Pentagon Papers, le dernier film de Spielberg me donne l’occasion de proposer une analyse « profonde » de l’épisode relaté. La fuite et la révélation publique en 1971 par le New York Times puis le Washington Post de ce document classé secret-défense sur la guerre du Viêt Nam (rédigé à la demande de Robert McNamara avant son départ du Département de la Défense en 1967) est en tout point comparable au déclenchement un an plus tard du scandale du Watergate, sur lequel j’écrivais dans JFK-11 Septembre : « Le scandale du Watergate passe communément pour la preuve de l’indépendance des médias américains et de leur efficacité comme contre-pouvoir démocratique. En réalité, il illustre plutôt l’importance des médias comme arme dans la guerre politique des profondeurs. »
Il faut pareillement dépasser la narration publique et spielbergienne de l’histoire des « Pentagon Papers » pour comprendre ses véritables enjeux. En l’occurrence, il faut comprendre que, dans ces deux scandales d’État, la direction du New York Times et celle du Washington Post, les deux plus puissantes machines d’influence sioniste dans l’opinion publique américaine, agissent au service d’un pouvoir plus profond encore que le pouvoir profond qu’ils dénoncent. Le critère ultime qui détermine leur stratégie éditoriale en matière de politique étrangère est la fameuse question : Est-ce bon pour Israël ?
Dans cet article, je vais, non pas démontrer, mais poser l’hypothèse que la révélation des « Pentagon Papers », et plus largement le rôle assumé par l’establishment médiatique américain dans la contestation de la guerre du Viêt Nam, était dans l’intérêt d’Israël, dès le moment où commençait à peser la menace d’une contestation internationale contre l’occupation israélienne des territoires conquis en 1967. Mais j’irai plus loin en suggérant que la guerre du Viêt Nam elle-même, et non seulement sa contestation, a servi l’intérêt d’Israël, quels que soient les autres facteurs qui l’ont motivée. Il n’y a évidemment pas de contradiction entre ces deux hypothèses, puisque la contestation de la guerre du Viêt Nam suppose la guerre du Viêt Nam. Du reste, jusqu’en 1969, les éditoriaux du Washington Post soutenaient la guerre sans équivoque.
Johnson et la guerre du Vietnam
Comme je l’ai expliqué dans mon livre JFK-11 Septembre, si Kennedy n’avait pas été assassiné, l’expression « guerre du Viêt Nam » ne figurerait pas dans les manuels d’histoire. Sous sa présidence, le déploiement américain au Viêt Nam était limité à une force de 15 000 « conseillers militaires ». Fin 1963, Kennedy avait pris la décision d’évacuer la totalité du personnel militaire américain du Viêt Nam. Le 11 novembre, il préparait le terrain du désengagement par la directive NSAM-263, qui prévoyait de retirer « 1 000 membres du personnel militaire d’ici la fin 1963 » et, « d’ici la fin 1965, […] l’essentiel du personnel américain [1] ». Juste avant de quitter le Bureau ovale pour le Texas, le 21 novembre, ayant lu un rapport sur les dernières pertes humaines, il répétait encore sa résolution à son attaché de presse adjoint Malcolm Kilduff : « Après mon retour du Texas, ça va changer. Il n’y a aucune raison que nous perdions encore un seul homme là-bas. Le Viêt Nam ne vaut pas une vie américaine de plus [2]. »
Mais le 26 novembre, au lendemain des funérailles de Kennedy, son vice-président et successeur Lyndon Johnson enterra la directive NSAM-263 et la remplaça par une autre, NSAM-273, qui demandait aux militaires d’élaborer un plan « pour que les États-Unis étendent la guerre au Nord », en envisageant « plusieurs niveaux possibles d’activité accrue » et « des opérations militaires jusqu’à 50 miles à l’intérieur du Laos [3] », ce qui violait les accords de Genève de 1962 sur la neutralité du Laos. Ce document avait été préparé avant même la mort de Kennedy. Les ambiguïtés savamment ménagées dans la directive NSAM-273 furent levées par un mémorandum signé le 22 janvier 1964 par le général Maxwell Taylor : « NSAM-273 clarifie la résolution du Président d’assurer la victoire sur la rébellion communiste au Sud-Viêt Nam, dirigée et soutenue de l’extérieur. […] Pour ce faire, nous devons être prêts à tout niveau d’activité nécessaire [4]. »
Il ne restait plus qu’à trouver un faux prétexte : ce furent les torpilles prétendument lancées par les Nord-Vietnamiens contre deux destroyers américains le 4 août 1964 dans le Golfe du Tonkin, une attaque imaginaire fondée sur des données délibérément falsifiées [5]. Elle permit à Johnson de faire adopter en urgence par le Congrès une résolution lui donnant pleins pouvoirs pour envoyer jusqu’à 500 000 soldats. Johnson plongea alors le peuple vietnamien dans une décennie d’indicibles souffrances et le massacre de près de cinq millions de civils. De 1965 à 1968, dans le cadre de l’opération Rolling Thunder, plus de 643 000 tonnes de bombes furent larguées (trois fois plus que durant toute la Seconde Guerre mondiale) sur un pays majoritairement rural. 72 millions de litres de produits chimiques furent déversés, détruisant 40 % de la forêt du Sud et entraînant des maladies dont la population ne s’est toujours pas remise. Près de 5 millions de Vietnamiens furent tués, majoritairement des civils. Depuis la fin de la guerre en 1975, encore 40 000 Vietnamiens furent tués par des mines résiduelles, et bien davantage furent estropiés à vie.
