François Mitterrand en octobre 1984 : « Alors Roland, tu vas voir tes Frères ? »
E&R est le premier site politique de France et, à ce titre, nous nous intéressons à la vie politique intérieure et extérieure de manière sérieuse. Roland Dumas incarne plus de trois décennies de vie politique extérieure et intérieure en tant que ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, président du Conseil constitutionnel et diplomate éclairé. Après avoir lu et annoté son riche ouvrage Politiquement incorrect paru en 2014, nous lui avons posé un nombre invraisemblable de questions. Peut-être trop, au vu de son grand âge : 97 ans !
Roland, si tu nous écoutes...
Récemment, il a été aperçu dans son village de Sablons :
Nous avons alors espéré qu’il répondrait à nos interrogations, car cet homme est l’un des coffres-forts à secrets de la République. Après un mois d’attente, nous avons décidé de publier les notes qui nous paraissent intéressantes pour l’édification de nos lecteurs. Les voici, brut de décoffrage, sachant que la plupart du temps, les réponses figurent entre les lignes des citations de Roland Dumas et de François Mitterrand. Nous voulions juste lui faire avouer certaines tendances... politiquement incorrectes !
Février 1984 – Vous rencontrez Yasser Arafat (exfiltré du Liban en 1982 à Tunis par un commando français de la DGSE – le 2e REP en fait –, une « affaire pilotée par Mitterrand au grand dam de la communauté juive ») et vous ajoutez « un des plus éminents représentants de la communauté juive en France fulmine : nous l’avions au bout de l’épée et vous l’avez aidé à fuir ».
Question : Qui était cet éminent représentant qui souhaitait la mort d’un dirigeant politique de premier plan ?
Mars 1984 – François Mitterrand souffre outre-Atlantique d’une mauvaise image colportée par Henry Kissinger. Selon lui Mitterrand trahira les Américains à la moindre occasion. Kissinger quitte la politique en 1977 mais « son influence reste grande ».
Question : En vertu de quel pouvoir ? De manière plus générale, qu’est-ce qui justifie l’influence des États-Unis dans la politique française ?
Mai 1984 – « Il est juridiquement impossible qu’un État membre quitte la CEE [qui deviendra l’Union européenne, NDLR] de son propre chef, et encore moins qu’il en soit exclus par ses partenaires. »
Question : Sommes-nous pieds et poings liés à l’UE ? Avez-vous vu venir la perversion de la CE des débuts ?
10 septembre 1985 – La CIA pousse à des frappes en prétextant des armes chimiques en Libye. Vous répliquez qu’il y a des milliers de ressortissants américains qui y travaillent dans le pétrole et sans visa…
Question : Libye, Irak… Quand les Américains accusent un pays de détenir des armes chimiques, est-ce le prélude à sa destruction ? L’arme chimique est-elle la bombe atomique du pauvre ?
Avril 1988 – Michel Rocard a eu pour maîtresse une psychanalyste prétendument liée au Mossad.
Question : Les leaders politiques français intéressent-ils à ce point Israël ? Avez-vous personnellement été approché – au vu de votre goût des femmes – par une Mata Hari, sioniste ou pas ?
14 septembre 1988 – Mitterrand craint les réactions de la communauté juive à propos de la venue d’Arafat à Paris (le 2 mai 1989). Le 21 septembre il critique « les agents d’Israël qui entendent faire la loi à Paris ».
Question : Quels sont ces « agents » ? Pourquoi un président français aurait-il peur de la communauté juive en France ? Subissiez-vous des pressions de la part de Shimon Pérès ?
2 mai 1989 – Attali est présent avec Védrine pour recevoir Arafat à l’Élysée : « Il (Attali) sait qu’il va devoir affronter les insultes de ses amis ».
Question : Attali était-il la passerelle entre Mitterrand et la communauté juive organisée ?
Octobre 1989 – « L’hypothétique réunification ne va-t-elle pas remettre en cause la relation franco-allemande moteur de la construction européenne ? Des rumeurs courent selon lesquelles, une fois réunifiée, la Grande Allemagne en sortirait pour conduire, les mains libres, une politique danubienne comme avant guerre. Info ou intox ? »
Question : Vous vous êtes battu pour le couple franco-allemand. Les Allemands nous ont-ils doublés en ouvrant la CE et donc l’Allemagne à une expansion vers l’Europe danubienne ?
28 novembre 1989 – Kohl présente son programme de réunification en 10 points.
