En ces temps de tensions internationales, la Serbie essaye de jouer à l’équilibriste entre l’UE et l’OTAN d’un côté et la Russie de l’autre. Que choisira-t-elle en fin de compte ? Le président serbe, Tomislav Nikolic, répond aux questions de RT.
Pourquoi, à votre avis, les actions de la Russie en Syrie sont-elles autant l’objet de critiques ?
Tomislav Nikolic : Chaque fois que la Russie fait quelque chose, on peut prédire comment les acteurs internationaux réagiront. Quand ils réagissent, ils refusent toujours d’analyser les raisons qui ont poussé la Russie à ses actions. Ils essaient toujours de trouver un agenda politique caché.
Nous avons toujours cru, en Serbie, que l’opération de la Russie en Syrie visait à aider ce pays à infliger une défaite au terrorisme mondial, incarné par Daech.
L’opération de la Russie en Syrie est la seule véritable campagne contre les terroristes Personnellement, je crois que l’opération russe a changé le cours de la guerre contre le terrorisme et a mis en évidence que l’engagement de certains nations et coalitions n’était qu’un spectacle. En aidant le gouvernement légitime en Syrie, la Russie contribue également à contrer la menace terroriste qui sème une telle peur en Europe occidentale. Avec tout mon respect envers tous les acteurs internationaux, je crois que l’opération de la Russie en Syrie est la seule véritable campagne contre les terroristes.
Le chemin des migrants en Europe passe par la Serbie. Comment votre pays fait-il face à cette difficile situation ?
Pour l’instant, la Serbie a suffisamment de ressources, de patience et de conscience pour accepter tous les migrants arrivant dans notre pays. Dès le début, nous avons compris que la Serbie n’était pour eux qu’une voie de transit. C’est l’UE qui a établi cet itinéraire à travers la Macédoine et la Serbie, pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne. L’UE pourrait facilement modifier ce chemin, de manière à ce qu’il passe par la Grèce et la Bulgarie, et vers les cinq pays du nord de l’Europe, destination finale des réfugiés.
Tant que les frontières de l’UE sont ouvertes, la Serbie continuera à accueillir des migrants, accomplissant sa mission humanitaire, prenant soin d’eux, surtout des enfants, leur assurant le secours médicale, les aidant à survivre à cet hiver et leurs fournissant des moyens de transports pour qu’ils puissent se déplacer ensuite. Nous les enregistrons pour savoir qui est entré dans le pays et qui l’a quitté. Mais l’UE n’arrive pas à régler ce problème. La Serbie aimerait avoir des frontières ouvertes, mais ce serait étrange si l’Autriche, l’Allemagne et d’autres pays arrêtaient d’accueillir des migrants, et qu’ils continuaient d’affluer en Serbie.
Qu’allons nous faire si nous avons 20 ou 30 000 migrants en Serbie pour un an ou deux ? Je crois que même notre population traditionnellement accueillante, qui considère les migrants comme ses invités aujourd’hui, ne serait pas en mesure de le supporter.
Si votre pays devient membre de l’UE, vous ne serez plus en mesure de mener une politique d’immigration indépendante. Qu’attendez-vous de l’UE ?
Est-ce que nous nous attendons à une assistance de la part de l’UE ? Nous voulons simplement que l’Union européenne nous informe de ses projets, si elle en a du moins. Il est clair que les membres de l’UE n’ont pas de politique commune au sujet de l’immigration, de la reconnaissance du Kosovo et Métochie ou sur d’autres questions.
Nous n’avons pas besoin d’assistance - il nous faut tout simplement savoir pendant combien de temps ils vont accueillir des migrants, quand il cesseront de le faire, pour pouvoir faire de même. Nous n’allons pas mettre en place des murs et des clôtures.
La frontière entre la Serbie et la Hongrie court dans une vallée, on pourrait facilement y mettre une clôture. Les clôtures font les gens se sentir comme dans un camp de concentration. Je pense que c’est exactement ce que les policiers devraient sentir en regardant ces personnes derrière la clôture – qu’ils sont comme des gardes dans un camp de concentration.
En ce qui concerne les politiques communes des pays de l’UE, nous avons des pourparlers sérieux avec l’UE et nous respectons toutes les conditions stipulées dans les 34 chapitres de la plateforme de négociations de l’UE. Il y a beaucoup de lignes directrices que nous serions heureux de mettre en oeuvre en Serbie. Mais nous avons également des désaccords sérieux par rapport à certains élements. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Lorsque vous devenez membre de l’UE, cela veut dire que quelqu’un d’autre va déterminer votre politique étrangère. Nous ne pouvons pas le permettre, nous sommes un des seuls candidats doté d’une politique étrangère forte et indépendante.
La Croatie s’est dit opposée à l’adhésion de la Serbie à l’UE. Est-il possible que la Croatie, en tant que membre de l’UE, devienne un sérieux obstacle ?
Nous aspirons à avoir de bonnes relations. Nous n’avons pas de raisons de nous quereller avec la Croatie. Pourquoi en aurait-on ? Ils ne peuvent pas nous empêcher de devenir membre de l’UE. Un tel conflit ne pourrait être utilisé qu’à des fins de politique intérieure. Ils ont eu des élections, les hommes politiques ont donc dû faire semblant de protéger la Croatie de la Serbie. La Serbie n’aura plus jamais de guerre avec la Croatie, parce que mener une guerre contre la Croatie, cela veut dire mener une guerre contre l’OTAN.
L’OTAN est plus forte que nous, et nous ne voulons pas mettre en péril la vie de notre peuple, en risquant une lutte contre la Croatie. Si la Croatie se comporte raisonnablement, nous aurons de bonnes relations. Si c’est le contraire, nous aurons des relations glaciales. Mais l’idée d’un conflit ou d’une guerre ne vient pas à l’esprit de qui que ce soit de nos jours.
Pourquoi avez-vous une telle envie de rejoindre l’UE ? L’exemple de la Suisse montre qu’on peut facilement s’en passer...
Ce n’est pas vrai de dire que tout le monde quitte l’UE aujourd’hui. Si l’on avait dix banques suisses, on n’adhérerait pas à l’UE. Si l’on avait du pétrole, comme la Norvège, on n’adhérerait pas à l’UE. Si l’on avait une industrie du genre de celle de la Suède, on n’adhérerait pas à l’UE. Mais, sans aucun doute, nous sommes entourés par les membres de l’UE. Nous sommes donc complètement coupés. Nous n’avons aucune frontière avec la Russie, nous pouvons simplement affirmer que nos amis, nos marchés, nos produits de base, notre coopération, tout est concentré là. L’UE a bien investi dans notre pays. Certains européens intelligents se sont rendus compte que la Serbie avait des usines qui pourraient pénétrer le marché russe sans restrictions ou droits de douanes Il y a certains avantages à ne pas être membre de l’UE et à avoir des liens étroits avec la Russie. Maintenant l’Union européenne débat pour savoir s’il faut nous laisser adhérer ou pas. Pourquoi dirait-on qu’on ne veut pas adhérer à l’UE ? C’est à l’UE de décider si elle veut nous avoir comme membre ou pas. Nous insistons seulement sur le fait que nous ne voulons pas rejoindre l’OTAN, et personne ne pourra nous convaincre de faire autrement.