollars, moins les 300 dollars que Nina a retenus pour les frais. »
Inutile de dire que le cas de Vasile est plus fréquent que celui de Sergiu. Quant à la police, elle se heurte à des donneurs qui ont à la fois honte de leur geste, et peur des trafiquants, qui possèdent leurs noms et adresses. Pour info, le trafiquant qui se place entre le donneur plus ou moins volontaire et le donné, généralement israélien, empoche 25 000 dollars.
Pour la petite histoire, le 28 avril 2000, les onze membres de la Coopération économique de la mer Noire (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Géorgie, Grèce, Moldavie, Roumanie, Russie, Turquie et Ukraine) s’engageaient « à renforcer leur coopération contre le crime organisé », toujours selon Le Monde. Le ministre moldave de l’époque se disait inquiet du trafic de drogues et d’armes dans son pays, mais aussi dans les dix autres pays membres. Voici sa déclaration et la conclusion du Monde, qui reprenait une information de l’AFP :
« Plus de 40 000 tonnes d’armes et de munitions appartenant à l’ex-armée soviétique se trouvent encore [en] Transnistrie », à l’est de la Moldavie, a-t-il affirmé. « Nous avons découvert un réseau qui transférait des ressortissants moldaves dans d’autres pays où, moyennant argent, on leur prélevait divers organes », a-t-il ajouté, sans préciser de quel pays il s’agissait. Israël a participé à cette réunion en tant qu’observateur.
Pour finir en beauté, et en mémoire des pauvres Moldaves amputés, rappelons qu’en juin 2019, le Premier ministre de Chisinau décidait de transférer le siège de son ambassade en Israël de Tel-Aviv à la ville sainte.