Dame Nature n’est pas si mauvaise fille que ça. En 2009, lors de la grande conférence sur le climat, qui devait être notre dernière chance de sauver celui-ci, elle avait certes amené nombre d’officiels à quitter précipitamment Copenhague avant d’être bloqués par une tempête de neige. Les indicateurs bricolés pour mesurer l’évolution thermique de la Terre ne montrent certes plus d’augmentation de la température dite « globale » depuis quinze à dix-huit ans selon les sources, une durée comparable à celle qui a vu notre planète se réchauffer. Néanmoins, à cinq mois de la conférence de Paris (COP21) visant à trouver un accord international afin de donner une suite au protocole de Kyoto, elle offre au gouvernement une petite branche à laquelle s’accrocher : en ce début d’été, il fait chaud.
Lorsque l’on est dans les starting-blocks en attendant le coup de feu du starter, l’adrénaline peut conduire au faux départ. Marisol Touraine, ministre de la Santé, peut en témoigner. Aux premières chaleurs du début juin, sa secrétaire d’État aux personnes âgées avait en effet déclaré que les ministres allaient annoncer le déclenchement des mesures canicule pour au moins quarante-huit heures. Le rétropédalage ne tarda pas : à l’occasion de la visite d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad, autrement dit une maison de retraite), il ne s’est plus agi que de rappeler les mesures prévues en cas de canicule.
Il faut dire que la très remarquable canicule de 2003 est dans toutes les mémoires. Notamment des personnalités en vue du ministère de la Santé. À l’époque, le docteur Jean-François Mattéi, en charge de ce portefeuille ministériel, n’avait pas pris la mesure de ce qui était en train de se passer : sans interrompre ses vacances, il s’était voulu rassurant dans un entretien accordé en tenue décontractée. Bilan : près de 15 000 morts, essentiellement des personnes âgées, seules.
C’est à la suite de ce drame, révélateur de l’état de la société plus que de l’évolution climatique, même si les médias ont traité ces deux points à l’inverse de leur pertinence, qu’a été créé le « plan national canicule », activé chaque année du 1er juin au 31 août et entrant automatiquement au niveau 1, celui de la veille saisonnière. Une manière de faire savoir que les équipes sont sur le pont, que tout le monde est au taquet, aux aguets. Les trois autres niveaux sont nommés « avertissement chaleur », « alerte canicule » et « mobilisation maximale » et correspondent respectivement aux alertes jaune, orange et rouge sur les cartes de Météo-France. Nous sommes actuellement en alerte orange dans un grand nombre de départements.
Pas question, donc, de répéter les erreurs du passé, surtout dans le contexte des premiers départs en vacances. Des patrouilles pourront porter secours aux automobilistes en difficulté. Des brumisateurs seront disponibles sur les aires de repos des autoroutes. On ne le sait pas assez, mais s’humidifier le visage sans avoir à se mouiller les mains peut sauver des vies. Une autre grande question a surgi : peut-on se permettre de ne pas interdire les compétitions sportives du week-end ? Souhaitant ne pas se mouiller, ce qu’il recommande pourtant, le gouvernement a laissé ce point à l’appréciation des préfets. La mairie de Paris a quant à elle décidé d’annuler l’événement Femmes en sport, repoussé à la rentrée.
On le voit, rien n’est laissé au hasard. Chacun y va de ses recommandations sur Tweeter. Habituée à occuper la scène médiatique, la plus active est Ségolène Royal, devançant Marisol Touraine.
À ces bons conseils au quatrième âge, dont les représentants sont, comme l’on sait, très actifs sur les réseaux sociaux, répondent les followers. En résumé et principalement, un profond désintérêt, des demandes de ne pas être pris pour des neuneus et l’interrogation fondamentale vis-à-vis de tout gouvernement : faut-il être ministre pour débiter de telles fadaises ?
Le ministère de l’Intérieur n’est pas en reste.
Ce à quoi les internautes répondent qu’ils feraient mieux de courir après les terroristes.
Or, donc, il fait chaud. Et même très chaud. Nul n’en disconviendra. Mais avant de voir à quel point et ce que l’on peut faire de cette information, regardons d’abord pourquoi il fait chaud et ce qui peut faire varier à la baisse ou à la hausse les températures enregistrées.
