Nous sommes sur Arte dans l’émission quotidienne 28 Minutes diffusée le 1er octobre 2018. Une actu dépassée, direz-vous. Que nenni : le débat souverainisme avec relance sociale contre libéralisme avec austérité européenne est plus que jamais d’actualité, et le sera de plus en plus jusqu’au 26 mai 2019, dates des élections fatidiques qui verront peut-être la peste populiste gagner d’autres pays que l’Italie.
Et c’est de l’Italie précisément et de son virage populiste qu’il a été question pendant ces 20 minutes de débat. De débat, en vérité, il n’y a point eu, ou peu : Christophe Ramaux, qui fait partie des économistes dits atterrés et qui prône la relance contre l’austérité, la croissance contre la dette, a mis tout le monde d’accord. Et la partie n’était pas gagnée d’avance, avec la bande à Quin, libérale libertaire comme pas deux, européiste par choix et par obligation – nous sommes sur la chaîne europhile franco-allemande – et ses deux invités anti-Salvini et anti-Di Maio, la journaliste Clémentine Forissier du journal europhile Contexte et l’ex-conseiller de Matteo Renzi, Giuliano Da Empoli, un libéral européiste.
Pourtant, Ramaux a raflé la mise, collant ses adversaires au mur avec des arguments canons, une cohérence de fer et une clarté olympique. Démonstration.
Sont présents en plateau l’animatrice Élisabeth Quin, très douée pour parler de sexe, moins de politique, encore moins de géopolitique et pas du tout d’économie. Une Quin flanquée de son écuyère la victime Nadia Daam, celle qui avait insulté les jeunes du forum 18-25, ce qui revient à marcher sur la queue du tigre ou à donner un coup de pied dans une fourmilière endormie de magnans. Le commissaire politique de l’émission n’est autre que Claude Askolovitch, qui officie aussi sur la matinale de France Inter. Patrick Liste Noire Cohen parti à Europe 1 et Bernard Guetta à la retraite, il fallait bien remettre de l’ordre sioniste dans la maison publique.
Nous avons noté les passages les plus clairs de cette lutte entre pro et anti-Système. Les passages manquants ne sont pas ceux qui nous déplaisent mais ceux qui n’apportent pas grand-chose au débat. Par exemple, le rappel incessant par Quin ou sa subalterne du danger fasciste de la paire Salvini-Di Maio, une scie entendue 150 fois.
Cependant, nous rendons grâce à Arte d’avoir permis ce débat et surtout, de faire entendre un son de cloche différent. C’est tellement rare que ça en devient un exploit. Or ça n’est que de la liberté d’expression et devrait être l’ADN des chaînes publiques. Où l’on voit bien que le service public audiovisuel a été détourné de sa mission première, ce qui n’a pas l’air de bouleverser le CSA, preuve que tout est verrouillé et vérolé de haut en bas.
Cela étant, nous avons bien conscience que l’économiste de gauche sociale Ramaux a pu dire ce qui suit parce qu’il est justement de gauche, avec néanmoins une dose de souverainisme qui a alerté les agents en plateau... De notre côté, nous n’avons pas commenté les dires des uns et des autres. Pour une fois à la télé française, on n’a pas eu besoin de nous. Les mots parlent d’eux-mêmes...
Tout commence par une discussion sur l’opportunité d’accorder un revenu social de 780€ pour 6,4 millions d’Italiens, mesure phare du « budget du peuple ». Tous sont contre, sauf un.
Ramaux : Il faut savoir que l’Italie, suite aux politiques libérales qui ont été menées ces 20 dernières années en fait, l’Italie est un des pays européens où le taux de pauvreté est le plus élevé. Et il n’a cessé d’augmenté.
Quin : Et le chômage des jeune, 37%.
Ramaux : Donc il est normal bien entendu que on offre aux plus démunis, et notamment aux retraités les plus démunis ce revenu de citoyenneté.
Askolovitch : C’est un gouvernement populiste et d’extrême droite qui pratique cette politique de gauche. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe absolu voire une gêne pour quelqu’un comme vous ?
Ramaux : Non moi ce qui m’intéresse c’est les mesures, d’accord. Et je pense que les mesures, là, prises par ce gouvernement, vont dans le bon sens à tous niveaux. C’est-à-dire que on fait des politiques de relance. L’Italie, depuis 20 ans, c’est le pays qui a été le bon élève des politiques libérales. Ils ont baissé leurs dépenses publiques, vous savez, de plus de 55% du PIB à 48% du PIB. Ils ont fait du Macron plus, ils ont carrément fait du Fillon, vous voyez ce que je veux dire ? Résultat des courses : le chômage a explosé, le PIB par habitant de l’Italie n’a pas retrouvé aujourd’hui ce qu’il était avant la crise de 2008, vous vous rendez compte ? Et la dette publique ? Ben comme toujours, le seul moyen pour réduire une dette publique c’est qu’il y ait de la croissance, et un peu d’inflation.
Quin : 132% du PIB.
Ramaux : En dessous de la Grèce quand même. Cette dette publique elle est tout à fait soutenable.
Quin : Pour les générations futures elle sera soutenable ?
Ramaux : Pour les générations futures y a pas de problème. Vous savez les États-Unis sont à 105, le Japon vous savez il est à 240 hein. Donc je dis pas que c’est bien 130% mais arrêtons d’accabler… Ce qui est important dans la dette c’est les intérêts qu’on paye.