Johnson et la guerre des Six-Jours
C’est précisément durant cette période qu’Israël lançait son opération d’annexion de territoires égyptiens, syriens et jordaniens, en créant l’illusion d’agir à titre préventif contre une attaque égyptienne. Johnson avait donné son feu vert à l’attaque israélienne et autorisé la CIA à transmettre aux Israéliens les positions précises des bases aériennes égyptiennes. Israël possédait d’ailleurs à la CIA une taupe haut placée en la personne de James Jesus Angleton, chef du Israel Office.
Quatre jours après le début de l’attaque israélienne, Nasser acceptait la demande de cessez-le-feu du Conseil de Sécurité de l’ONU. C’était trop tôt pour Israël, qui n’avait pas encore atteint tous ses objectifs de conquête territoriale. C’est alors que, le 8 juin, eut lieu l’attaque du USS Liberty, un navire de la NSA stationné au large du Sinaï. Il fut bombardé, mitraillé et torpillé durant 75 minutes par des Mirage et torpilleurs israéliens, tandis que Johnson interdisait à la Sixième Flotte stationnée à proximité de se porter à son secours. L’attaque aurait été mise sur le compte de l’Égypte si elle avait réussi, c’est-à-dire si le navire avait été coulé avec tout son équipage. Elle aurait alors donné à Johnson un prétexte pour intervenir militairement aux côtés d’Israël contre l’Égypte. Mais elle échoua, car le vaisseau resta miraculeusement à flot, et la majorité de son équipage survécut. Le scandale fut étouffé par une commission d’enquête dirigée par l’amiral John Sidney McCain II (père du John McCain III qui s’illustra récemment par son soutien aux terroristes en Syrie). Johnson accepta discrètement les excuses d’Israël pour son improbable « erreur d’identification ». Mieux, il fit d’Israël, à partir de 1967, le premier client de l’industrie militaire américaine.
L’attaque du USS Liberty apporte la preuve d’une complicité secrète de Johnson avec Israël, et de sa trahison contre son propre pays. Johnson a toujours été l’homme d’Israël. Ses campagnes électorales étaient financées depuis 1948 par le célèbre leveur de fonds Abraham Feinberg, également président de l’association Americans for Haganah Incorporated. En 2013, l’Associated Press divulgua des enregistrements du Bureau ovale démontrant la « connexion personnelle et souvent émotionnelle » de Johnson avec Israël. Un article du 5 Towns Jewish Times publié sous le titre étonnant de « Notre premier président juif Lyndon Johnson ? », rappelle le soutien constant de Johnson pour les Juifs depuis les années 1940, et conclut : « Le président Johnson a fermement orienté la politique américaine dans une direction pro-Israël. » L’article mentionne également que :
« des recherches dans l’histoire personnelle de Johnson indiquent que son intérêt pour le peuple juif est un héritage de sa famille. Sa tante Jessie Johnson Hatcher, qui eut sur lui une influence majeure, était membre de la Zionist Organization of America. […] La lignée des mères juives peut être retracée sur trois générations dans l’arbre généalogique de Lyndon Johnson. Il fait peu de doute qu’il était juif. »
Ce sont deux sionistes notoires du Washington Post, son directeur Philip Graham (gendre du fondateur Eugene Meyer) et son éditorialiste Joseph Alsop, qui se chargèrent de convaincre Kennedy de choisir Johnson comme vice-président. Il suffisait pour cela de parler à Kennedy de ses aventures extra-conjugales, dont Edgar Hoover, très proche de Johnson, détenait des preuves. À travers Graham et Alsop, résume Alan Hart, « ce sont les soutiens d’Israël qui ont forcé Kennedy a prendre Johnson comme vice-président [6] ».
