Le dogme européiste est parfaitement connu : le traité de Maastricht n’ayant pas prévu de sortie de l’euro, il ne serait pas possible de quitter la monnaie unique, quand bien même elle provoquerait la ruine, la guerre civile ou la guerre tout court. L’euro serait donc un pacte faustien.
En opposition avec ce dogme, j’ai écrit le 11 septembre que, pour abandonner l’euro, la Grèce allait quitter l’UE en application de l’article 50 du traité de Lisbonne [1]. Vu les réactions, il semble que cela mérite quelques explications.
Quel traité faut-il dénoncer ? Lisbonne ou Maastricht ?
S’il est exact que le traité de Maastricht, en omettant une possibilité de sortie, tendait à rendre irréversible l’abandon des monnaies nationales, ses dispositions concernant la monnaie unique ont été intégralement reprises dans le traité de Lisbonne, article 123 et suivants. C’est donc bien le dernier traité qu’il faut dénoncer, celui qui synthétise l’ensemble des textes précédents. Par chance, celui-ci prévoit une modalité de sortie : l’article 50.
Le second alinéa de l’article 42 de la Convention de Vienne [2] stipule que « L’extinction d’un traité, sa dénonciation ou le retrait d’une partie ne peuvent avoir lieu qu’en application des dispositions du traité ou de la présente Convention. La même règle vaut pour la suspension de l’application d’un traité. »
Le droit des traités indique bien l’article 50 pour dénoncer le traité de Lisbonne.
Doit-on dénoncer intégralement le traité ou seulement ses articles relatifs à l’euro ?
Si on sort en « application des dispositions du traité », on quitte purement et simplement l’Union. L’article 50 est clair :
« 1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. (...) 3. Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné... »
Quand bien même on sortirait en application de la seule convention de Vienne
(Ce qui n’est prévu que pour les traités ne comportant aucune dispositions de sortie, ce qui n’est pas le cas du traité de Lisbonne), la divisibilité des dispositions d’un traité est définie en son article 44 en ces termes :
« 1. Le droit pour une partie, prévu dans un traité ou résultant de l’article 56 [3], de dénoncer le traité, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application ne peut être exercé qu’à l’égard de l’ensemble du traité, à moins que ce dernier n’en dispose ou que les parties n’en conviennent autrement.
2. Une cause de nullité ou d’extinction d’un traité, de retrait d’une des parties ou de suspension de l’application du traité reconnue aux termes de la présente Convention ne peut être invoquée qu’à l’égard de l’ensemble du traité, sauf dans les conditions prévues aux paragraphes suivants ou à l’article 60. [4] »
Que ce soit en application du traité ou de la Convention de Vienne, le résultat est le même : on doit dénoncer l’ensemble du traité.
(Par ailleurs, au-delà de l’aspect strictement juridique, on imagine mal l’Allemagne continuer à payer les fonds structurels à la Grèce après que celle-ci ait mis à mal ses banques en quittant la monnaie unique)
Comment certains états pourraient-ils appartenir à l’UE sans appartenir à la zone euro, alors qu’on ne pourrait pas sortir de la zone euro sans sortir de l’UE ?
Un peu d’Histoire :
Le traité de Maastricht a provoqué l’émergence de facto de deux Europe : la zone euro et l’Union européenne. Conçu alors que l’UE ne comptait que douze membres, le traité de Maastricht n’avait ménagé d’exception à la règle de l’appartenance à la monnaie unique que pour le Royaume-Uni, d’emblée réticent, mais dont le gouvernement a longtemps manifesté, au moins formellement, la volonté de rejoindre l’euro.
Puis, en 1992, parce que les Danois avaient rejeté par référendum ce traité, on leur offrit, à leur tour, la possibilité de demeurer hors de la zone euro. Mais dans l’esprit de Maastricht, ces concessions devaient être les seules exceptions : tous les autres pays membres devaient faire les efforts nécessaires pour remplir, au plus vite, les fameux « critères de convergence » et rejoindre sans tarder l’union monétaire.
