« C’est ça le problème avec la gnôle, songeai-je en me servant un verre. S’il se passe un truc moche, on boit pour essayer d’oublier ; s’il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose. » (Charles Bukowski)
À l’heure où les Fêtes approchent, où les Français vont monter en gamme dans leur verre et où le 93 (le département, pas l’année) a encore du mal à se faire à la culture du vin, il est bon de rappeler quelques notions fondamentales sur le noble breuvage. On dit toujours que les cordonniers sont les plus mal chaussés : il se pourrait qu’au pays des grands crus, les nouvelles générations manquent quelque peu de connaissances sur ce pilier incontournable de la culture française.
Mais avant de passer au test culturel, il nous faut faire de la prévention, car l’alcool, même autorisé, est une drogue. Eh oui, ça vous la coupe, hein. L’alcool est un anesthésiant au même titre que la cocaïne : ça permet de moins souffrir (dans les films américains quand la tunique bleue a pris une balle des Indiens on lui verse une rasade de whisky dans le goulot pour qu’il supporte l’opération). Mais la cocaïne ne sent rien et manger avec un verre de cocaïne n’a aucun sens : il n’y a pas d’accord mets-cocaïne. D’où la supériorité du vin, toujours en vente libre.
Article dans l’article, imposé par le ministère de la Santé (et du délit d’initiés)
L’alcool, on le sait tous, peut être la meilleure et la pire des choses. La meilleure quand on boit modérément pour le plaisir de l’arôme, avec le poil d’ivresse qui va avec, la pire quand on crève de cirrhose en dégueulant du sang sur ses draps d’hosto devant le reste de la famille qui en a marre de supporter ça depuis des années.
Pour ceux qui boivent ou qui aiment boire, il s’agit d’être plus fort que l’alcool. Ce breuvage des dieux ou du diable est un défi lancé à l’homme : faible, il y succombera ; fort, il en profitera. Mais ne jetons pas la pierre aux alcooliques plus ou moins lourds, il y a bien des raisons de boire, comme il y a des raisons de se soigner.
L’alcool est d’abord un anesthésiant utilisé comme tel par ceux qui souffrent et qui ne savent pas comment guérir de cette maladie de l’âme qu’on appelle spleen ou tristesse existentielle. Le médicament peut malheureusement devenir un poison.
Cependant, il y en a qui acceptent de se « soigner » à l’alcool toute leur vie et qui assument. Jean-Pierre Coffe venait avec ses bouteilles à l’enregistrement des Grosses Têtes, qu’il partageait aimablement avec les chroniqueurs et invités présents. Les campagnes anti-alcool ne changent pas grand-chose au choix de ces adultes qui savent ce qu’ils font, et qui acceptent le risque.
Du côté de la jeunesse, en période de troubles sociaux et de rumeurs de guerre, civile ou autre, on recommence à boire plus que de raison. Autrefois, quand la France comptait 500 000 estaminets (en 1900, 200 000 en 1960, contre 35 000 aujourd’hui), on buvait dès l’âge de 12 ans, on trempait ses lèvres à 10 ans dans les coupes de champagne lors des baptêmes et des mariages, c’était « la tradition », que voulez-vous [1]. On ne va pas faire la morale rétroactivement à la France d’antan qui se lâche à table. Sorti de la table, l’alcool devient autre chose quand même.
Dans le genre décomplexé, les Américains nous ont pondu un magazine intitulé Drunkard, qu’on peut traduire par Ivrogne, et eux y vont franco dans l’addiction ostensible. C’est d’ailleurs rafraîchissant de voir cette promotion délirante dans une période plutôt puritaine en la matière.
« Frank Rich, 38 ans, rédacteur en chef du Modern Drunkard, a donné à son journal une devise empruntée à Charles Bukowski, écrivain turbulent et grand picoleur devant l’Éternel : "Lorsqu’on est soûl, le monde est toujours là, mais au moins il ne vous prend plus à la gorge."
Frank Rich envoie chaque mois ce message de consolation à ses lecteurs-buveurs depuis son QG de Denver, Colorado, une salle de rédaction évidemment équipée d’un bar. Les articles présentent tous un "intérêt alcoolique", qu’il s’agisse de réflexions sur les bénéfices des excès de l’ivresse ou de biographies d’ivrognes célèbres. Ainsi a- t-on pu lire un reportage intitulé "Soûlons-nous en Europe de l’Est" et un ensemble de conseils diététiques, sur le thème "Comment maigrir en buvant".
La réussite du Modern Drunkard tient au fait qu’il joue un rôle joyeusement protestataire auprès d’une minorité qui s’estime de plus en plus stigmatisée au sein d’une société américaine célébrant volontiers la sobriété comme une vertu suprême. "Chaque minorité a son magazine. Pourquoi pas nous ?", demande un abonné, rencontré à une heure matinale dans un bar de Denver.[...]
Pour l’animateur du magazine, l’éthylisme a des bienfaits. "Très souvent, l’alcool nous aide à fonctionner dans des circonstances difficiles. Regardez Churchill. Il était toujours plus ou moins en train de boire tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Si vous dressez une liste des plus grands politiciens, écrivains ou artistes que le monde a produits, vous verrez qu’elle est dominée par des alcooliques invétérés."