Forissier : La charge de la dette elle est deux fois plus élevée pour l’Italie.
Ramaux : Oui mais la menace c’est les marchés financiers, le diktat des marchés financiers.
On se permet ici une incise. Ramaux remet les choses au clair sur la dépense publique, qui est devenue un gros mot dans la bouche de la majorité des invités économistes, médiatiques ou politiques sur les plateaux télé.
Ramaux : « Sur la dépense publique je pense qu’il faut vraiment en Italie comme en général sortir de l’idée que la dépense publique ça joue contre le privé. En fait il y a une partie de la dépense publique – qui est une petite partie dans tous les pays du monde –, qui sert à financer les fonctionnaires, mais la majorité de la dépense publique ça sert directement l’activité du privé. Donc c’est des prestations sociales, les retraités [...], et puis l’investissement public, quand l’État construit des ponts c’est pas les fonctionnaires qui construisent les ponts, ça sert aux entreprises du BTP. Et donc l’investissement public a considérablement baissé suite aux cures d’austérité acceptées par les gouvernements italiens et préconisées par l’Union européenne, et donc on était à 3% d’investissement public, ça a baissé de moitié hein quasiment en pourcentage du PIB donc y a eu des cures d’austérité effroyables. Et je reviens sur la question de la dette.
Quin : Rapidement.
Ramaux : Il faut sortir de l’idée que pour réduire la dette il faut pas de déficits. Non. Dès lors que le déficit public est inférieur au produit – c’est pas difficile à comprendre c’est une multiplication –, au produit de la dette publique – c’est-à-dire 130% du PIB – et du taux de croissance nominal, eh bien en fait la dette se réduit.
Quin : C’est quoi le taux de croissance en Italie ?
Ramaux : Le taux de croissance est beaucoup trop faible, ils avaient prévu 0.9% seulement l’an prochain ! Et donc ils veulent passer au-dessus !
Seconde incise ici pour souligner que la chronique de Thibaut Nolte (à 12’14) est indigne du service public et devrait être dénoncée au CSA. C’est une véritable insulte au peuple italien et à ceux qui le défendent. Cette chronique n’est que rabaissement et mépris des petites gens. Immonde et médiocre, en un mot bassement oligarchique. Il faudra rendre des comptes pour ces interventions haineuses.
Empoli : Notre pays… est dans une logique d’affrontement et d’explosion de l’Europe. Il faut bien comprendre que ce budget-là c’est un budget qui est pensé par Salvini aussi parce qu’il pense que dans 8 mois l’Europe n’existera plus sous sa forme actuelle et que donc tout sera permis. Mais on est là dans une logique souverainiste, on n’est pas du tout dans une logique européenne.
Askolovitch : Vous souhaitez, vous souhaitez Christophe Ramaux la victoire de cette brute d’extrême droite contre les technocrates européens ? J’aimerais que vous répondiez dans ces termes-là : est-ce que vous souhaitez pour le bien des peuples et la relance de l’économie la victoire de ce monsieur d’extrême droite contre les technocrates ?
Ramaux : Ce que je considère c’est que les Italiens posent une bonne question aujourd’hui. Ils posent la question « quelle économie voulons-nous ? ». Les Italiens, depuis 20 ans, ils ont connu deux décennies perdues à cause des politiques d’austérité libérales. Européennes, tout à fait. Européennes. C’est-à-dire que l’euro pour l’Italie ça a été une catastrophe. Soit on change les règles, et de ce point-de vue-là le gouvernement italien – et je me contrefiche d’un certain point de vue de ce que vous avez évoqué précédemment, d’accord –, le gouvernement italien il pose la bonne question et on va dans le bon sens, et de ce point de vue-là ce que devraient faire les institutions européennes, ne serait-ce que pour respecter la souveraineté populaire, enfin là on passe à un déficit qui est à 2.4, qui est inférieur à celui de la France, c’est ça que propose le gouvernement italien.
Askolovitch : Au niveau de la dette, c’est incomparable.
Ramaux : Je répète qu’il faut arrêter de terroriser les gens avec cela, le niveau de la dette il est viable dès lors qu’il y a de la croissance ! Mais je vous dis que ce sont les politiques d’austérité libérales qui ont creusé la dette. Il faut assumer son bilan, et ce bilan du libéralisme c’est aussi celui-ci. Donc je reviens sur la question de l’euro. Soit on change les règles, l’euro il est surévalué pour l’Italie, l’Italie est en excédent commercial, d’accord, il est surévalué. Il est sous-évalué pour l’Allemagne. Et donc soit on change l’architecture européenne, c’est-à-dire qu’on fait un vaste plan de relance européen, les besoins sociaux sont gigantesques, le chômage, les besoins écologiques etc. On met ça en œuvre, au bénéfice principalement des pays qui ont un taux de chômage élevé donc notamment l’Italie, bien entendu, et dans ce cas-là on remet l’Europe sur de bons rails, soit le gouvernement italien de ce point de vue-là a raison de dire que si on fait pas ça, l’Europe est très très mal partie et l’euro lui-même est très mal parti parce que dans ce cas-là, il faudra le remettre en cause.
Nous avons gardé pour la fin l’aveu de la journaliste Forissier (à 19’07) :
« On vit dans un monde où les marchés financiers ont quand même leur mot, leur euh, leur, je dirais pas “leur mot à dire” mais ils ont un impact forcément, et on les prend en compte. »