Quinze ans plus tard, et au terme de huit années de fonctionnement de la zone euro, ses performances économiques sont telles qu’elle ne fait pas rêver ceux qui n’en font pas encore partie, à la différence de l’Union dont le pouvoir d’attraction exercé sur ses voisins du centre de l’Europe et du Caucase reste intact, notamment parce que ses objectifs généraux, énoncés en préambule du traité de Rome, gardent toute leur pertinence.( ndlr : j’ajouterais que la perspective de toucher des milliards d’euros de fonds structurels constitue l’essentiel du « pouvoir d’attraction » de l’UE) [5]
La question de l’entrée dans la zone euro est donc parfaitement distincte de celle de la sortie, principalement parce qu’il n’était initialement pas prévu que certains peuples ne découvrent le piège avant qu’il ne soit refermé.
Pourquoi ne pas envisager un nouveau traité ?
La crise financière appelle des réponses dans l’urgence. Or, négocier un nouveau traité nécessite de consulter non pas les seuls 17 membres de l’eurozone,(qui seraient déjà bien incapables de s’entendre) mais les 27 membres de l’Union qui, tous devraient reprendre le chemin de croix de la ratification, selon leurs règles constitutionnelles.
Autant dire que ce serait 27 suicides politiques pour les gouvernements en place. La preuve en est que ce sont bien les extrêmes-européistes qui préconisent ce genre d’impasse, dans l’espoir de ne pas avoir à répondre devant la justice d’avoir piétiner leurs obligations statutaires et légales. [6] [7]
Dans l’urgence, un nouveau traité n’est pas sérieusement envisageable.
Peut-on imaginer que plusieurs, voire tous les pays de l’eurozone, utilisent l’article 50 en même temps ?
Bien sûr ! Ce serait même la meilleure solution, même si elle est encore peu probable. Plutôt que d’étrangler les peuples un par un, de plonger une à une les économies en récession pour vainement tenter de faire renoncer à quitter la funeste prison euro, il serait largement préférable à tous points de vue de le faire de façon ordonnée et tous ensemble. Cela permettrait de fixer les cours des nouvelles monnaies autrement que par de seuls rapports de force et d’éviter les conflits résultant des déséquilibres des contrats internationaux.
Comme ce serait la fin de l’Union européenne qui est devenue l’exact contraire de ce qu’en attendaient les peuples, l’occasion serait idéale pour envisager d’écrire une nouvelle page d’Histoire entre des peuples amis, car garantis dans leurs libertés et la souveraineté de leurs nations.
[1] -La Grèce va se libérer de l’Union européenne
[2] - Convention de Vienne sur le droit des traités - Faite à Vienne le 23 mai 1969. Entrée en vigueur le 27 janvier 1980. Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, p. 331
[3] DÉNONCIATION OU RETRAIT DANS LE CAS D’UN TRAITÉ NE CONTENANT PAS DE DISPOSITIONS RELATIVES À L’EXTINCTION, À LA DÉNONCIATION OU AU RETRAIT
[4] C’est l’article qui permettrait de jeter dehors un état-membre, éventuellement contre sa volonté : Article 60 - EXTINCTION D’UN TRAITÉ OU SUSPENSION DE SON APPLICATION COMME CONSÉQUENCE DE SA VIOLATION 1. Une violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie. 2. Une violation substantielle d’un traité multilatérale par l’une des parties autorise : a) Les autres parties, agissant par accord unanime, à suspendre l’application du traité en totalité ou en partie ou à mettre fin à celui-ci : i) Soit dans les relations entre elles-mêmes et l’Etat auteur de la violation ; ii) Soit entre toutes les parties ; b) Une partie spécialement atteinte par la violation à invoquer celle-ci comme motif de suspension de l’application du traité en totalité ou en partie dans les relations entre elle-même et l’Etat auteur de la violation ;(...)
[5] [ Source : Lettre de l’OFCE n°283
[6] -Draghi et Trichet veulent un nouveau traité européen (...) Cela porte donc à 129 milliards d’euros les titres qu’elle détient désormais dans son bilan, souligne l’institut d’émission européen. (...)
[7] -Le chef économiste de la BCE démissionne, bourses et euro plongent (...) Jürgen Stark occupait le poste de chef économiste, l’un des plus importants au sein de la BCE, depuis le 1er juin 2006. Son mandat ne devait s’achever que le 31 mai 2014.
A plusieurs reprises au cours des dernières semaines, il avait exprimé ses doutes sur le programme de rachat d’obligations publiques mené par l’institution monétaire de Francfort pour soulager les pays les plus fragiles de la zone euro. (...)