La présidente du Front national voulait faire parler d’elle ? C’est gagné. Mais qu’y a-t-elle gagné et que pourrait-elle y perdre ? C’est une autre histoire. Tentative de réponse.
Le contexte
Contrairement à ses homologues de droite comme de gauche, Marine Le Pen a pris de longues vacances d’été. Il lui fallait donc un cartable bien rempli pour la rentrée, ce la veille d’une Université d’été du Front national, laquelle eut lieu en automne… D’où cet entretien paru en une du Monde, le vendredi 21 septembre, où elle se prononce pour l’interdiction du foulard, non seulement dans les transports en commun, mais également sur la voie publique, et de la kippa…
Vision politique à court ou long terme ?
Hormis la couverture médiatique, que peut lui rapporter cet effet d’annonce ? Évacuons de suite la question de la kippa, qu’elle a elle-même rapidement mise de côté, suivant ou précédant les propos de Gilbert Collard, l’un des deux députés « Rassemblement Bleu Marine » à l’Assemblée nationale, avec sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen. Reste donc la question du foulard.
À court terme et en calculs électoraux, Marine Le Pen appuie là où ça fait mal et où ça peut rapporter gros. C’est un fait, l’islam fait peur… tout comme le Front national, par ailleurs. Cette mauvaise image, est-il toujours possible de la mettre sur le dos de médias malveillants ? Il est un fait qu’ils le sont parfois, tant il est facile de filmer en gros plan, dans telle ou telle manifestation, un barbu éructant des slogans belliqueux, ou un crâne rasé braillant d’autres slogans tout aussi injurieux dans leurs respectives manifestations de rue. Chacun est malgré tout responsable de son image publique et force est de reconnaître que celle des musulmans n’est souvent pas bien meilleure que celle du Front national…
En termes de marketing électoral, Marine Le Pen surfe donc sur le court terme. À plus long terme, forte de ce bref succès tactique, elle commet, nous le croyons, une erreur stratégique, en plus d’une proposition injuste au regard des libertés individuelles. Car ces voix de “laïcité de combat”, combien de divisions ? Quelques dizaines de milliers, soit à peine moins que celles d’une communauté juive par ailleurs si divisée. À l’aune de quelques six millions de suffrages potentiels de la communauté musulmane ; le calcul, pis que d’être cynique, est-il simplement idiot ?
Au-delà de ces considérations électorales, il serait bien de savoir un jour ou l’autre si son discours vient du cœur ou des instituts de sondages. Appeler à une alliance de tous les patriotes, fort bien, mais qui ne peut que rester que lettre morte tant que les musulmans s’en retrouveront de fait exclus.
Continuons à nous montrer politiques, exercice dans lequel, ces temps derniers, la dame en question semble modérément briller : les enfants de l’immigration, ayant majoritairement grandi dans les cités périphériques, avaient la culture socialiste du clientélisme associatif. On votait PS parce que la mairie locale distribuait des emplois de “grands frères” ou “d’animateurs”. Un peu comme les Corses de Marseille votaient jadis pour un Gaston Deferre lorsque, ménageant les clans, il distribuait des postes d’employés communaux afin d’acheter la paix sociale. Ou les Corréziens en Chiraquie parisienne, etc.
Depuis quelques années, certains de nos fils et filles de France avaient commencé à dépasser cet apartheid communautariste. Cette lente construction citoyenne sera-t-elle obérée par un simple effet d’annonce, manifestement signé du sceau de l’opportunisme ?
Jusqu’avant cette ultime sortie, malgré des propos trop souvent maladroits, quand ils n’étaient pas blessants, de Marine Le Pen lorsqu’elle évoquait l’islam et les musulmans, un certain nombre d’entre eux n’écartaient pas la possibilité de passer le pas. Leurs tuteurs socialistes d’autrefois ayant largement déçu, principalement sur la question de l’emploi, en raison de leur credo néolibéral indissociable de leur euro-mondialisme inflexible, aujourd’hui ornementés d’investissements issus du Qatar, telle la corne sur la gazelle.
De plus, l’actuelle vision de la famille engage les socialistes dans une politique de droit au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels qui ne pouvait qu’heurter à terme les convictions religieuses et sociétales des fils et filles de France. Bref, de ce grand écart pouvait jaillir, dans le futur, un grand rendez-vous… Un gisement électoral, même, que Nicolas Dupont-Aignan a su reprendre au vol sur Twitter, en se démarquant de l’intégrisme laïc : « L’interdiction du voile et de la kippa dans la rue n’a aucun sens. La laïcité même dans l’esprit le plus strict ne peut aller aussi loin. » Comme quoi, général avec peu de troupes, on peut faire preuve de plus de sens politique qu’un général troupier, mais sans tête…
Une politique vestimentaire ?
Pis, Marine Le Pen, avocate de profession, sait bien que les lois ne sont pertinentes que dès lors qu’elles ont une chance d’être appliquées dans le champ public. En effet, comment imaginer que des policiers, pourtant débordés par la délinquance, dans les cités pauvres et les quartiers chics, aillent se transformer en brigades de la lutte contre le vice et la défense de la vertu, façon saoudienne ? Iront mesurer la longueur des voiles et la taille des jupes et autres djellabas, tout en occupant ce qui leur restera de temps libre à traquer les kippas rue des Rosiers, à Paris ?
La délinquance de masse est une affaire assez sérieuse pour ne pas aller créer, d’un coup de tampon administratif, quelques autres millions de délinquants potentiels dont le seul crime aura été de sortir un peu trop couverts…
Tout cela pour dire que les fils et les filles de France étaient en droit d’attendre mieux d’une femme qui prétendait rassembler toutes les Françaises et les Français, au nom de l’intérêt supérieur de la nation.