Un article de Libération Mort du vigile : la piste tenace du racisme paru le 10 mai 2010, quelques semaines après la mort de Saïd Bourarach (photo ci-dessus) - ce vigile tabassé et noyé par quatre ou six personnes dans le canal de l’Ourcq - donne un exemple remarquable de la facilité avec laquelle on peut éluder le caractère raciste d’un acte.
On se souviendra peut-être de ce drame, mais sans doute pas de la manière particulière dont la presse a immédiatement lavé de tout soupçon de racisme les auteurs des faits.
Dépités de se voir refuser l’accès à un magasin de bricolage qui venait de fermer quelques minutes plus tôt, plusieurs membres de la communauté juive et se revendiquant comme tels avaient roué de coups un vigile d’origine maghrébine, avant de le jeter ou le laisser - vivant ou mort - dans le canal voisin. On retrouva le corps le lendemain.
Les médias et autres guides de la pensée, toujours prompts à dénoncer les actes racistes, avaient à cette occasion fait preuve d’une singulière prudence, voire d’une dialectique que l’on apprécierait voir observée pour l’analyse de tous les faits divers où l’appartenance religieuse, culturelle ou ethnique des protagonistes peut apporter une explication.
En l’espèce, les agresseurs étaient sans la moindre contestation possible fondamentalement attachés à leur communauté, avec pour au moins l’un d’eux les preuves d’un attachement à un mouvement extrémiste (L’association amicale sportive ou autre dénommée LDJ). Ils le revendiquaient.
Le caractère au moins pour partie raciste de l’agression semblait évident. Certes pas certainement, mais assez pour que la question soit posée.
Libération a dressé un portrait sans complaisance du principal suspect, décrit comme particulièrement violent. Pour le journal, cette violence expliquait à elle seule les faits. Le meurtrier était plus "un jeune de banlieue revendicatif, qu’un dangereux idéologue". Exit la question du racisme ou du communautarisme.
L’article citait aussi l’avis d’un membre de la communauté juive, qui adoptait le même raisonnement : "Ces salauds, puisque c’est comme ça qu’il convient de les qualifier, ne peuvent être assimilés à des militants sionistes. Pour la simple raison qu’ils sont dénués de toute religiosité. Un extrémiste sioniste, tel qu’il se doit, respecte la religion… Les agresseurs de Saïd n’ont rien respecté de cela. Je pense très sincèrement qu’ils n’ont obéi qu’à la haine et qu’ils auraient pu tout aussi bien tabasser un vigile de magasin casher."
En d’autres termes, puisque l’acte était condamnable par la religion de son auteur, celle-ci n’avait pas à être prise en compte pour expliquer les faits. Il en serait de même pour toute idéologie ou culture tribale, lesquelles ne pourraient pas avoir d’influence sur les individus et seraient exemptées de toute responsabilité.
Ce raisonnement se conçoit, puisque le racisme n’explique pas tout et qu’il n’existe pas de dogme appelant à la violence en raison d’une appartenance à un groupe social, religieux ou ethnique, sauf à ce qu’il soit interdit et réprimé par la loi. Alain Soral est parfaitement clair sur le sujet, dans "Comprendre l’Empire" : aucune idéologie ne prône le mal. J’ignore ici volontairement les textes religieux ou politiques qui par bribes légitiment des crimes et appellent au meurtre. Ils datent d’un autre âge et ne sont pas suivis ou enseignés, sauf par des exégètes fanatiques.
L’argumentation contenue dans l’article de Libération écarte bien facilement le racisme, et on devrait pouvoir l’appliquer de manière constante, ce qui n’est hélas pas le cas selon la communauté à laquelle appartient ou est supposée appartenir la victime.
Ainsi, des faits de violence sont lavés de toute connotation raciste, au seul motif qu’ils ne correspondent pas strictement aux règles communautaires du fauteur de troubles.
On aimerait (ou pas) qu’il en soit ainsi pour chaque fait divers comparable, avec la même approche par les médias et autres commentateurs : toute affaire de ce type ne serait plus qu’un simple fait divers de droit commun, sans jamais qu’il faille y rechercher racisme ou xénophobie.
Les autres publications concernant l’affaire Bourarach ont été hélas bien rares, même à l’occasion du deuxième anniversaire du drame.
Une recherche sur le site de la LICRA ne donne qu’un seul résultat, daté du 6 juillet 2010. Il s’agit de la présentation de la réaction d’Alain David, militant associatif, à une manifestation organisée le 29 mai pour réclamer "la vérité et la justice pour Saïd Bourarach".
Pour une organisation dont l’objet déclaré est de lutter contre le racisme, on pouvait s’attendre à lire un article condamnant le crime dont a été victime un maghrébin, apparemment commis par des personnes se déclarant sionistes, et appelant au respect mutuel des origines et croyances, voire simplement de la loi.
Ici, le crime n’est même pas dénoncé. L’auteur ne fait qu’un procès en antisémitisme.
La seule critique est celle faite... aux manifestants ! L’auteur leur reproche de tirer parti du sionisme de l’agresseur, pour justifier un bien supposé antisémitisme. C’est le raccourci, éculé mais pourtant toujours d’actualité, qui est fait entre l’antisionisme et l’antisémitisme.
Le problème n’est pourtant pas là. Il l’est d’abord - pour ne pas dire seulement - dans la motivation raciste en tout ou partie du crime.
Le racisme est pénalement réprimé, et devrait pour la morale universelle et la paix sociale être combattu par chacun. La France ne manque pas d’exemples constants de la dénonciation du racisme, et évidemment de son expression (obligatoirement) la plus ignominieuse qu’est l’antisémitisme.
Mais pourquoi le racisme est-il mis plus ou moins en avant selon le cas, et immédiatement écarté dans celui de Saïd Bourarach ?
Deux poids. Deux mesures. On connait le barème appliqué par la pensée unique.
Au moins, l’exemple de raisonnement donné par Libération et la LICRA est une bonne leçon pour apprendre à motiver sans peine la dénégation d’une accusation de racisme : "Sa religion et son peuple ne sont pas racistes, donc son acte ne peut pas l’être. Ce n’est que pure violence personnelle".
Un moyen aisé, pour se dédouaner de ses actes les plus vils.
Quant à Saïd Bourarach, le message est aussi clair que les derniers mots du "Voyage au bout de nuit" : "qu’on n’en parle plus".
Post-Scriptum :
Puisque l’internet n’oublie rien, tapez le mot "Bourarach" sur vos moteurs de recherche, afin de trouver les articles de presse liés à sa mort. Un vide quasi abyssal, à l’image de ce qu’ont connu sa veuve et ses enfants : pas une lettre de condoléances de son employeur, pas de message ni même d’acte de soutien des pouvoirs publics, pas une aide... aux seules exceptions des initiatives d’E&R et de Dieudonné. Noterons-nous sur nos agendas le prochain anniversaire de sa mort (30 mars) ? Dirons-nous à sa famille qu’elle n’est pas seule ?