Compte rendu du discours de Simone Veil à l’ONU le 29 janvier 2007
« Le temps n’y peut rien ; c’est toujours la même émotion qui m’étreint lorsque je suis amenée à prendre la parole pour parler de la Shoah », a dit aujourd’hui l’ancienne ministre française Simone Veil, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et rescapée du camp d’Auschwitz, à l’Assemblée générale, où elle a mis en garde contre le négationnisme.
« Comme tous mes camarades, je considère comme un devoir d’expliquer inlassablement aux jeunes générations, aux opinions publiques de nos pays et aux responsables politiques, comment sont morts six millions de femmes et d’hommes, dont un million et demi d’enfants, simplement parce qu’ils étaient nés juifs », a déclaré Simone Veil, lors de la deuxième cérémonie de commémoration du souvenir de la Shoah marquée le 27 janvier, décidée par une résolution de l’Assemblée générale de novembre 2005 (dépêche du 01.11.05).
Simone Veil a rappelé aussi qu’il avait « fallu longtemps » pour qu’on reconnaisse les souffrances des dizaines de milliers de Tziganes raflés et parqués, eux-aussi, avant d’être exterminés.
Sur le choix du 27 janvier pour marquer la « libération » d’Auschwitz, Simone Veil a rappelé qu’il s’agissait de la date de l’arrivée d’un détachement de soldats soviétiques.
« Auparavant, a-t-elle rappelé, les chambres à gaz avaient été détruites à l’explosif et la plupart des survivants avaient dès le 18 et le 19 janvier, quitté les nombreux camps et kommandos implantés autour d’Auschwitz ».
« C’est ainsi que plus de 60.000 déportés, femmes et hommes, ont été contraints de marcher dans la neige pendant des dizaines de kilomètres, voire pour certains, des centaines, sans pouvoir ralentir leur marche, sauf à être exécutés sur place. Les soldats de l’Armée rouge, eux, n’ont trouvé que des fantômes, quelques milliers de mourants, terrifiés, abandonnés faute de temps, et parce que les SS pensaient que la faim, la soif, le froid ou la maladie feraient leur oeuvre rapidement. »
« Il faut que vous sachiez que pour les anciens déportés que nous sommes, il n’y a pas de jours où nous ne pensions à la Shoah. Plus encore que les coups, les chiens qui nous harcelaient, l’épuisement, la faim, le froid ou le sommeil, ce sont les humiliations de toutes sortes destinées à nous priver de toute dignité humaine qui aujourd’hui encore demeurent le pire dans nos mémoires », a-t-elle souligné.
« Nous n’avions plus de nom, mais seulement un numéro tatoué sur le bras, servant à nous identifier et nous portions des haillons pour vêtements, les tenues de bagnards étant un privilège. »
« Mais ce qui nous hante c’est le souvenir de ceux dont nous avons été brutalement séparés dès notre arrivée du camp et dont nous avons appris, dans les heures suivant notre arrivée, qu’ils avaient été directement conduits à la chambre à gaz. »
Simone Veil a encore rappelé l’horreur des camps de Sobibor, Maidanek ou Treblinka, où à l’exception des « Sonder kommandos » eux-mêmes chargés de mener les juifs vers les chambres à gaz, tous les arrivants, quel que soit leur âge, ont été immédiatement exterminés.
Elle a rappelé sa déportation de France, en mars 1944, vers Auschwitz, après un passage par Drancy et trois jours terribles dans un wagon à bestiaux plombé, la sélection par le Dr Mengele et l’affectation à des travaux de terrassement.
Elle a aussi évoqué ce jour au printemps 1944 où 450.000 juifs sont arrivés de Hongrie. « Presque aucun n’est entré dans le camp. Dès leur descente des wagons, ils ont été conduits vers les chambres à gaz. Pour nous qui savions, impuissants, ce qui les attendait, c’était une vision d’horreur : c’est l’événement le plus tragique que j’ai vécu au camp d’Auschwitz Birkenau », a-t-elle dit.
« J’ai encore en mémoire ces visages décomposés, ces femmes portant les jeunes enfants, ces foules ignorantes de leur destin, qui marchaient vers les chambres à gaz. Nous qui étions de l’autre côté des barbelés et qui pensions ne plus avoir de larmes, nous avons pleuré. »
Simone Veil a survécu après avoir été forcée de marcher pendant plus de 70 kilomètres sous les mitraillettes des SS, puis à être entassée au camp de Bergen-Belsen où « le typhus, le froid et la faim ont tué des dizaines de milliers de déportés en quelques mois ». Sa mère est morte au cours de ce dernier périple.
Sa libération, le 15 avril 1944, par l’armée britannique, n’a suscité « nul cri de joie ». « Seulement le silence et les larmes. »
Mais au retour la question de la mémoire s’est posée immédiatement : « Nous étions complètement décalés, parce que personne n’avait envie d’entendre ce que nous avions vécu. Même nos proches, quand quelques-uns avaient eu la chance d’en retrouver, ne supportaient pas d’apprendre ce que nous avions vécu. »
« La Shoah ne se résume pas à Auschwitz : elle a couvert de sang tout le continent européen. Processus de déshumanisation mené à son terme, elle inspire une réflexion inépuisable sur la conscience et la dignité des hommes, car le pire est toujours possible », a dit l’ancienne déportée qui a tenu à aborder la question des « autres génocides ».
