La formation néonazie Chryssi Avghi (Aube dorée), qui va faire une entrée en force au parlement selon les sondages, a canalisé par son discours et sa pratique ouvertement raciste et antiparlementaire, la colère de l’électorat dans un pays en profonde crise.
Selon les sondages sortie des urnes, le groupe remporte de 6 à 8% des voix, bien au-delà du seuil de 3% requis pour entrer au parlement.
Ce qui lui permettrait, si les résultats sont confirmés, d’obtenir au moins une vingtaine de sièges sur les 300 du parlement monocaméral grec, une première dans l’histoire de la Grèce moderne, dans un pays profondément traumatisé par l’occupation nazie et la dictature militaire entre 1967 et 1974.
Fondé en 1980 par Nikos Mihaloliakos, et dirigé sans interruption depuis par ce mathématicien de formation, sans emploi connu à 55 ans, Chryssi Avghi passerait ainsi en quelques mois du statut de groupe semi-clandestin à celui de rouage d’un système qu’il rejetait pourtant en se plaçant hors du jeu démocratique.
« Nous sommes en dehors du système politique » disait le leader d’Aube dorée dans une interview à l’hebdomadaire Athens News une semaine avant le scrutin en estimant que la Grèce devait « rompre l’accord » de sauvetage avec ses créanciers.
Il jugeait « normale » l’ascension de sa formation dans les sondages. « Les Grecs s’éveillent. Ils ont arrêté de tenir pour acquis les stupidités des voleurs, fraudeurs (les partis politiques) qui ont pillé la vie politique du pays ».
Dimanche pendant le vote, des militants de gauche ont dénoncé des intimidations menées par une trentaine de membres d’Aube dorée dans six bureaux de vote à Athènes. La police a confirmé en partie ces incidents tout en minimisant leur importance.
Chryssi Avghi a commencé son ascension fulgurante quand la formation concurrente d’extrême-droite Laos, entrée elle au parlement dès 2007, s’est ralliée en novembre à la politique d’austérité, lui laissant le champ libre pour revendiquer le vote protestataire.
Chryssi Avghi avait préparé le terrain en noyautant depuis plusieurs années les quartiers populaires de la capitale, menant la chasse aux migrants sans papiers qui s’y entassent livrés à eux-mêmes, en transit vers l’Europe.
Affublé par la presse du sobriquet de « Fuhrer » grec, son chef, un homme tout en rondeur à la voix fluette, y gagnera en 2010 d’entrer au conseil municipal d’Athènes, où il se signalera par un salut hitlérien et une escorte musclée.
En ignorant ce coup de semonce, l’establishment politique grec, y compris à gauche, s’est laissé prendre de cours, et a échoué à opposer un front uni au perturbateur.
Formé au contact de l’ancien colonel de la junte Georges Papadopoulos en prison, où il a effectué deux séjours pour violences en 1976 et 1978, M. Mihaloliakos a aussi tiré profit du désaveu des Grecs envers une classe politique rendue responsable de la débâcle financière du pays.
Confirmant un virage entamé en 2006, quand il s’était mis en sommeil après la condamnation à la prison du chef de sa faction militarisée pour tentative d’homicide de syndicalistes étudiants, le groupe a au passage mis une sourdine à ses références directement hitlériennes.
Sous l’emblème hellène du méandre, Chryssi Avghi prône désormais un national-socialisme à la grecque, censé « décrasser » le pays par le départ des étrangers indésirables et l’éviction des politiciens corrompus, au profit d’une prétendue « race grecque ».
S’inscrivant dans la lignée du dictateur fascisant d’avant-guerre Ioannis Metaxas, le groupe se nourrit aussi de l’irrédentisme face à la Turquie et aux voisins balkaniques.
Selon le journaliste Dimitris Psaras, expert de l’extrême droite grecque, Chryssi Avghi a ainsi élargi ses troupes à plusieurs milliers de militants, et conquis des bastions en province, alors qu’il ne comptait au départ que quelques centaines de membres surtout concentrés à Athènes.
Au-delà des cercles de sympathisants au sein des forces de l’ordre, de l’armée, des sociétés de sécurité ou dans le milieu des hooligans, la formation recrute désormais dans les collèges et lycées, selon les syndicats enseignants.
Son essor a été facilité par la persistance, attestée par les baromètres d’Eurostat, des préjugés xénophobes et antisémites en Grèce, ainsi que par l’impunité quasi-totale à l’égard des discours discriminatoires et des violences contre les migrants.
Le renvoi en jugement d’une des candidates de Chryssi Avghi à Athènes, pour une agression au couteau avec deux complices présumés en septembre 2011 contre un demandeur d’asile afghan fait ainsi figure d’exception, même si le procès a déjà été ajourné trois fois.
Le ministre sortant responsable de la police, Michalis Cryssohoidis, avait lui-même dénoncé en 2009 les collusions entre les forces de l’ordre et Chryssi Avghi, promettant à l’époque d’y mettre fin.