La vérité a mis 50 ans a surgir, mais on s’en doutait quand même un peu. Il manquait les preuves, les aveux, les témoins, et vu qu’il y a prescription... Le documentaire d’Olivier Toscer, (qui a été) journaliste au Canard enchaîné (qui fait la part belle à son journal et à son patron), diffusé sur France 5 le 7 novembre 2021, revient sur les années 1968-1972 qui ont vu les RG (renseignements généraux) et la DST (Direction de la Surveillance du territoire) faire face aux mouvements radicaux issus de Mai 68.
Il s’agissait pour les services de surveiller – rôle des RG –, infiltrer et manipuler – le rôle de la DST – les mouvements dits autonomes, qui devaient fournir les cadres et les exécutants des futurs groupes terroristes. Mais au départ, à la différence de l’Allemagne et de l’Italie, les radicalisés de l’époque n’ont pas forcément en tête de réaliser des attentats. Justement, la DST va les aider... Laissons parler les acteurs de cette page d’histoire, qui devrait résonner aux oreilles des familles des victimes des années de sang, celles du Premier ministre Manuel Valls. Heureusement, les attentats de 2015-2016 ne sont pas politiques...
Le documentaire commence bien, avec le commissaire Guy Piera, alors aux RG en 1968, qui balance :
« Quand il y a trois personnes qui se réunissent, il y en a une qui travaille pour moi. Voilà, c’est la bonne définition des renseignements généraux. »
On passe ensuite au témoignage de Dominique Defendi, en service de 1969 à 1972, un ancien de la DST dépêché à Sochaux pour savoir si les « mao » (les maoïstes) qui infiltrent les usines Peugeot sont pilotés par le KGB :
« Je suis rentré à la DST début 69, je suis affecté au service des manipulations. L’objectif est de manipuler les gens. Mon bureau était là, il y avait une fenêtre ici, une autre fenêtre là, voilà. Les écoutes téléphoniques se faisaient là-haut, quand on avait envie d’écouter quelqu’un, on le branchait puis on écoutait ce qu’il racontait, on visitait son appartement ou pas, selon les circonstances. C’était la guerre, c’était la guerre, évidemment. À la guerre comme à la guerre. »
Si les RG se limitent à la surveillance des ennemis de l’État, selon la définition du moment, la DST fait dans la provocation. Dominique Defendi reçoit l’ordre de recruter un indic chez les mao :
« On m’a dit démerde-toi, recrute quelqu’un, il nous faut un type dans la Gauche prolétarienne, notamment chez Peugeot. Ça a duré plusieurs mois quand même. Je cherchais, je passais mon temps à rencontrer des types, jusqu’au moment où je rencontre ce type. »
« Un simple ouvrier du nom de Denis Mercier », fait la voix off. Defendi reprend :
« Je le rencontre en me faisant passer pour un journaliste qui avait besoin de renseignements, en partant je le paye, je lui donne l’équivalent peut-être de 200 euros aujourd’hui, on avait passé deux heures, ça avait l’air de l’intéresser bigrement, bon. On venait dans un sous-bois discuter, je venais avec ma voiture, je me planquais, dans des endroits différents d’ailleurs. Je changeais de voiture évidement à chaque fois, j’avais des plaques minéralogiques différentes, et puis un beau jour je me penche, ma veste – j’avais toujours l’arme à gauche –, je me penche comme ça, il était là, il voit mon pistolet, donc il a compris. Je lui montre ma carte, je lui dis : “voilà, c’est très simple, j’ai besoin de renseignements, je vais même aller plus loin, je vais te payer bien plus maintenant”. Donc là j’ai joué cartes sur table. Je lui donnais petit à petit des enveloppes de liquide, il signait des reçus, alors il s’embarquait, une fois qu’il avait signé, il ne pouvait plus faire marche arrière. »
Soudain, l’infiltration vire au sérieux.
« Je me souviens d’un jour où on m’a convoqué, “vite vite Dominique faut que t’ailles voir le patron, il t’appelle”. Bon, j’arrive dans son bureau : “il faut que les Français votent du bon côté. Tu sais ce qu’il faut faire ?” Eh ben on va, “non”. “Eh ben si y a quelques attentats, ça va les rasséréner, ils vont voter à droite”. Il fallait orienter positivement les élections ; positivement, de son point de vue. Et pour orienter positivement les élections, il fallait faire un peu peur aux Français. Et la peur est le début de la sagesse, et ils votaient sagement dans le sens désiré, dans le sens de Marcellin [le ministre de l’Intérieur de l’époque, un dur – NDLR]. C’était pas pour voter à gauche, c’est clair, Marcellin était pas beaucoup à gauche. C’était pas son style. »
La voix off détaille le modus operandi. La DST bascule...
« La DST ordonne à son indic Denis Mercier de pousser ses camarades à commettre un attentat dans les usines Peugeot. D’informateur, Mercier devient manipulateur. Fidèle à sa réputation, le contre-espionnage vient de monter ce qu’on appelle dans les services une barbouzerie. La DST a averti le sous-préfet local de cette opération secrète. Mais elle n’a pas mis le commissaire Piera [RG] dans la confidence. »
Piera, chef des RG de Sochaux-Montbéliard de 71 à 74, raconte l’intervention in extremis de son service.
« Ce jour-là, en fin d‘après-midi, le sous-préfet m’accueille, vous savez, avec ce petit sourire narquois des gens qui savent par rapport à ceux qui sont dans l’ignorance : “il va y avoir un attentat cette nuit”. Finalement, nous avons intercepté le groupe de la Gauche prolétarienne chargé de faire l’attentat devant le hall d’exposition des véhicules Peugeot à Sochaux-Montbéliard. Nous avons interpellé des gens qui s’apprêtaient à commettre un attentat. »
Defendi devra faire en panique le nettoyage de la cave de Mercier avant la perquisition des RG !