Les météorologues parlent classiquement de situation de blocage : la persistance de hautes pressions conduit à une situation de beau temps stable, ce qui, en cette période de l’année, peut aisément mener à de très fortes températures, le Soleil au zénith étant haut sur l’horizon et le jour long. Les déperditions de chaleur durant les courtes nuits estivales sont alors insuffisantes pour équilibrer l’échauffement diurne et l’augmentation des températures se poursuit.
Pour pouvoir parler de canicule, il faut que les températures diurnes et nocturnes dépassent certaines valeurs, variables dans l’espace, durant au moins trois jours et trois nuits. Le point de vue adopté étant avant tout sanitaire, la variabilité de la définition est pleinement justifiée : on est bien plus accoutumé à 30 °C à Avignon qu’à Brest. C’est ainsi que les valeurs minimales diurnes et nocturnes requises pour que l’on puisse parler de canicule s’échelonnent de 31 °C et 18 °C dans le département de la Manche à 36 °C et 23 °C dans le Gard, en passant par 31 °C et 21 °C à Paris.
Chacun a pu constater à maintes reprises à quel point il fait plus chaud en ville qu’à quelques kilomètres de là, à la campagne. Cette différence thermique s’explique par l’inégale répartition de l’énergie reçue du Soleil en chaleur sensible et chaleur latente. La chaleur sensible est celle que l’on ressent et que l’on peut mesurer à l’aide d’un thermomètre. L’autre partie de l’énergie reçue va servir à évaporer l’eau des lacs et rivières, des sols humides, mais aussi celle de la transpiration, notamment des végétaux. Cette part de l’énergie absorbée est appelée chaleur latente car elle sera libérée et donc de nouveau disponible, sous forme de chaleur sensible, lorsque la vapeur d’eau sera condensée et redeviendra de l’eau liquide ; mais en attendant, elle est soustraite aux thermomètres. On comprend aisément que cette part de chaleur latente est plus importante en milieu rural que dans l’environnement minéral des villes, où la quasi-totalité de l’énergie reçue est convertie en chaleur sensible. C’est ce qu’on appelle l’effet d’îlot de chaleur urbain.
- Modélisation de l’îlot de chaleur urbain de l’agglomération parisienne durant la canicule de 2003, sous forme de transect de banlieue ouest à banlieue est, en passant par le centre de Paris
(La température nocturne est en ordonnée)
Ce graphique, qui superpose les températures à un instant donné et l’occupation du sol, ici très urbanisé, est très parlant. La baisse induite par la présence de la Seine et du Bois de Boulogne est flagrante. La carte suivante en dit long aussi, qui permet d’embrasser d’un regard l’agglomération parisienne et ses environs.
- Cartographie des températures à 22h réalisée lors de la 1ere quinzaine d’août 2003 en Île-de-France (Source : Cnes)
Il est manifeste que de tels épisodes chauds sont beaucoup plus supportables dans un environnement verdoyant, ou au moins en rase campagne, qu’en centre-ville. Avec l’esprit évidemment mal tourné, on pourrait même pousser la réflexion plus avant. Dans cette région, pour parler de canicule, il faut que la température nocturne ne baisse pas en dessous de 21 °C. Cela n’a manifestement pas été le cas dans les communes suffisamment éloignées de Paris en 2003. Nombre de stations météorologiques qui se situaient en dehors des villes ayant été gagnées par l’urbanisation, ne faut-il pas se demander si ces changements d’usage des sols ne sont pas pour beaucoup dans la caractérisation en épisodes caniculaires de nombre de situations que l’on aurait décrites sans cela comme seulement très chaudes ? Le bon sens et la connaissance du passé portent à le croire.
La carte suivante montre le spectaculaire développement de l’agglomération parisienne. Réel mais lent durant des siècles, il a connu une très forte accélération aux XIXe et surtout XXe siècles.
