Roland Dumas, né le 23 août 1922 à Limoges, a marqué la politique française par sa carrière prolifique et ses engagements variés et pour certains, risqués. Fils de Georges Dumas, un résistant fusillé en 1944, Roland a été profondément influencé par le sacrifice de son père, ce qui l’a conduit à s’engager lui-même dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il s’installe à Paris pour poursuivre des études de droit, tout en nourrissant une passion pour le journalisme et l’opéra.
Après avoir obtenu son diplôme de droit, Roland Dumas devient avocat à la Cour d’appel de Paris en 1950. Il se lance également en politique, devenant député de la Haute-Vienne sous l’étiquette de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) en 1956, la même année que Jean-Marie Le Pen : « Avant de se croiser à l’Assemblée, on s’était battu physiquement à la corpo de droit ». Sa carrière politique prend un tournant décisif lorsqu’il rencontre François Mitterrand, avec qui il noue une amitié durable et qui jouera un rôle crucial dans son ascension politique.
En 1981, François Mitterrand, devenu président de la République, hésite à nommer Dumas à un poste ministériel en raison de sa réputation sulfureuse. Cependant, à partir du tournant de la rigueur en 1983, Dumas finit par occuper plusieurs postes importants, notamment celui de ministre des Relations extérieures (1984 à 1986) et de ministre des Affaires étrangères (1988 à 1993). Durant son mandat, il se distingue par son engagement en faveur de la paix au Moyen-Orient, appelant notamment Israéliens et Palestiniens à persévérer dans leurs efforts de paix.
En 1995, Mitterrand le nomme président du Conseil constitutionnel, une position qu’il occupe jusqu’en 2000. Son mandat est marqué par des décisions controversées, notamment la validation des comptes de campagne d’Édouard Balladur et de Jacques Chirac malgré des irrégularités manifestes. En 2000, il est contraint de démissionner en raison de son implication dans l’affaire Elf, bien qu’il soit finalement blanchi en 2003.
Maître Jacques Vergès
Roland Dumas et Jacques Vergès ont partagé une relation professionnelle et personnelle marquée par des collaborations notables dans des affaires juridiques et politiques controversées. Leur amitié remonte à plusieurs décennies, et leur partenariat a souvent fait la une des journaux en raison de la nature des causes qu’ils défendaient.
Vergès, connu pour ses prises de position audacieuses et ses clients controversés, a souvent fait appel à Dumas pour ses compétences diplomatiques et ses contacts dans les pays arabes. Par exemple, dans une affaire impliquant une princesse saoudienne, Vergès a sollicité l’aide de Dumas pour utiliser ses relations diplomatiques afin de faire avancer le dossier.
En 2010, Dumas et Vergès se rendent ensemble en Côte d’Ivoire en pleine crise post-électorale pour défendre le président sortant Laurent Gbagbo. Leur visite est marquée par des critiques virulentes contre l’ingérence étrangère dans les affaires ivoiriennes, et ils proposent des solutions pour résoudre la crise.
Le duo a également pris position en faveur de Mouammar Kadhafi en 2011, dénonçant les interventions de l’OTAN en Libye. Leur défense de Kadhafi et des victimes des bombardements de l’OTAN a suscité de vives réactions et a renforcé leur image de défenseurs des causes impopulaires.
La France et l’OTAN
« On voulait surtout éviter un retour de la guerre froide ». La délégation de l’URSS avait à l’époque soumis deux requêtes majeures auprès de ses alliés occidentaux : l’une portait sur l’entretien des monuments à la gloire de l’armée soviétique après le départ de ses troupes ; l’autre portait sur un engagement occidental sur le fait qu’« il n’y ait pas de déplacement des troupes de l’OTAN dans les régions du pacte soviétique qui [devaient] être désarmées. Cette discussion a eu lieu, d’abord parce que les Russes l’ont demandée [et] parce que nous l’avons soutenue : moi le premier, les Américains aussi, et les Allemands évidemment. Je me souviens très bien de la scène, [James] Baker [alors secrétaire d’État américain] est intervenu après moi en disant : "Même si M. Dumas ne l’avait pas demandé, moi, je l’aurais demandé" »
Le 11-Septembre
Esprit libre et peu inquiet du jugement des autres, il s’était interrogé sur la plausibilité de la version officielle des attentats du 11 septembre 2001 :
La cause palestinienne
Roland Dumas a également été un fervent défenseur de la cause palestinienne. Il n’a jamais hésité à critiquer les politiques israéliennes et à exprimer son soutien aux droits des Palestiniens, ce qui lui a valu à la fois des éloges et des critiques sur la scène internationale.
C’est d’ailleurs dans cet esprit d’homme libre, qu’il a pu rencontrer, en dehors de ses activités politiques et juridiques, des personnalités comme Alain Soral, Dieudonné, Bruno Gollnisch et Jany Le Pen. Il a été aperçu en leur compagnie lors de divers événements, ce qui avait à l’époque naturellement suscité des interrogations et des critiques quant à ses choix d’alliances et de fréquentations.
Cette rencontre en a donc fait s’étrangler plusieurs, dont encore ce jour le petit journaliste Cyprien Caddeo dans l’Humanité :
Il en faut moins pour faire d’un homme un héros mais cette statue du commandeur, Roland Dumas passera sa vie à l’esquinter. A dilapider le capital moral que ses faits d’armes lui confèrent. Jusqu’à le voir, lui l’ancien résistant, lui l’avocat des enfants déportés d’Izieu lors du procès Klaus Barbie, prendre la pose en 2006 aux côtés de la pire canaille d’extrême droite – Alain Soral, Bruno Gollnish et Jany Le Pen, épouse de Jean-Marie – au sortir d’un spectacle de l’antisémite Dieudonné.
Valls et l’influence juive
La guerre en Syrie
Malgré les scandales et les controverses, Roland Dumas a continué à exercer comme avocat jusqu’à un âge avancé, restant une figure influente et respectée dans le milieu juridique. Sa carrière a été marquée par des hauts et des bas, mais il a toujours su se relever et continuer à jouer un rôle actif dans la vie publique française.
Roland Dumas est donc décédé ce 3 juillet 2024 à l’âge de 101 ans. Sa disparition marque la fin d’une époque pour la politique française, où il aura laissé quoi qu’on en pense une empreinte particulière en raison de son intelligence, son charisme, sa franchise et son goût pour des causes risquées.