Psychoses occidentales : mieux que les virus de Bill Gates,
les têtes nucléaires de Vladimir Poutine
Le 4 octobre 2022, le Nouvel Obs sort un article sur les quatre scénarios – comme les quatre cavaliers de l’Apocalypse ? – du spécialiste américain du nucléaire militaire Joe Cirincione.
Scénario 1 : simple démonstration de force, charge nucléaire faible (inférieure à 10 kt – dix kilotonnes) sur une zone inhabitée, pas de morts ni de dégâts matériels, soit un message envoyé à l’Occident : attention, c’est la première marche. Probabilité de ce scénario selon Cirincione : faible.
Scénario 2 : un missile Iskander équipé d’une tête nucléaire de 10 kt envoyé sur cible militaire. Pas de réponse nucléaire des États-Unis mais des attaques conjointes OTAN-USA contre des unités russes. Probabilité plus importante, selon Cirincione.
Scénario 3 : utilisation d’une arme nucléaire massive 50 kt (3 fois Hiroshima) qui causerait des milliers morts et d’énormes dégâts matériels. Réponse occidentaux : entrée en guerre de l’OTAN et des USA, avec une possible riposte riposte nucléaire. Voici la réponse complète de l’Américain :
Cirincione ; Le troisième scénario, ce serait une bombe de 50 kilotonnes lancée contre l’Ukraine. Trois ou quatre fois Hiroshima, des dizaines, voire des centaines de milliers de morts. Un niveau de destruction jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais là encore, cela resterait localisé. On ne sentirait rien à Paris ou Bruxelles. La réponse de l’Occident passerait par tout ce qu’on a évoqué pour les deux premiers scénarios, mais sans doute aussi par l’entrée en guerre de pays de l’OTAN. Ce ne serait pas l’objectif de Poutine, bien sûr, qui veut au contraire que les pays de l’OTAN s’écartent de cette guerre. Son intention serait de faire croire qu’il peut devenir fou et qu’il vaut mieux sortir de ce conflit. Beaucoup de gens dans nos capitales diraient : « Stop, laissons tomber, le jeu n’en vaut pas la chandelle, l’Ukraine ne vaut pas qu’on risque notre propre sécurité… » Il pourrait y avoir des divisions sérieuses au sein des membres de l’OTAN. Mais du côté américain, on opterait sans nul doute pour l’intervention. Car si l’on croit à la dissuasion nucléaire, il faut être conséquent. Tout repose là-dessus. Si vous renoncez, vous êtes foutus, vous n’êtes plus crédible lors des futures confrontations. C’est le piège de la dissuasion.
L’Obs : Si l’on suit la logique de la dissuasion, la riposte américaine serait nucléaire…
Cirincione : Certains experts aux Etats-Unis considèrent en effet qu’une réponse conventionnelle à une attaque nucléaire ne serait pas suffisante. Pour « restaurer la dissuasion », il faut selon eux répondre de la même manière que la frappe. Mais d’autres – dans la hiérarchie militaire, notamment – prônent une réponse conventionnelle massive. Parce qu’à la différence de la Russie, nous avons passé les dernières décennies à développer des armements conventionnels précis et puissants, qui peuvent fournir une réponse catastrophique. Cela prendrait plusieurs jours, mais ce serait une opération « choc et stupeur » sous stéroïde.
L’unité qui a lancé la frappe nucléaire serait certainement pulvérisée. La question compliquée serait de savoir jusqu’où aller. On frapperait en Russie, mais ensuite, comment contrôler l’escalade ? Comment éviter la contre-contre-frappe ? Car le but reste de mettre fin à la guerre.
Scénario 4 : Poutine lance une attaque sur une cible de l’OTAN, par exemple une base aérienne en Pologne d’où partent les transports militaires vers l’Ukraine, avec d’énormes dégâts humains et matériels. Une riposte nucléaire américaine serait alors très plausible.
***
Deux semaines plus tard très exactement, David Pujadas, sur LCI, s’empare de cet article et invite quatre spécialistes à en analyser le contenu. Après quelques informations intéressantes, emportés par leur antipoutinisme primaire, les quatre cavaliers de Pujadas vont alors franchir les frontières de la connosphère, pour finir sur un extatique point Godwin.
« Le risque est faible », nous rassure la chroniqueuse Aurélie, « mais il est réel ». On croirait entendre une resucée des vieux éléments de langage covidiens : vous n’allez pas forcément mourir, mais vous pouvez mourir...
On apprend, de la bouche de Daphné, spécialiste elle aussi du nucléaire de défense, que les armes d’une puissance de celle d’Hiroshima (en dessous de 15 kt) sont aujourd’hui considérées comme des armes nucléaires tactiques, c’est-à-dire qu’elles échappent à la surveillance et aux lois internationales sur la prolifération et l’emploi. Car ces lois focalisent sur les bombes de 150 kt, soit 10 fois la puissance d’un « Hiroshima ». Il y a un vide « juridique » qui permet donc d’utiliser, à des fins militaires, une frappe nucléaire tactique.
Pujadas à 7’37 : « Personne ne peut attester avec certitude que ces armes nucléaires tactiques de champ de bataille existent dans l’arsenal russe. C’est pris comme une évidence parce que il n’a jamais été démontré qu’elles n’existaient pas, mais il n’y a jamais eu d’essais répertoriés, documentés, de ces armes-là, alors qu’il y en aurait eus aux États-Unis dans les années 70 avant qu’ils abandonnent cette arme. Est-ce que vous, vous pensez vraiment qu’elles figurent dans l’arsenal russe ? »
En réalité, les Américains disposent d’armes tactiques, en quelque sorte intermédiaires, qui échapperaient donc au tabou de l’utilisation massive, finale, apocalyptique, d’armes stratégiques. ce que confirme Daphné Benoît, la correspondante défense de l’AFP.