Frank Rich rêve de faire du Modern Drunkard un véritable magazine international où les boit-sans-soif du monde entier trouveraient matière à entretenir leur vice sans éprouver la moindre mauvaise conscience. Londres lui semble la plate-forme idéale pour réaliser un tel projet. "Côté boisson, l’Angleterre a provoqué chez moi un véritable éveil, dit-il avec émotion. Ma première pinte de Guinness fut une expérience quasi religieuse. Avant de vivre à Londres, je n’avais pas la moindre idée de la diversité des bières. Notre édition britannique sera légèrement adaptée à ce nouveau marché. Mais le ton et le contenu seront fondamentalement les mêmes, ceux d’un magazine écrit par et pour les ivrognes." » (Le Monde du 15 septembre 2003)
Cet article amoral se termine heureusement par une pointe d’amertume :
« Les associations engagées dans la lutte antialcoolique haïssent, en toute logique, ce magazine. À Denver, un volontaire de Cares, une organisation qui a pour mission de procurer un gîte aux poivrots des rues, exprime sa colère devant le reporter du Sunday Telegraph : "Venez voir par ici, je vais vous montrer à quoi ressemblent les prétendus "ivrognes modernes". »
Dans ce torchon pour pochtrons, les femmes sont présentées comme d’indubitables (provient du sanskrit ancien indus et du plus récent bitable) tentatrices.
On le voit sur ces couvertures à ne pas montrer aux enfants, la double attraction exercée par la femelle et par le verre d’alcool augmente considérablement le désir du mâle. Il ne manque plus qu’une entrecôte sur la poitrine ou des pâtes fraîches à la truffe sur les cheveux et là, on ne répond plus de rien. Car l’homme réagit à deux ou trois pulsions fondamentales dont la bouffe et la touffe. Et aussi le virement en fin de mois.
1 – Une demi-bouteille (37 cl) de château Yquem d’un bon millésime à 180 euros c’est
complètement fou
raisonnable
sous-estimé
donné
2 – Rieussec est
l’aphérèse [2] du nom du médiocre écrivain Dard-Rieussec
l’appellation d’un sauternes qui concurrence Yquem
le versant humide du Rieumide, colline où est récolté ce raisin jaune or
un silo à riz protégé des moustiques tigres en Camargue
3 – Quel est le verbe qui décrit la décapitation d’une bouteille de champagne ?
saper
sabrer
sabler
saquer
4 – Qui est François Audouze ?
L’homme qui possède la plus grande collection de vins rares au monde
le producteur richissime de Jacquie & Michel
le recordman du monde d’ingestion de shots de tequila sunrise
un SDF célèbre mort de cirrhose du froid devant le ministère des Affaires sociales en 2015, sous le régime du socialiste François Hollande
5 – Les femmes (2 verres ou 20 g d’alcool) peuvent moins boire que les hommes (3 verres ou 30 g), c’est
une mesure de prophylaxie car les femmes ont tendance à s’oublier dès le premier verre (elles oublient alors le second, et ainsi de suite)
une sourate peu connue du Coran apocryphe
un calcul fondé sur la capacité de métabolisation de l’alcool par des organismes différents
du sexisme
6 – Les « pots » au boulot ont été interdits parce que
ça finissait toujours par se foutre sur la gueule entre collègues ou entre subalternes et hiérarchie (plus grave)
certaines personnes ne tiennent pas l’alcool et commencent à devenir lourdes (propos égrillards, mains aux fesses, exhibitions dangereuses surtout en cas de vidéos qui tournent après dans la boîte ou pire sur les réseaux sociaux)
certaines sociétés abusaient et en faisaient tous les jours (anniversaire, bons résultats, départ, promotion, retraite, mauvais résultats, plan social, délocalisation en Chine)
en général les organisateurs des pots achetaient des mauvaises bouteilles
7 – Les prix des grands bordeaux ont explosé parce que
les producteurs de bourgogne ignorent l’inflation
la demande de bordeaux a été dynamisée par les rayons « grands crus » des hypermarchés
le réchauffement climatique a généré des années exceptionnelles dans le Sud-Ouest
les Français boivent moins de piquette et plus de bon vin
8 – Quelle est le département français qui boit le plus ?
Finistère
Mayotte
Seine-Saint-Denis
Ch’tis
9 – On dit que la France est le pays des 365 fromages, mais de combien de sortes de vins ?