Thatcher : « L’Allemagne est en train de reconstituer son empire. Vous les avez réunifiés. Maintenant les nazis sont dans la Communauté. »
27 octobre 1990 – Thatcher : « Jamais je n’abandonnerai le privilège de battre monnaie ».
Question : Marie-France Garaud était-elle notre Margaret Thatcher ?
14 mars 1991 – Rencontre Mitterrand/Bush (père) : Mitterrand explique qu’il n’a pas voulu reconstruire le réacteur Osirak détruit par Israël. Bush affirme que le Congrès est sous influence du lobby juif.
Question : Bush a-t-il fait la guerre au Koweït pour Israël ?
1er juillet 1991 – Dissolution du Pacte de Varsovie, mais pas du Pacte Atlantique... comme il était prévu.
20 mars 2014 – L’établissement d’un cordon sanitaire de l’OTAN autour de la Russie pousse la Russie dans les bras de la Chine.
Question : L’Europe depuis 1999 (l’avènement de Poutine) est-elle redevenue le terrain d’affrontement russo-américain (OTAN, Ukraine, gaz russe) ? Poutine peut-il résister à la poussée militaro-industrielle de l’OTAN et de l’Allemagne ?
14 juillet 1991 – Le président américain à Paris propose un deal « Territoires (palestiniens) contre la paix », mais il est déçu par l’intransigeance de Shamir. Bush : « Je me heurterai au poids de la protestation et de l’argent…. L’argent juif qui coule des deux côtés, chez les démocrates comme chez les républicains. »
Question : Peut-on déjà parler de pouvoir profond aux États-Unis qui impose ses vues au POTUS (President of the United States) ?
27 février 1992 – Hassan II sur Israël : « Enfourcher le cheval palestinien est une chose, mais enfourcher le destroyer de l’Islam en est une autre ! »
4 août 2014 – Boutros-Ghali : « Ce qui se passe en Palestine c’est le ferment d’un génocide pour les 20 prochaines années. » 200 millions d’Arabes déchaînés et un milliard de musulmans…
20 août 2014 : « Les Israéliens ont les armes, mais les Palestiniens ont la foi. »
Question : La prophétie d’Hassan II est-elle en train de se vérifier ? De quel « génocide » Boutros-Ghali parle-t-il ?
3 juin 1992 : Mitterrand décide le référendum de Maastricht.
14 septembre 1992 : Vous êtes en Syrie chez Hafez el-Assad, lucide sur Maastricht : « Alors dans quelques années la France n’aura plus de gouvernement, ce sera l’Europe qui décidera de tout ? »
17 septembre 1992 – Mitterrand : « Sans Maastricht, ce sera l’Europe des affrontements… Ce sera Maastricht ou la guerre. »
Question : Mitterrand, qui pensait que Maastricht protégerait la patrie, s’est-il trompé sur les conséquences du traité ? Chevènement, Assad et Villiers avaient-il raison ?
14 juillet 1992 – Mitterrand : « La République n’a pas de comptes à rendre au régime de Vichy ». Sur 15 ans (1981-1996) on découvre un François Mitterrand sous la pression du lobby juif français et de la politique extérieure israélienne.
12 septembre 1994 – Mitterrand à Elkabbach : « Non je ne ferai pas d’excuses au nom de la République ni de la France. Vichy, ce n’était pas la France. »
Mai 2005 – Mitterrand : « La communauté juive de France a tort de soutenir, quoi qu’il arrive, Israël dans sa politique aveugle. »
Question : Qu’est-ce qui justifie cette crainte, ces louvoiements et cette résistance (notamment sur le cas Bousquet) ? Un chantage électoral, médiatique ou plus personnel ?
Octobre 1992 – Question : Quel intérêt les Syriens avaient-ils à exécuter Michel Seurat ?
27 juin 1992 – Crise yougoslave, BHL est porteur d’un message de détresse d’Izetbegovic…
9 janvier 1993 – Vous avancez que « BHL se prend pour le ministre des Affaires étrangères ».
Avril 2014 – Vous révélez que BHL « venait visiter Mitterrand le matin de très bonne heure pour lui apporter les messages de tel ou tel avec lesquels il était entremis ».
Question : En vertu de quoi Mitterrand le recevait-il ? En quoi consiste le « pouvoir de nuisance » de BHL ? Est-il à l’origine de l’opération « Sarajevo » ?
24 mars 1993 – Défaite du PS aux législatives, Mitterrand fait son mea culpa : « Des millions de citoyens nous ont abandonnés. Ils se sont tournés vers le populisme. »
Question : La soumission au Marché – le passage de Mauroy à Fabius – était-elle inévitable ?