- Évolution de l’emprise de l’agglomération parisienne de 1200 à nos jours (source)
La comparaison, à un siècle d’écart, des situations de 1901 et de 2010 est criante. L’agglomération a connu un développement tentaculaire. Quelle cartographie des températures (carte précédente) aurait-on obtenue au début du XXe siècle à situation météo identique à celle de 2003 ? La canicule actuelle, qui touche aussi les milieux ruraux, aurait-elle eu une telle ampleur ? Il est permis d’en douter. Le cas de Paris, bien étudié [1], montre que l’écart moyen entre la ville et la campagne y est de 3 °C, s’échelonnant de 0 °C (le brassage par un vent suffisamment soutenu uniformise les températures) à 10 °C dans les cas les plus favorables. Un exemple de réchauffement anthropique réel, mais localisé, à même d’altérer la mesure du réchauffement prétendument anthropique de l’ensemble du globe. Mais pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce biais ne contamine la mesure du réchauffement global qu’à hauteur de 0,06 °C en un siècle, autrement dit rien.
Laissons le GIEC à sa propagande et regardons maintenant quelques épisodes très chauds du XXe siècle, en ayant en tête que la mesure des températures à l’époque n’était pas autant qu’aujourd’hui entachée d’un important biais de majoration, loin s’en faut.
Le printemps de l’année 1911 ne laissait pas entrevoir la chaleur estivale à venir : dans la première quinzaine d’avril, il neige un peu partout en France et les températures sont bien basses, négatives jusqu’au pourtour méditerranéen inclus. Cela n’empêche pas une chaleur étouffante de régner sur la France de début juillet jusqu’à la mi-septembre. On notera particulièrement les 22 et 23 juillet, avec plus de 35 °C sur pratiquement tout le territoire, jusqu’à 38 °C à Bordeaux, Châteaudun, Lyon et Besançon. En août, la période la plus remarquable s’étend du 5 au 20 : on relève jusqu’à 37 °C à Paris, 38 °C à Lyon (comme dans la banlieue de Londres), 39 °C à Toulouse. Septembre n’est pas en reste, surtout du 6 au 9 : 35 °C à Brest, encore 36 °C à Paris et 38 °C à Toulouse.
- Conseils d’hygiène aux personnes s’occupant de jeunes enfants lors de très fortes chaleurs. À cette époque, ce sont majoritairement les enfants de moins de deux ans qui meurent pendant les canicules.
L’année 1921 est marquée par une grave sécheresse, commençant en hiver, se poursuivant au printemps, malgré de la neige sur presque toute la France à la mi-avril, et s’aggravant avec les fortes chaleurs estivales. Fin juin, il fait jusqu’à 39 °C à Brive-la-Gaillarde, 37 °C à Bordeaux et La Rochelle. La vague de chaleur atteint son maximum à la fin du mois de juillet : sur les trois quarts du territoires, il fait plus de 38 °C, entre 40 °C et 42 °C à Vesoul, Besançon, Albertville, Bourg-en-Bresse et Moulins. On notera aussi que c’est le 13 de ce mois qu’a été relevée la plus chaude température en France, à Bourg : 44,8 °C, une valeur cependant non officielle. Début août n’est pas en reste, 34 °C à Paris, 37 °C à Saint-Étienne, 38 °C à Marseille, 39 °C à Nîmes. Après quelques gelées précoces fin septembre, le début octobre est lui aussi concerné par les fortes chaleurs : au cours de la première semaine, les températures dépassent partout 30 °C, allant jusqu’à 36 °C au pied des Pyrénées.
En 1923, la chaleur fait preuve de précocité : 24 °C à Paris le 26 mars. Le 5 mai, il fait partout plus de 30 °C, jusqu’à 37 °C à Biarritz. Après une mois de juin frisquet, le mercure monte à nouveau fortement en juillet. Plus de 35 °C sur presque tout le pays du 5 au 15, avec 38 °C à Rouen et plus de 40 °C dans les Deux-Sèvres. Du 5 au 15 août, rebelote, particulièrement le 8 et le 9. C’est à 8 kilomètres de Toulouse, à Saint-Simon, qu’est alors enregistré le record de France (44,0 °C), valeur la plus élevée du XXe siècle, qui ne sera battu qu’en 2003 d’un dixième de degré (dans le Gard).
L’année 1928 connaît deux intenses vagues de chaleur : la première quinzaine de juillet, avec notamment, au milieu du mois, 36 °C à Paris, 37 °C à Lille, 38 °C à Châteauroux, 40 °C à Angoulême et 40,5 °C à Fourvières ; le seconde, qui s’étend du 26 juillet au 12 août, avec des températures fréquemment supérieures à 35 °C, jusqu’à 39 °C à Bordeaux et Ajaccio, 40 °C à Montélimar et Orange, 41 °C à Angoulême.
