Vladimir Poutine effectuera une visite de travail en Autriche les 24 et 25 avril. Il se rendra d’abord en "visite privée" à Vienne où il assistera au Championnat d’Europe de judo – le chef du gouvernement russe, ceinture noire de judo, est président honorifique de l’Union européenne de judo – et entamera ensuite la partie officielle de sa visite de travail. Il rencontrera le chancelier fédéral Werner Faymann et le président de la République d’Autriche Heinz Fischer.
Tout le monde attend la signature, le 25 avril, d’un accord sur l’adhésion de l’Autriche au projet de South Stream auquel participent Gazprom, la société italienne ENI et le groupe français Électricité de France (EdF).
L’accord avec l’Autriche constituera l’achèvement de toutes les formalités juridiques internationales nécessaires au gazoduc South Stream pour qu’il commence à devenir réalité. Moscou a déjà conclu des accords intergouvernementaux avec la Bulgarie, la Hongrie, la Grèce, la Serbie, la Slovénie et la Croatie. La Roumanie est également disposée à adhérer à South Stream.
Or, Vienne est l’élément le plus important du gazoduc, car l’Autriche est actuellement le principal centre de distribution de gaz pour toute l’Europe centrale, de l’Est et du Sud. Le principal centre européen de distribution de gaz se trouve à Baumgarten, ville autrichienne située près la frontière slovaque.
C’est là que passent plus de 30% de toute l’exportation de gaz russe, soit environ 40 milliards de m3 par an. Avec South Stream, l’Autriche sera le plus grand centre gazier de toute l’Europe. Ce gazoduc doit passer par le fond de la mer Noire et se diviser en deux tronçons, dont l’un se dirigera vers l’Autriche et l’autre vers l’Italie. Le secteur sous-marin (à une profondeur d’environ 2 km), long de 900 km, passera de la station de compression russe Beregovaïa vers le littoral de la Bulgarie. Lorsque ce tube atteindra le rendement prévu, il acheminera 63 milliards de m3 de gaz par an. L’Autriche importe 87% de ses besoins en gaz et en pétrole.
On ne peut pas dire non plus que l’Autriche ne consomme que du gaz russe. Dans ses importations de gaz, le combustible bleu russe constitue actuellement environ 47%. Les gisements de gaz que l’Autriche a en propre lui assurent plus de 37% et encore 9% proviennent de Norvège. Soit dit en passant, la Russie détient, par l’intermédiaire de ses compagnies, y compris Gazprom, 3% des actions de la grande société énergétique autrichienne Austrian Mineral Oil Administration, ou OMV.
Il faut dire, d’une manière générale, que Vienne est le lieu où il est particulièrement facile et agréable de penser à l’amitié gazière russo-européenne, à ses excellentes perspectives et à ses avantages pour tous. La Russie a toujours entretenu des rapports particuliers avec l’Autriche. Le pays de Strauss, du strudel et de l’escalope avait été le premier en Europe à avoir conclu dès 1968 un accord sur les livraisons de gaz en provenance d’URSS. La Russie n’a entretenu de contacts aussi anciens avec aucun autre pays européen. En 42 ans, l’Autriche n’a jamais avancé aucun grief sur les livraisons de gaz, sauf en janvier 2009, lorsque Kiev avait tenté de prouver son importance exceptionnelle en tant que pays de transit et fermé les robinets. South Stream contournera l’Ukraine et, par conséquent, assurera la sécurité de l’Europe dans son ensemble - compte tenu de Nord Stream, dont la construction a déjà commencé - contre tous les caprices éventuels des pays de transit est-européens.
En 42 ans, nous avons livré à l’Autriche plus de 160 milliards de m3 de gaz. En 2006, lorsque Poutine était président, il s’était rendu en visite à Vienne où avaient été signés des accords stratégiques portant sur les livraisons de gaz russe à l’Autriche jusqu’en 2027 : 7 milliards de m3 par an. Pour l’instant Moscou n’a de tels contrats à long terme avec personne d’autre en Europe.
Vienne fait tout son possible pour s’en tenir à l’idée européenne de l’ « indépendance énergétique » vis-à-vis de Moscou. Vienne est, du moins en paroles, l’un des partisans les plus ardents de Nabucco. Ce tube, alternative à South Stream et à Blue Stream, est destiné à acheminer du gaz en provenance du Turkménistan, d’Azerbaïdjan et d’Iran. Mais Nabucco est encore un mythe, nul ne sait comment l’alimenter pour qu’il soit rentable, alors que South Stream est presque devenu une réalité. Par conséquent, si Poutine rapporte de Vienne un accord sur South Stream, ce sera une grande victoire gazière de la Russie. Et un autre coup puissant porté à Nabucco.
Certes, il faudra proposer quelque chose en échange à l’Autriche. L’Autriche est de plus en plus préoccupée ces derniers temps par le déséquilibre des rapports commerciaux. Le chiffre d’affaires des échanges commerciaux entre nos pays est actuellement d’environ 5 milliards de dollars. Cependant, l’année dernière, les exportations russes de produits énergétiques et de matières premières (produits pétroliers, métal, voire papiers à recycler) vers l’Autriche ont considérablement augmenté, 72% pour le seul mois de janvier 2010, dans le même temps les importations russes de produits autrichiens a diminué d’environ 28%. Vienne voudrait que la Russie remédie à ce déséquilibre. Autrement dit, il faudra d’une manière ou d’une autre trouver une compensation à l’amour autrichien pour South Stream.