8 juin 1993 – Mitterrand de Bousquet : « S’il n’y avait pas eu la guerre, il aurait été ministre, voire président du Conseil ».
22 février 1995 – Le professeur de droit constitutionnel Maurice Duverger, soupçonné de sympathies vichystes, est bloqué au Conseil constitutionnel par Badinter.
11 avril 1995 – Livre entre Elie Wiesel et Mitterrand, Wiesel : « Ce salaud de Bousquet ». Mitterrand de Bousquet : « Je suis en paix avec moi-même. »
17 mai 1995 – Mitterrand à d’Ormesson à propos de l’affaire Bousquet : « Vous constatez l’influence puissante et nocive du lobby juif en France », affirmation proférée à plusieurs reprises.
16 juin 2008 – Vous écrivez : « Encore une fois la France et l’Occident obéissent au changement d’humeur de Tel-Aviv. »
Question : Quel est le poids réel du lobby juif dans la vie politique française intérieure et extérieure ? A-t-il évolué depuis Mitterrand ? Chirac ? Sarkozy ? Hollande ? Macron ?
19 mai 1995 – Rupture Mitterrand/Wiesel après Mémoires à deux voix, et Mitterrand fâché par le tome 3 de Verbatim : « François Mitterrand ne se reconnaît pas dans les citations qu’Attali lui prête. »
Vous écrivez : « Louis XIV avait son Saint-Simon et Napoléon son Chateaubriand. Mitterrand avait, comme hagiographes, son fou Hallier, rayé des cadres, puis son Attali, polygraphe, son Wiesel susceptible et son Benamou affabulateur. Il a conscience que ses auteurs ne sont pas à la hauteur. »
Question : Pourquoi François Mitterrand s’est-il alors entouré de ces hommes « pas à la hauteur » ? Avait-il le choix ?
11 septembre 2001 – Vous évoquez « le mystère du 3e avion sur le Pentagone » et soulevé « la question [est] : pourquoi ont-ils laissé faire ? »
Question : Un nouveau « Pearl Harbor » est-il possible dans le golfe Persique ?
26 février 2003 – Vous écrivez : « Le trio Colombani-Minc-Plenel partage les mêmes dénigrement et détestation de la France, ce que pensait François Mitterrand selon des infos de source sûre. »
Mitterrand : « Je sais qu’au Monde tout un groupe travaille contre les intérêts de la France. » Et de Plenel : « C’est un agent de l’étranger. »
Question : Les gauchistes, dont Mitterrand pensait qu’ils trahissaient tous un jour, sont-ils des agents antifrançais inconscients ?
5 février 2007 – Malgré la frilosité du Quai (Douste est ministre des AE), vous êtes favorable à la bombe atomique pour l’Iran : « Cela rééquilibrerait les forces au Moyen-Orient et interdirait la guerre. »
Question : Les Israéliens oseront-ils bombarder Natanz en Iran comme ils ont bombardé Osirak en Irak ?
4 avril 2009 – Avec Sarkozy la France rejoint le commandement intégré de l’OTAN.
12 avril 2011 – La France est complice de l’arrestation de Gbagbo au profit de Ouattara, issu du FMI – Vous jugez la France « à la solde de Washington ».
20 octobre 2011 – Vous accusez l’OTAN et Sarkozy d’avoir assassiné Kadhafi.
10 juillet 2014 : « François Hollande défend Israël et n’a pas la moindre compassion pour les Palestiniens. La politique traditionnelle de la France est bel et bien enterrée. »
Question : « À la solde de Washington », ne l’était-elle pas déjà dans les années 80, quand Mitterrand faisait « comme si » la France était non alignée ?
17 février 1993 – Vous fustigez l’idée de Michel Rocard d’une alliance centre + PS + PC réformateurs + Verts (« Si Fabius est un esprit faible, Rocard est un esprit faux »), mais c’est... Macron en 2017 !
6 mars 2014 – Giscard propose la même alliance « entre socialistes intelligents et progressistes de droite ».
Question : Pourquoi cette alliance n’est-elle pas souhaitable selon vous ?
10 juin 2014 : « Satan conduit le bal », écrivez-vous. C’est l’argent qui mène le monde, et vous citez le Faust de Gounod : « Le veau d’or est toujours debout. »
Question : Peut-on en savoir plus sur ce « Satan » ?
Bonus
En mars 2015, Philippe Bilger interrogeait Roland Dumas sur son dernier livre :