Lors de mon voyage en Syrie, en 2015, je disais aux Syriens que leur pays était devenu le pivot géopolitique mondial. C’est-à-dire la miniaturisation et le lieu de cristallisation de la guerre mondiale latente où s’affrontent, par armées interposées, les deux plus grandes puissances nucléaires de la planète.
J’expliquais alors que, de l’avenir du monde dépendait l’issue de la guerre en Syrie. Du moins, ce conflit devait à terme déterminer la future géopolitique mondiale.
Plan israélien
La Grande Syrie (bilad al-cham) est au croisement de trois continents et trois mers. Les empires, depuis l’Antiquité, ont envahi ou tenté d’envahir cette région.
Mais si l’histoire se répète, ce n’est pas de la même façon. La Syrie, depuis 2011, ne fait pas face à un empire au sens classique du terme. L’agression que les puissances occidentales ont lancé contre la Syrie, la Libye, et précédemment l’Irak, fait partie d’un seul et même plan, élaboré par des individus et des groupes identifiables.
La guerre contre l’Irak en 2003, et le « Printemps arabe » qui a débouché sur l’hiver terroriste, suivaient un plan de remodelage du monde musulman, du Maroc au Pakistan : le Plan Oded Yinon, « a strategy for Israel in the Nineteen Eighties », établi en 1982 par les Israéliens, repris et actualisé en 2002, sous le nom de « Greater Middle East initiative », par les néoconservateurs américains. Ce plan a été mis en application par l’administration Bush, au lendemain du 11 septembre 2001, sous l’impulsion et la pression du lobby pro-israélien.
Les réseaux d’influence israéliens ont fait des États-Unis et de leurs vassaux d’Europe de l’Ouest les outils de destruction des pays du Maghreb et du Proche-Orient. Destruction nécessaire à l’accomplissement du projet originel du sionisme : l’établissement du Grand Israël, du Nil à l’Euphrate.
Or, la résistance de la Syrie, du Hezbollah, de l’Iran, et surtout l’intervention russe, a mis un coup d’arrêt net au projet israélien.
Choc idéologique mondial
Bien que déterminant, l’aspect militaire est la surface et l’effet du conflit. La dimension idéologique, au fond religieuse, de cette guerre, est fondamentale.
Il s’agit d’une confrontation géopolitique et militaire traduisant ce que j’ai appelé un « choc idéologique mondial ». En d’autres termes, une guerre menée contre l’humanité par le monde anglo-américain judéo-wahhabo-protestant ; un ensemble géopolitique sous pilotage israélo-américain rassemblant les pays de l’OTAN et les pétromonarchies d’obédience wahhabite. Une alliance impériale composée de WASP calvinistes et de messianistes juifs ayant rallié à leur vision du monde les anciens pays catholiques du continent européen, des wahhabites et de l’État hébreu.
Tous partageant la même idéologie inégalitaire, autrement dit, tous appartenant au camp de l’Ancien Testament qui détermine leur vision du monde.
Pour justifier ses guerres, cet ensemble impérial s’est appuyé sur une stratégie géopolitique rabbinique, élaborée au Moyen Âge et visant à envoyer les mondes chrétien et musulman dans une guerre mutuellement destructrice, en vue du rétablissement du royaume d’Israël. Cette stratégie a été actualisée, laïcisée et baptisée « Choc des civilisations » en 1957 par l’historien juif britannique Bernard Lewis.
Ce projet religieux, messianique et politique, fallacieusement érigée en théorie scientifique, a amalgamé successivement le judaïsme et le christianisme, le protestantisme et le catholicisme, l’Europe continentale et le monde anglo-américain, pour l’opposer au monde musulman, puis à la Russie et à la Chine.
Or, il faut bien distinguer l’Europe et l’Occident. L’Occident est une construction liée à cette fabrication idéologique qu’est le judéo-christianisme, et qui a absorbé peu à peu l’ancien monde catholique, gréco-latin et germanique, pour en faire le prolongement de l’espace anglo-américain, moderniste et matérialiste. L’Angleterre, et l’Amérique à sa suite, ayant été utilisé par les messianistes, à partir du XVIIe siècle, comme sièges de l’impérialisme globaliste que nous combattons.
L’Europe, définitivement vassalisée à l’occasion des deux guerres mondiales, est depuis, prise en tenaille par l’Union européenne et son pendant militaire, l’OTAN, bras armé des États-Unis.
Nouvelle donne géopolitique et idéologique
La victoire militaire de l’Axe de la résistance sur les brigades internationales terroristes a révélé et aggravé la fracture dans le système impérial.
Les États-Unis étaient déjà en déclin dans les années 1990. Et leur agressivité témoignait d’une faiblesse grandissante. Une faiblesse économique et militaire, dans un monde de plus en plus difficile à dominer, surtout depuis la réémergence de la Russie et de ses alliés.
Dans ce contexte, l’Amérique avait, durant l’élection de 2016, deux voies qui s’offraient à elle : poursuivre leur course de destruction du monde et d’autodestruction, en choisissant la représentante de l’impérialisme néoconservateur, Hillary Clinton ; ou, avec le vote Trump, se recentrer sur elle-même, dans une logique isolationniste afin de se régénérer, notamment sur le plan économique, et renoncer à l’empire global.
Quoi qu’on dise de la politique de Donald Trump, sa victoire électorale, sur les thèmes du protectionnisme économique et de l’isolationnisme géopolitique est un tournant historique significatif.
En somme, il symbolisait le rejet du globalisme au profit de la nation, et il a par conséquent ouvert une brèche dans le système impérial, car la remise en question de son idéologie devait entraîner l’accélération de l’affaiblissement de ses structures.
Cette faille qui, à l’intérieur de l’appareil d’État américain, oppose les nationalistes isolationnistes et les impérialistes globalistes, traverse aussi le monde judéo-sioniste. En effet, la défaite cuisante d’Israël face à la Syrie et ses alliés, et la politique d’épuration ethnique menée par l’État hébreu, fait de lui un boulet et un danger pour la diaspora juive internationale qui craint l’hostilité des peuples au milieu desquelles elle vit.
Raison pour laquelle Israël, qui est de plus en plus isolé diplomatiquement et au pied du mur militairement, a élaboré une nouvelle stratégie, consistant désormais à tenter d’accompagner et de récupérer la vague souverainiste en Occident.
Telle est la nouvelle donne géopolitique et idéologique de la séquence historique qui s’ouvre.
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Bonus : petit récapitulatif à propos de l’implication d’Israël contre l’État syrien