Les premières réactions occidentales confirment la place centrale qu’occupent la question syrienne et le veto russe dans les enjeux planétaires actuels. Dans une sorte d’auto-exorcisme, les médias dominants et les plus grands responsables occidentaux ont escamoté par dénégation la réalité, la consistance et l’autonomie du veto chinois.
Ces derniers ont dû réitérer leur position et insister sur les principes constants de respect strict des souverainetés nationales pour que parfois leur position apparaisse dans les infos et dans les commentaires, cependant, sans jamais paraître comme autre chose qu’une position suiviste.
À elle seule, cette dénégation massive et constante mérite une analyse sur la difficulté des Euro-Américains à voir les Chinois autrement que comme des métèques ou une anomalie de l’histoire à corriger au plus vite. Pourtant, la position chinoise a le mieux exprimé, et des façons les plus diverses, la possibilité de sortir de la crise profonde qui frappe le monde capitaliste occidental.
Ces positions chinoises sont limpides. Elles affirment que les dirigeants chinois sont parfaitement conscients que la Chine (comme la Russie) est le but ultime des guerres actuelles de reconquête coloniale et de contrôle des routes de l’énergie. Partout, ces guerres visent à contrarier le développement du commerce et la coopération chinoise en Afrique – Mme Clinton a appelé les Africains à contrer le « colonialisme chinois », alors qu’elle cherchait un appui à l’agression de la Libye et à isoler les propositions africaines de dialogue et de négociations pour éviter la guerre civile et l’implosion de la Libye – à lui enlever toute autonomie d’approvisionnement énergétique jusqu’à l’étouffer, à l’encercler de façon à la couper de l’Eurasie... Les responsables chinois avancent aussi qu’il est possible pour l’Occident de garder une place prééminente sans avoir recours à la destruction.
Et de proposer de discuter toutes les ententes possibles pour mettre les avoirs chinois au service du règlement des problèmes actuels. C’est le sens des aides chinoises à la Grèce, au Portugal, où ils ont acheté la dette et racheté des entreprises. C’est le sens des récentes discussions avec Merkel à Pékin et c’est le sens des discussions autour d’un apport chinois au Fonds de stabilisation européen et autour d’un rachat d’une partie de la dette souveraine. L’issue de la crise du capitalisme n’est pas forcément dans la guerre et n’est pas forcément dans un retour au pillage colonial pour combler les abysses des déficits en tous genres et préserver encore quelque temps des niveaux indus mais élevés du profit pour la caste financière qui dirige le monde.
Le message est – répétons-le – limpide : « Nous savons que vous voulez la guerre et la perpétuation de la domination, mais nous vous proposons, au détriment d’une partie de nos intérêts, la paix et la coopération. Mais si vous nous obligez à la guerre nous la ferons sur le périmètre de notre sécurité nationale. » Les Chinois ne cessent de répéter le même message, chaque fois plus amplifié et chaque fois plus ferme autour et à propos de la question syrienne qu’ils ont explicitement reliée à la préparation de la guerre, contre l’Iran.
Et des responsables chinois, dont des militaires ont expliqué qu’une agression de l’Iran constituerait un acte de guerre contre la Chine. Encercler la Chine à partir de l’Eurasie et de ses marches asiatiques, contrôler ses approvisionnements en énergie, réduire tous ses alliés potentiels, l’isoler et la réduire à ses seules capacités militaires actuellement insuffisantes, voilà la feuille de route. La réponse chinoise est que la Libye n’était pas dansle périmètre de sa défense et qu’elle a accepté des pertes considérables en Libye car elles n’affectaient pas sa défense immédiate.
En Syrie, la sécurité de la Chine est en jeu. Mardi dernier, le ministre des Affaires étrangères chinois a appelé les Américains à choisir la voie de la coopération et du respect des intérêts mutuels dans la région Asie- Pacifique. L’extrait suivant est un condensé de la politique chinoise pour toute l’Asie jusqu’en Syrie, bien sûr pour qui sait lire : « Il a suggéré que les deux pays travaillent conjointement pour renforcer la confiance stratégique mutuelle, éliminer les barrières et les perturbations, et ouvrir de nouvelles perspectives, afin de permettre à ces deux grands pays d’entretenir des relations saines et de mener une coopération gagnant-gagnant. »
« L’engagement entre les deux pays a prouvé que les relations pacifiques sino-américaines bénéficient aux deux pays », a indiqué M. Yang, qui était ambassadeur de Chine aux États-Unis entre 2001 et 2005.
