Le ministre de l’Économie s’est déporté du dossier ADP, du fait du mariage de sa sœur avec le patron du groupe. Des internautes estiment que la situation des frères du ministre, travaillant dans la finance, peut aussi caractériser un conflit d’intérêts.
Samedi 5 août, a été publié au Journal officiel un décret prévoyant que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, soit écarté « des actes de toute nature relatifs au groupe ADP », l’acronyme d’Aéroports de Paris. Adopté la veille, le texte indique que ces attributions reviennent au Premier ministre, Élisabeth Borne. Et ce conformément au décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, dont l’article 2-1 dispose que « le ministre qui estime se trouver en situation de conflit d’intérêts en informe par écrit le Premier ministre en précisant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses attributions. Un décret détermine, en conséquence, les attributions que le Premier ministre exerce à la place du ministre intéressé ».
Ce décret par lequel Bruno Le Maire se retrouve déporté des sujets liés à ADP a été repéré par Elsa Foucraut, enseignante à Sciences-Po spécialisée dans la transparence de la vie publique, qui s’est, dimanche 6 août, interrogée sur Twitter (renommé X) quant à la raison « qui justifie et nécessite un tel déport après six ans » à la tête du ministère de l’Économie. La réponse est tombée à la fin du week-end, par l’intermédiaire du journaliste de Politico Paul de Villepin : ce déport intervient alors que Sibylle Le Maire, la sœur du ministre, directrice du développement de Bayard, s’apprête à épouser Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP depuis 2012.
Dans son article paru lundi, dont il a publié un extrait sur Twitter, Paul de Villepin rapporte que Sibylle Le Maire et Augustin de Romanet « s’apprêtent à se marier […] dans les prochaines semaines ». Une information confirmée par le service de communication d’ADP et le cabinet de Bruno Le Maire. Ce dernier précise que le déport suit « la procédure habituelle dès lors que vont exister des liens de famille entre le ministre et monsieur De Romanet ».
Une fratrie dans le secteur de la finance
Dans ce contexte, le professeur de droit public Paul Cassia, auteur de Conflits d’intérêts. Les Liaisons dangereuses de la République, juge que le déport « est bienvenu, mais aurait dû intervenir le plus tôt possible, dès l’instant où des relations d’ordre privé étaient stabilisées entre la sœur du ministre et le PDG d’ADP ». Selon Paul Cassia, le mariage ne vient que « cristalliser » une relation déjà existante, qui à elle seule pouvait faire naître une situation de conflit d’intérêts.
Mais la publication du décret de déport a également suscité des commentaires quant à d’autres potentiels conflits d’intérêts pouvant découler des fonctions des frères de Bruno Le Maire. Tous officient en effet dans la finance, au sein de sociétés qui sont autant d’acteurs avec lesquels le ministre de l’Économie est amené à travailler, ou qu’il peut affecter par ses choix politiques.
En décembre, un article de l’Informé dressait ainsi un portrait de la fratrie Le Maire. Tanguy, d’abord, est membre du comité exécutif France de Generali, la troisième plus importante compagnie d’assurances au monde qui, relève l’Informé, a été avantagée par la loi Lemoine adoptée en février 2022. Olivier, ensuite, travaille au sein de la banque d’affaires Lazard, dont il gère l’équipe dédiée aux fusions-acquisitions de taille moyenne. Or cette banque épaule régulièrement des organismes publics dans leurs opérations. Quant à Éric, il est le directeur général associé d’Hugau Gestion, une société de gestion qui gère des actifs pour ses clients et investit dans des produits financiers. Enfin, Hugues Le Maire a fondé sa propre société de conseil en investissements financiers, LM Invest France. L’Informé notait que le ministre n’a pas pris soin de déclarer l’activité de ses frères, ne la considérant donc pas comme susceptible de faire naître des situations de conflits d’intérêts.
[#VIDEO] Bruno Le Maire fait-il preuve d’assez de #transparence ? Les frères du ministre de l'Économie évoluent tous dans la #finance... mais il continue de travailler sur des dossiers qui pourraient les avantager. Un problème ?
Découvrez la nouvelle vidéo d'@emelinemauro pic.twitter.com/Krfqta9wGF
— l'Informé (@LInforme_) February 17, 2023
Comment expliquer que le mariage de la sœur du ministre avec le patron d’ADP justifie un déport, mais pas les activités dans la finance des frères du même ministre ? Une question en entraînant une autre : qu’est-ce qui caractérise le potentiel conflit d’intérêts ? La nature du lien qui unit un responsable politique à la personne concernée (fraternel, conjugal, parental) ? Le niveau du poste qu’elle occupe ? Les sujets dont le ministre pourrait avoir à traiter dans un horizon proche ?
« Recommandations de mesures de précaution »
Contactée par CheckNews, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) rappelle qu’à son arrivée aux responsabilités, tout ministre doit remplir une déclaration d’intérêts, qui mentionne notamment « le nom et l’activité professionnelle de son conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité », mais ne donne « aucune information concernant les autres membres de sa famille ou de son entourage ».
Néanmoins, « indépendamment de ses obligations déclaratives auprès de la Haute Autorité, le responsable public doit aussi veiller à prévenir et faire cesser les situations de conflits d’intérêts qui naîtraient d’autres intérêts indirects détenus, tels que l’activité des enfants ou d’autres membres de la famille par exemple, ou encore les intérêts générés par des relations amicales ».
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