Alors que les évènements en Libye ont visiblement définitivement basculé avec la chute du leader libyen Mouammar Kadhafi, tous les regards sont désormais braqués sur la Syrie de Bachar el-Assad. Durant les sept premiers mois de l’année 2011, face au printemps, puis à l’été arabe, la diplomatie russe a souvent semblé hésitante alors que de nombreux observateurs s’attendaient à des positions tranchées, dans la continuité d’une certaine ligne diplomatique bien éprouvée.
Bien au contraire, la Russie a eu une position attentiste et prudente, dans laquelle il n’a pas été facile de discerner une quelconque ligne directrice. L’affaire libyenne a même provoqué un début de confusion dans la diplomatie russe : en effet, le premier ministre russe en mars dernier avait assimilé l’opération militaire occidentale en Libye a une croisade alors que le président avait déclaré dès le lendemain que le terme de croisade était inadapté et inacceptable.
Nombre de spécialistes et observateurs, à ce moment là, ont imaginé que c’était le début des hostilités entre les deux hommes en vue de l’élection présidentielle russe de 2012, mais également l’apparition au grand jour de deux courants d’idées qui pourraient s’affronter, au cœur du pouvoir russe. Le jour suivant, le porte-parole du Kremlin avait affirmé que les propos du président Medvedev n’étaient pas destinés au premier ministre mais qu’il s’agissait d’une réponse à une déclaration du guide libyen qui avait aussi accusé les occidentaux de mener une croisade contre son pays.
Pour autant, l’absence d’utilisation du droit de veto par la Russie, au moment de la résolution 1973 de l’ONU est un fait concret, qui a été interprété comme un replacement diplomatique de la Russie. Aujourd’hui, alors que la Syrie, considérée comme proche de Moscou, est face à une situation chaotique, et que certains leaders politiques ont déjà affirmé que le pays est le suivant sur la liste, que pourrait-il se passer ?
Quelle pourrait être la position de la Russie en cas de vote d’une résolution de l’ONU contre le régime syrien ? Plus globalement quelles conclusions peut-on tirer des prises de position diplomatiques russes récentes à propos des évènements dans le monde arabe ?
Tout d’abord il faut écarter ce mythe selon lequel il y aurait une liste d’Etats autoritaires destinés à subir des révolutions démocratiques inévitables, certaines de renverser les pouvoirs en place. Le mécanisme des révolutions organisées (révolutions de couleurs) qui ont eu lieu en Eurasie, puis plus récemment en Tunisie ou en Egypte par exemple, n’a pas réussi partout. Un certain nombre d’états politiquement et économiquement solides n’ont pas succombé aux manifestations de masse et aux désordres organisés, que l’on pense à la Russie, à la Biélorussie, à l’Iran, au Venezuela ou encore à la Chine.
Par ailleurs, il faut remarquer que les révolutions qui ont eu lieu en Tunisie et en Egypte ont rapidement débouché sur des problèmes économiques importants et n’ont pas encore livré de résultats clairs en matière de gains démocratiques. Mais les évènements en Libye ou en Syrie n’ont plus rien à voir avec ces mécanismes de tentatives de révoltes non violentes. Il s’agit de rebellions organisées, militarisées (par plusieurs puissances occidentales dans le cas de la Libye), et basées sur des oppositions tribales, ethniques, ou religieuses. La diversité des situations a fait que la Russie n’est pas le seul Etat à faire preuve de prudence face aux évènements qui secouent le monde arabe.
La Russie avait voté la résolution 1970 de l’ONU (embargo sur les armes). Elle était opposée au vote de la résolution 1973, mais s’est abstenue plutôt que de faire veto. En agissant ainsi, la Russie ne s’est pas du tout isolée comme l’a très bien noté note l’analyste Eugene Ivanov. Au contraire, elle a rejoint un groupe d’abstentionnistes, composé de la Chine, de l’Allemagne, du Brésil mais également de l’Inde. Une ligne BRIC élargie à l’Allemagne, moteur de l’Europe. Cette coïncidence entre les positions de la Russie et de l’Allemagne est un fait nouveau et intéressant, surtout au moment ou la France s’alignait sur les positions anglo-saxonnes et guerroyait aux cotés de l’Angleterre, puis de l’Otan.
Bien sur la personnalité du guide Libyen, indéfendable sur la scène internationale a surement incité les états qui étaient opposés à l’intervention militaire, comme la Russie ou la Chine, à ne pas prendre position plus fermement.
Pour la Russie, la perte financière potentielle sur les contrats engagés avec le gouvernement Kadhafi n’a visiblement pas justifié de froisser une partie de la communauté internationale avec laquelle la Russie est en négociations sur des sujets très sensibles, comme l’entrée dans l’OMC ou le bouclier anti-missiles en Europe. En outre les représentants de l’opposition libyenne viennent d’affirmer qu’ils envisageaient de coopérer avec les pays industrialisés, y compris la Russie et la Chine, au nom de la renaissance et du redressement de la Libye.
La Syrie est sans doute un autre cas de figure. Pendant le mois d’août, la Russie et la Chine se sont opposées au vote de la résolution proposée par le conseil des droits de l’homme. Mieux la Russie est à l’origine d’une nouvelle résolution, soutenue par le groupe BRIC, ce qui montre qu’elle entend ne pas être écartée du dossier Syrien. Aujourd’hui la ligne officielle russe est celle du soutien au pouvoir Syrien. Ce soutien de la Russie à la Syrie est interprété de diverses manières. Fidélité à un allié de longue date, ou désir d’éviter une déstabilisation de la région, Liban et Israël compris.
Pour autant, en Libye comme en Syrie, la Russie a envoyé ses représentants discuter des le début avec l’opposition. Toujours pendant le mois d’août le président russe a fermement incité le leader Syrien à réformer le système politique du pays, emboitant ainsi le pas à la Turquie (un allié de longue date de la Syrie et de la Russie) mais aussi à ligue arabe, qui a également fermement condamné la répression excessive des manifestations. Cet alignement sur les prises de position de la ligue arabe montre que Moscou est sorti du dogmatisme postsoviétique de défense systématique des leaders historiques, en étant prête à collaborer avec une certaine ligne médiane et modérée, représentée par la ligue arabe.
Traduction de cette récente politique pragmatique développée par les autorités russes dans la région : La turbine de la centrale nucléaire de Bouchehr (construite par la Russie) en Iran a été testée avec succès mardi 23 août. Dans le même temps ou presque, Téhéran a affirmé soutenir l’initiative russe de relance des négociations entre l’Iran et les grandes puissances du groupe 5+1 sur le programme nucléaire controversé de Téhéran, négociations pourtant dans l’impasse depuis de nombreux mois.