3 240
32 400
324 000
3 240 000
10 – Selon le dicton populaire, une femme qui boit est nécessairement de petite vertu car
l’alcool réchauffe le corps et provoque un besoin irrépressible de déshabillage
les hommes profitent de l’ivresse d’une femme qui voit tomber progressivement toutes ses barrières morales
elles prennent prétexte de l’amnésie provisoire due à l’ingestion d’alcool pour faire des choses osées qu’elles ne feraient jamais habituellement alors qu’elles savent très bien qu’elles les font mais le lendemain elles font genre « j’ai fait quoi ? »
les paysans ignorent toute notion de psychologie moderne
11 – On boit du château Yquem avec
du roquefort
un Big Mac
lenteur et déférence
des amis qui ont réussi dans la finance
12 – Vous êtes nul en œnologie, vous êtes chez des amis qui ouvrent « un grand bordeaux », ils vous versent une rasade, vous
humez le nectar et tentez de définir les arômes qui le composent avec ce qui vous vient à l’esprit et au nez
attendez que quelqu’un d’autre entame le rituel complexe et calquez vos gestes sur lui
buvez cul sec et rotez de satisfaction en faisant un pouce à l’assemblée
vous gargarisez en vous raclant la gorge, tête renversée, puis recrachez le tout par terre, sur le tapis persan en soie bleue
13 – Devant le rayon « vins » de deux fois 15 mètres à Auchan, vous
prenez une bouteille dans les prix que vous aviez convenus
saisissez discrètement la même bouteille qu’un client qui « a l’air » de s’y connaître
faites appeler le responsable du rayon pour demander conseil
cherchez les notes des vins sur votre mobile et faites confiance à Périco Légasse, malgré sa relation avec Natacha Polony
14 – C’est l’anniversaire de tante Christine – dite « Chris deux fois » –, une alcoolique de compétition, qui commence à délirer devant toute la famille à table, il s’agit de maîtriser la situation, vous
supprimez toute deuxième bouteille pendant le repas
faites la sourde oreille quand elle exige « à boireuh » avec une voix de plus en plus chevrotante et des gestes de plus en plus déviants
l’humiliez devant tout le monde avec un « bon maintenant t’arrêtes de picoler devant les mômes »
la faites boire jusqu’au coma et vous débarrassez du corps sur le balcon (4 degrés l’hiver) à côté de la caisse du chat
15 – Votre boss aime le bon vin et c’est son anniversaire, vous
faites cotiser toute la boîte (si besoin avec le chantage de la liste des participants au financement) pour lui offrir un grand cru de son année de naissance
lui achetez le Guide Parker et ses 260 vins notés 100/100
trouvez un « cubi » de 5 litres de picrate pour faire passer un message car vous avez appris que vous alliez être dans la prochaine charrette
faites imprimer une étiquette de château à son nom que vous collez sur une grande bouteille en laissant un petit mot gentil signé de votre main
16 – Une jolie femme, accoudée au bar, vous regarde intensément, vous
souriez et avancez vers elle en évitant de trembler – même si vous en avez très envie – comme vous avez vu Brad Pitt le faire dans les films américains
vous retournez pour savoir si c’est bien pour vous
essayez de voir si elle a toutes ses dents
lui demandez ses tarifs
17 – En sortant de l’hôpital avec un copain alcoolique condamné à l’abstinence, vous passez devant un bistrot, votre pote vous propose « une toute petite bière », vous
appelez son médecin alcoologue le Dr Batel dont vous avez le 06
le sermonnez en disant que « ça commence par une pression et ça finit par une dépression »
lui confisquez sa carte bleue en lui demandant son code
le frappez violemment
18 – C’est le déjeuner du dimanche annuel obligatoire chez les beaux-parents, beau-papa ouvre un grand vin de 1979 malheureusement piqué, carrément du vinaigre, vous
faites semblant de le trouver « extraordinaire, une pure merveille »
le humez sans aller plus loin tout en commentant « l’arôme » avec un maximum de vocabulaire et de pilpoulogie
annoncez dans un éclair d’inspiration que vous êtes « sous antibiotiques et en pleine étude du Coran »
lui dites que « c’est vraiment de la merde »
19 – Qu’est-ce qui a fait chuter le nombre de bistrots de 500 000 à 35 000 en un siècle en France ?
la concurrence des fast-foods depuis les années 70
les changements dans la consommation d’alcool (moins et mieux)
la sobriété grandissante dans les banlieues immigrées à majorité musulmane
la saleté des chiottes et les sandwiches dégueulasses
20 – Vendredi 16h35, devant le lycée 5 jeunes filles sont déjà assises devant une forêt de pintes, vous
leur expliquez que l’alcool n’améliore pas les capacités intellectuelles, surtout chez des personnes de sexe féminin dont l’hypothalamus est déjà amoindri par la pilule et la construction mentale pas encore achevée
leur demandez si elles prennent de la coke pour les révisions h24, des amphètes pour les examens, des cocktails ultra vitaminés toute l’année avec des somnifères le soir, plus éventuellement des antidépresseurs en cas de surchauffe
les traitez de « petites salopes dévergondées »
allez chercher une chaise et payez votre tournée en essayant d’obtenir le 06 de la fille la mieux roulée et la plus alcoolisée
Les résultats du test
De 20 à 30 points : vous méritez d’être déchu de la nationalité française
De 30 à 40 points : vous êtes sur le bon chemin mais il reste de la route
De 40 à 60 points : vous faites honneur à la culture pinardière comme dirait Boudard
Plus de 60 points : vous êtes Robert Parker