Daphné à 8’14 : « Ce qui est plus difficile dans leur recensement finalement, c’est que ce sont des armes qui sortent des traités de maîtrise des armements. Les traités de maîtrise des armements ne concernent que les armes dites nucléaire stratégiques, c’est-à-dire avec une portée intercontinentale, supérieure à 5 500 kilomètres je crois. (...) La Russie est censée disposer de 200 de ces armes tactiques. »
Intervient alors le général Dominique Trinquand, l’ancien chef de la mission militaire française à l’ONU, qui évoque la mission de ce type d’arme en Russie.
Trinquand à 9’29 : « Dans la stratégie russe, l’utilisation de l’arme tactique, on l’oublie un petit peu, c’est ce qu’on appelait “l’escalade pour provoquer la désescalade”. C’est-à-dire on utilise l’arme tactique – c’est une escalade pour dire “bon maintenant on s’arrête”. »
Daphné rappelle à ce sujet la sortie de Borrell, le chef de la diplomatie européenne, à propos d’une frappe tactique russe en Ukraine.
Daphné à 11’21 : « Il est intéressant de voir que le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell est allé parfaitement dans le sens de ce scénario jeudi dernier en disant qu’un emploi de l’arme nucléaire par les Russes, tactique, appellerait des représailles pour anéantir l’armée russe et la flotte en mer Noire. »
Daphné, surexcitée par la perspective d’un anéantissement des forces russes, finit sur une note presque comique, si on ne parlait pas d’escalade nucléaire.
Daphné : « Et c’est intéressant de voir que les Européens, qui sont quand même assez prudents sur ces questions, sont alignés avec les États-Unis dans le message. »
Quelle surprise, cet alignement ! Le débat surréaliste sur la santé mentale de Poutine commence après ces intéressantes informations. Alexandre Melnik, l’ancien diplomate soviétique, donne le top du delirium collectif.
Melnik à 13’37 : « Je poserais la question qui me semble primordiale. Poutine est-il rationnel ? C’est une question qui a été soulevée. Moi je dirais que Poutine a la rationalité du délire, la rationalité du délire : il reste rationnel dans son logiciel mental, dans son raisonnement qui relève d’un déni de réalité. Mais surtout, il est jusqu’au-boutiste. C’est-à-dire il ne s’arrêtera jamais, il n’a pas de garde-fou, il ira jusqu’au bout de ce que j’appelle la démarche meurtrière suicidaire, suicidaire pour l’ensemble de nos pays. »
Melnik en remet une couche : « L’histoire de la Russie, il y a beaucoup d’exemples qui prouvent cette irrationalité dans la rationalité. »
Pour lui, un tabou a sauté avec l’introduction du mot nucléaire dans le débat. Et les mots conditionnent les actes. Il n’en fallait pas plus pour que les invités se lâchent furieusement, devenant les psychiatres de Poutine, dont les longs discours anti-impérialistes devant la majorité de l’humanité sonnent pourtant comme ceux de de Gaulle, quand il s’opposa aux Américains dans les années 60... Un de Gaulle diplomatique que tous les Français et les peuples non-alignés chérissent aujourd’hui !
Pujadas à 15’32 : « Pardonnez-moi mais vu la capacité de mensonge disons le mot, d’écriture de l’histoire telle qu’elle se déroule qu’on dénote à Moscou, est-ce qu’il y a pas pour un dictateur, parce qu’on dit beaucoup un dictateur peut pas perdre la guerre, mais il peut tout à fait inventer une histoire qui consisterait à dire « je l’ai perdue mais en fait je l’ai gagnée », même si il devait rendre tous les territoires, même si il devait revenir à la case départ. »
Trinquand : « C’est un peu ce qu’il dit tous les jours en disant le plan se déroule conformément à ce qui était prévu, il l’annonce à chaque fois. Vous savez, c’est toujours la question : il ment, mais sait-il qu’on sait qu’il ment ? Et ça c’est le sujet sur lequel on est, c’est vis-à-vis des radicaux pour garder son pouvoir quelle est sa porte de sortie vis-à-vis des radicaux, je crois pas à l’utilisation de l’arme nucléaire mais je crois à une sortie pour essayer de faire exactement ce que vous avez dit ! »
Vincent Hugeux, grand reporter et essayiste : « La question qui se pose pour moi, c’est l’implacable cohérence des déments. Pour avoir beaucoup travaillé sur la trajectoire de despotes d’hier il y a quelque chose qui s’appelle l’instinct de survie, alors la question est de savoir s’il reste une sorte d’ultime immunité rationnelle à l’instant t, à l’instant de la décision, ou si on cède à ce qu’on pourrait appeler le syndrome du pharaon ou du roi aztèque qui se fait enterrer avec ses femmes, ses esclaves et ses bijoux, ce n’est pas après moi le chaos dans ce cas-là, c’est après moi le néant. »
Pujadas : Hitler a fait à peu près la même chose, enfin, a fait le même choix.
On rappelle, à toutes fins utiles, à ces quatre cavaliers de l’apocalypse en plateau, que le tabou de l’emploi de l’arme atomique est déjà tombé, il y a 77 ans, et c’était par le fait des Américains, qui ont anéanti deux villes japonaises, donc des cibles purement civiles, dans une optique de terreur, alors que le Japon était déjà à genoux. Mais il fallait effrayer le nouvelle ennemi, le Soviétique.
On peut penser que l’utilisation par Poutine d’une arme nucléaire tactique sur une cible militaire en Ukraine effacera, dans l’esprit des Occidentaux borgnes, le crime impardonnable des Américains.