L’année 1947 est une année exceptionnelle. Après une vague de froid très marquée en janvier et février, c’est la chaleur qui va marquer les esprits. Dès fin avril, il fait chaud. Fin mai-début juin, les températures grimpent à 33 °C à Paris, 35 °C à Biarritz. Fin juin, il fait 38 °C à Paris, Bordeaux et Reims, 40 °C à Auxerre. Fin juillet-début août est une période intenable, particulièrement les 27 et 28 juillet : 40 °C à Angoulême, Toulouse, Bourges, Angers, Tours, Château-Chinon, Orléans, Chartres et Paris. Début août, la température baisse à peine (encore 40 °C dans le sud, 39 °C à Angers et Poitiers, 38 °C dans le centre du pays). Après un relatif répit, la chaleur revient dans la seconde moitié du mois d’août, notamment du 14 au 20. Le 18, il fait 38 °C à Tours, 37 °C à Paris. L’été se prolonge au mois de septembre et, du 11 au 18, les températures diurnes dépassent 33 °C à Paris.
Cette énumération un peu fastidieuse doit beaucoup au remarquable travail de compilation de Guillaume Séchet [2]. Bien que faisant l’impasse sur nombre d’étés caniculaires de la première moitié du XXe siècle (en plus des précédentes, les années 1900, 1904, 1922, 1928, 1929, 1931, 1932, 1933, 1937, 1938, 1945, 1949, 1950 connaissent toutes des épisodes de températures estivales dépassant 38 °C, parfois jusqu’à 41 °C), ces quelques exemples montrent bien que les très fortes températures ne sont pas anormales au sens usuel du terme, même s’il faut accueillir ces données avec la prudence nécessaire. Les relevés les plus anciens ont pu majorer quelque peu les valeurs réelles (avant la généralisation des abris dits de Stevenson). Mais les îlots de chaleurs urbains en font tout autant actuellement. Peut-être même plus.
Il arrive bien sûr que des records soient battus. Mais le sensationnalisme journalistique sait aussi trouver les mots pour impressionner lorsque ce n’est pas le cas. À Paris, « on a frôlé les 40 °C avec 39,7 °C, plus que lors de la canicule de 2003 (39,5 °C) »... mais moins qu’en 1947 (40,4 °C). On débusque les records des stations n’ayant un recul historique que limité. Enfin, on invente un nouveau type de record : à tel endroit, il n’avait jamais fait aussi chaud un 5 juillet. Et tant pis si c’est moins que le 4 ou le 6 !
Dame Nature se prête ainsi de bonne grâce aux besoins de l’époque. Le gouvernement peut montrer son savoir-faire en matière de communication avec le petit peuple (« si vous avez chaud, rafraîchissez-vous ») et faire monter la mayonnaise sur le réchauffement, avec l’aide des médias, avides de sujets légers durant les « grandes vacances ». Il importera sans doute peu à ces gens-là de savoir que tous les records de chaleur continentaux ont presque tous plus de cinquante ans, soit bien avant les débuts officiels du réchauffement anthropique : Europe (1977, quand d’aucuns alertaient sur le refroidissement alors en cours), Amérique du Nord (1913), Amérique du Sud (1905), Asie (1942), Océanie (1960), Afrique (1931). Le record mondial revient à l’Amérique du Nord, avec 56,7 °C le 10 juillet 1913, dans la bien nommée vallée de la Mort, en Californie, dans un ranch qui portait à l’époque le nom de... Greenland !
Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour l’automne, quand, une nouvelle fois, politiques et journalistes redécouvriront sans comprendre ce qu’est le climat méditerranéen et ses fortes averses génératrices de crues soudaines. Laurent Fabius, au plus près de la conférence de Paris, pourra de nouveau mettre en avant son concept de chaos climatique, faisant fi des événements passés et pourtant bien connus. L’homme sans racines et sans mémoire, éloigné de sa terre, s’inquiétera de ses paroles, tandis que les autres ne l’écoutent plus depuis longtemps.