« La Chine et les États-Unis ont davantage d’intérêts communs dans la région Asie-Pacifique que dans les autres régions du monde. Nous espérons voir les États-Unis jouer un rôle constructif dans cette région et, en même temps, nous espérons que la partie américaine respectera les intérêts et les préoccupations de la Chine », a-t-il noté (http://french.cri.cn/621/2012/03/06...).
En faisant dans la dénégation de la position autonome de la Chine, les médias dominants ont continué leur œuvre de bataillons médiatiques disciplinés de la guerre globale que nous mènent l’ancien/nouveau impérialisme. Pour travailler l’imagination et l’émotion des opinions publiques, la Chine ne présente pas les avantages d’un « passé impérial » comme la Russie et ne « travaille » pas la mémoire du bolchévik ni celle de la guerre froide.
Le péril jaune est demeuré dans le subconscient une affaire de folklore, d’autant plus léger que la Chine est lointaine, qu’elle accueille les ateliers délocalisés et qu’elle habille tout le monde en plus d’équiper nos maisons. La Chine présente surtout un inconvénient majeur pour le travail de propagande : elle ne possède pas de direction personnalisée et un chef qu’on peut diaboliser comme pour le cas russe. Enfin, et cela reste essentiel, parler de la Chine met en avant la question de l’État, alors que pour la Russie, il est si facile d’entraîner les opinions publiques sur les terrains vaseux des despotes, des tsars, des staliniens...
Les positions de la Chine permettaient aux médias dominants de tout ramener à cette question de personnes. Poutine « l’autocrate » soutient le « dictateur » Assad, et pour les deux ainsi qualifiés on pouvait trouver toutes les explications personnelles, familiales, psychologiques… qui éloignent ces opinions publiques des questions politiques, sociales, culturelles et surtout historiques, qui nous auraient éclairés sur les rationalités et les déterminations qui ont mené à telle ou telle forme de pouvoir ou d’État.
Il était vital pour mener à bien l’agression contre la Syrie de raconter des balivernes sur les motivations de Poutine dans le style : il a opposé son veto pour gagner les élections, avoir une image de fermeté... Le citoyen en mal d’objet pour ses angoisses pouvait dormir tranquille, la grande Russie sommeillait sous les bottes du nouveau tsar. Lavrov et quelques autres responsables ont dû batailler presqu’aussi ferme que les Chinois pour faire passer quelques infos sur le caractère collégial, le caractère d’État du veto russe. Tous durent s’y mettre : de Pushkov à Ziouganov. Pourquoi les responsables occidentaux ne peuvent-ils pas admettre un échec devant leurs opinions ?
Pour n’avoir pas à répondre sur le fond. Et pour pouvoir rebondir. Pendant que se menait aussi la bataille de Syrie, se menait aussi celle des élections. Vous verrez cela aussi pour l’Algérie demain, les médias des milliardaires occidentaux ont tout fait pour amplifier l’image d’élections traficotées d’avance par un autocrate aux abois. Peu importe que les sondages donnent Poutine vainqueur dès le premier tour. Exit les engagements non tenus pris avec le liquidateur Gorbatchev de dissoudre l’OTAN après la dissolution du Pacte de Varsovie, de laisser à la Russie une zone d’influence qui correspondrait à l’ex-Union soviétique…
Bien au contraire, aussi bien en Asie centrale sur ses frontières européennes, l’OTAN encercle la Russie et cherche à la réduire à une colonie en laminant par les politiques des oligarques qu’Eltsine a mis au pouvoir et par les menées d’une révolution de couleur.
L’élection de Poutine au premier tour était un enjeu en soi. Un deuxième tour l’aurait affaibli selon les grilles que nous ont imposées les médias dominants. Les sondages avaient prévenu de la victoire de Poutine. Le peuple russe vient voter pour l’État fort que propose Poutine et contre les oligarchies. Dans une dernière bouffée délirante, Sarkozy et Juppé prennent note de la victoire de Poutine – comprenez, ils la lui concèdent – et lui demandent maintenant qu’il est élu, et qu’il n’a donc plus de raison personnelle de soutenir Assad pour des raisons électorales, de changer sur la Syrie. Plus butor que cela tu meurs ! La réponse a été immédiate. La Russie a des raisons d’État.
C’est bien la clé qui explique le retour d’un monde multipolaire : le besoin vital d’États nationaux liés à leurs nations pour survivre contre une mondialisation capitaliste américaine et dévastatrice.