« Après les massacres du Cambodge, il y a à peine trente ans, c’est l’Afrique qui actuellement paie le plus lourd tribut à la folie génocidaire. Après le génocide du Rwanda, en 1994, nous voyons, au Darfour, semer la mort et la désolation, avec des milliers de réfugiés chassés de chez eux. Nous le savons. Mais comment intervenir ? Comment mettre fin à cette barbarie ? », s’est interrogée Simone Veil.
La présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah s’est enfin tournée vers la question des « nouveaux négationnistes, qui nient la réalité de la Shoah et appellent à la destruction d’Israël ».
Alors que l’Assemblée générale était réunie vendredi dernier pour adopter une résolution « condamnant sans réserve toute négation de l’Holocauste » et exhortant « tous les États membres à rejeter sans réserve toute négation de l’Holocauste en tant qu’événement historique, en tout ou partie, ainsi que toute activité en ce sens », le représentant iranien a pris la parole pour se dissocier de ce texte, accuser Israël « d’exploiter le génocide à des fins politiques » et pour réclamer le droit « d’étudier avec rigueur ce qui s’est passé dans le passé » (dépêche du 26.01.07).
Or, le président de la République islamique Mahmoud Ahmadinejad n’a pas fait mystère, dans de nombreuses déclarations condamnées par la communauté internationale et par l’ONU, de sa position remettant en cause l’existence même de la Shoah et de ses appels à « rayer Israël de la carte » (dépêche du 12.12.06).
Aujourd’hui, a dit Simone Veil,« nous savons combien désormais le danger d’un Iran nucléaire est inquiétant et combien il est urgent que ce pays puisse revenir au sein de la communauté internationale, en se rangeant aux exigences des Nations unies et en respectant le traité de non-prolifération des armes nucléaires, dont il est signataire ».
Elle a ajouté que « la création d’un État palestinien aux côtés d’un État d’Israël, chacun vivant en paix dans ses frontières, au terme d’une négociation, devrait mettre fin aux campagnes menées contre l’existence d’Israël ».
« Au sein des représentants de l’Islam radical, les appels à la destruction d’Israël, terre ancestrale des juifs depuis l’Antiquité, devenu refuge des survivants et rescapés de la Shoah, m’inquiètent profondément », a-t-elle poursuivi.
« En prétendant que la Shoah est un mensonge forgé par les juifs pour justifier la création d’Israël, ils ont ouvert une brèche, pour justifier leur volonté de détruire l’État d’Israël. »
« Ce négationnisme idéologique trouve un véritable écho auprès d’esprits ignorants et fanatisés, plus particulièrement parmi les jeunes, notamment grâce aux nouvelles technologies de communication. »
« Ce qui s’est passé lors de la conférence des Nations unies à Durban, en 2001, est édifiant : destinée à traiter des différentes formes du racisme, elle s’est transformée en un forum de haine à l’égard des juifs, accompagné d’un déchaînement à l’encontre d’Israël, mais aussi des États-Unis et de l’Occident dans son ensemble », a-t-elle rappelé.
L’ancienne ministre a enfin évoqué la récente initiative du président français Jacques Chirac, sur sa proposition, de rendre hommage, au Panthéon, aux « Justes de France », ces milliers d’hommes et de femmes non juifs, honorés par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem pour avoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, sauvé des juifs de la déportation.
« En France, 76.000 juifs ont été déportés mais les trois quarts ont été sauvés. Ils le doivent à ces milliers de Français qui les ont aidés et qui ont incarné le courage, la générosité, la solidarité », a déclaré Simone Veil.
« Je suis convaincue qu’il y aura toujours des hommes et des femmes, de toutes origines et dans tous les pays, capables du meilleur » », a-t-elle conclu.
Le Département de l’information des Nations unies a lancé aujourd’hui un site Internet de documentation à l’intention des enseignants et des États Membres de l’ONU pour les aider dans l’organisation de programmes éducatifs sur la Shoah.
Ces « notes électroniques » (Electronic Notes for Speakers), accessibles à l’adresse suivante (www.un.org/holocaustremembrance), ont été préparées en collaboration avec l’Institut Yad Vashem de Jérusalem (www.yadvashem.org), la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education de l’Université de Californie du Sud (www.usc.edu/vhi), ainsi que par le Mémorial de la Shoah à Paris (http://www.memorialdelashoah.org) qui a créé la partie francophone du site.
Bonus : le lobby israélien rend hommage à Simone Veil
La vidéo ci-dessous est une compilation en hommage à Simone Veil et regroupant ses différentes interventions auprès du Collège académique de Netanya.
En 2007 notamment, au dîner de gala des Amis du Centre universitaire de Netanya (ACUN) organisé à l’Assemblée nationale, elle déclarait :
« Je suis toujours malheureuse, triste et bien plus que ça lorsque Israël est mis en cause sur le plan des droits de l’homme [...] C’est un pays où les droits de l’homme ont un sens très fort. »