La pression internationale sur le président syrien Bachar al-Assad ne cesse d’augmenter alors que la Russie reste réservée face aux derniers développements. Moscou ne se dépêche pas d’exprimer sa position à l’égard des événements syriens. Mais cette paralysie diplomatique pourrait s’avérer assez coûteuse pour la Russie à l’avenir.
Certains analystes expliquent les réticences du Kremlin par la crainte de perdre son unique allié au Proche-Orient et de faire face à une confrontation avec l’Occident.
"La Syrie reste l’unique allié russe au Proche-Orient. Nous avons abandonné les autres au cours de la perestroïka et pendant les récentes révolutions arabes. Nous avons même trahi certains d’entre eux, comme la Libye ou l’Égypte, par exemple", estime Vladimir Kariakine, expert de l’Institut russe de recherches stratégiques.
La Russie est un fournisseur important d’armes à la Syrie depuis l’époque de l’Union soviétique. Néanmoins Moscou considère surtout la coopération politique avec Damas. En 2005, la Russie a annulé plus de 70% de la dette syrienne de 13 milliards de dollars résultant principalement des livraisons d’armes soviétiques.
Si les intérêts financiers jouent désormais un rôle plus important, les préoccupations politiques constituent toujours le fondement des relations russo-syriennes. Depuis le début des années 1970, la Syrie accueille dans son port méditerranéen de Tartous la seule base navale russe, située hors du territoire de l’ex-URSS.
"La perte d’un tel allié portera atteinte à nos intérêts stratégiques au Proche-Orient", juge M.Kariakine.
Cependant, Evgueni Satanovsky, directeur de l’Institut du Proche-Orient, ne croit pas que la Syrie, ou tout autre pays de la région, peut être considéré comme un "allié" russe.
"Nous n’avons jamais eu d’alliés dans la région. Nous fournissions tout simplement de l’argent, des armes et des conseillers militaires dans ces pays… Mais qu’a reçu la Russie, ou précédemment l’Union soviétique, en retour ?", se demande l’intéressé.
"Une zone d’intérêts"
L’hésitation de la Russie et de la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, à condamner le régime syrien pour ses violences brutales contre l’opposition, n’a pas permis d’imposer une résolution forte à Damas sanctionnée par les Etats-Unis et l’Union européenne.
Le Conseil de sécurité n’a fait qu’émettre une déclaration présidentielle, moins contraignante, appelant le président Bachar el-Assad à mettre fin les violences et à entamer un dialogue avec l’opposition.
La déclaration a été adoptée le 3 août pour réagir à la répression meurtrière des manifestations qui a fait environ 300 morts en l’espace d’une semaine, d’après le bilan dressé par les défenseurs des droits de l’homme. Le lendemain, le président russe Dmitri Medvedev a déclaré que le président syrien "risquait de subir un triste sort" s’il n’arrivait pas à mener à bien les reformes, à se réconcilier avec l’opposition et à "créer un État moderne".
Si M.al-Assad échouait à le faire, la Russie serait obligée de "réagir d’une façon appropriée", a précisé M.Medvedev.
"Il existe une politique du président Medvedev et de son administration, mais il existe également celle du gouvernement et de son chef Vladimir Poutine", indique M.Satanovsky. Selon lui, par de telles déclarations, M.Medvedev tentait probablement d’émouvoir le président Assad.
À son tour, M.Kariakine estime qu’une attitude ambivalente de Moscou à propos de la Syrie, qui pourrait être due à son hésitation à "s’opposer à l’Occident", est "difficile à comprendre pour le monde ".
Vladimir Isayev, de l’Institut russe d’études orientales, considère que les dirigeants russes doivent comprendre s’ils sont "prêts à déclarer fermement à l’Occident que la Syrie représente une des zones des intérêts russes". Une telle déclaration politique claire est nécessaire si la Russie veut contribuer aux efforts déployés pour le règlement de la crise syrienne.
Syrie : un pilier de la paix au Proche-Orient ?
Suite aux déclarations des leaders américains et européens la semaine dernière demandat Bachar al-Assad à quitter le pouvoir, la diplomatie russe a fait un nouvel effort pour atténuer la pression sur le président syrien, en insistant sur le fait que "du temps lui soit accordé" pour mettre en œuvre des réformes.
Mardi dernier, le Conseil des droits de l’Homme de l’Onu a adopté une résolution exhortant à entamer une enquête sur les violences contre l’opposition en Syrie qui, d’après la Haute commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Navi Pillay, avaient fait plus de 2.200 morts depuis le début du soulèvement populaire à la mi-mars. La Russie, la Chine, Cuba et l’Équateur ont voté contre la résolution.
Toutefois, à chaque nouvelle mort, il devient de plus en plus difficile pour la diplomatie russe de s’opposer à la condamnation croissante d’Assad.
"Affirmer que le régime de Bachar al-Assad n’est pas légitime signifierait que nous rompions tous les liens et que ce régime arrêtera toute coopération avec nous", estime M.Issayev.
"Nous ne comptons sur personne", a indiqué l’expert répondant à la question de savoir si le régime du président Assad survivrait.
"Nous avons des relations avec divers pays, y compris la Syrie, et nous ne voulons pas que ces relations dégénèrent", a-t-il ajouté.
La Syrie est un pays sans lequel il serait "impossible" de résoudre le conflit au Proche-Orient, et la Russie intervient pour que Damas reste étroitement impliqué dans les efforts de paix internationaux dans la région, estime M.Issayev.
Selon les experts, la Syrie, qui soutient le groupe islamiste Hezbollah et recèle le leader du parti Hamas Khaled Meshaal, joue un rôle important dans le processus de paix israélo-arabe, médiatisé par la Russie dans le cadre du quartette pour le Proche-Orient. En outre, la Syrie héberge des centaines de milliers de refugiés palestiniens.
"Nous ne pouvons pas dire qui arrivera au pouvoir dans le cas de la chute du régime d’Assad. Mais il est évident que si l’un des piliers de la stabilité s’écroule, la région plongera dans le chaos", estime M.Issayev.
"Des tigres combattants"
Toutefois, même si la Russie ne veut pas de confrontation avec l’Occident, le Kremlin n’a pas pu jusqu’à présent défendre ses intérêts politiques en Syrie. "La politique russe reste fidèle à un paradigme chinois – lorsque des tigres se battent dans la vallée, nous restons sur une colline. Pourtant, il est difficile de dire combien de temps nos dirigeants résisteront", estime M.Kariakine.
"Il vaut mieux rester à l’écart. Quand tout s’effondre, il est préférable de trouver un moyen de s’échapper avec minimum de pertes", ajoute M.Satanovsky.
Cependant, M.Kariakine estime que l’Occident finira par "trouver un moyen" de renverser le président syrien "sans prendre conseil de la Russie".
"Je crois que notre délégation au sein du Conseil de sécurité ne soutiendra pas les nouvelles sanctions contre la Syrie. Une question se pose : notre avis sera-t-il pris en compte après que nous n’avons pas appuyé la Libye ?".