L’holocauste vietnamien
Quel rapport y a-t-il entre ceux deux guerres menées ou appuyées parallélement par Lyndon Johnson ? Dans mon livre JFK-11 Septembre, je suggérais que la guerre du Viêt Nam était un substitut pour l’invasion de Cuba que les faucons de la CIA avaient cru pouvoir déclencher en faisant accuser de l’assassinat de Kennedy un Oswald grimé en communiste pro-Castro. J’écrivais : « L’invasion de Cuba n’eut pas lieu, mais les généraux obtinrent de Johnson, à la place, la Guerre du Viêt Nam, plus lointaine et donc moins risquée politiquement. » C’était une explication très insuffisante, mais je n’en voyais pas d’autre, hormis la cupidité sans limite des marchands d’armes et autres profiteurs de guerre, dont Johnson était d’ailleurs un bel exemple (peu avant l’assassinat de Kennedy, il avait investi dans le constructeur aéronautique Ling-Temco-Vought, qui allait devenir en 1964 l’un des plus gros fournisseurs du Pentagone pour la guerre du Viêt Nam [7], et il avait également des intérêts à Bell Helicopter, à qui il transféra, cinq jours après l’assassinat de Kennedy, un contrat signé en 1963 avec son rival Kaman Aircraft pour 220 hélicoptères [8]).
Ce n’est que récemment qu’a germé dans mon esprit l’idée d’un lien caché entre la guerre du Viêt Nam et la guerre de Six-Jours. Je ne pouvais pas concevoir ce rapport auparavant parce que je n’avais pas encore pris la pleine mesure de la perversité de l’élite dirigeante d’Israël, dont la psychopathie collective trouvait dans la psychopathie personnelle de son super-sayan Johnson une complémentarité parfaite. Aujourd’hui, ayant étudié la philosophie profonde des crypto-likoudniks ultra-machiavéliques qui se font appeler néoconservateurs, j’ai acquis la conviction que la tragédie du monde depuis un siècle n’est compréhensible qu’à la condition d’admettre qu’Israël agit sur la scène mondiale à la manière biblique, c’est-à-dire avec la même indifférence et la même cruauté envers les populations non-juives que Yahvé exige de son peuple dans la Bible hébraïque. À leurs yeux, ces populations ne valent pas mieux que du bétail, et leurs souffrances sont sans importance en soi (bien que l’exploitation larmoyante de leur souffrance puisse être très utile). Il n’existe absolument aucune limite morale à la détermination d’Israël de tracer son destin d’hégémonie mondiale sur les cadavres des nations.
Mon hypothèse est donc que la guerre du Viêt Nam voulue par Johnson et ses maîtres avait pour but, sinon principal du moins secondaire, de faire diversion pendant qu’Israël passait à l’étape décisive de sa géostratégie d’expansion. Imaginons en effet qu’il n’y ait pas eu le Viêt Nam pour mobiliser l’attention limitée des Américains sur le monde, dans un premier temps, et de susciter leur indignation dans un second temps. Le Washington Post et le New York Times auraient-ils réussi à cacher au public le caractère scandaleusement illégal de cette agression ? Mais plus important encore peut-être : pour que l’État américain soit mis dans l’incapacité de condamner les crimes d’Israël, il faut qu’il ait des crimes plus grands à se reprocher.
Il n’est pas exagéré de qualifier la guerre du Viêt Nam d’holocauste [9]. Un « holocauste » désigne dans la Bible un sacrifice animal entièrement calciné offert par les prêtres lévites à Yahvé, qui en apprécie, paraît-il, « l’agréable odeur » (Genèse 8:20-21 ; Exode 29:25). Selon le Livre d’Esdras, un holocauste géant fut offert à Yahvé par les colonisateurs judéo-babyloniens de la Palestine, en vue de la reconstruction du Temple sous la direction d’Esdras.
Curieusement, c’est durant la guerre du Viêt Nam que le terme « holocauste » s’est répandu aux États-Unis pour désigner le sort des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. À moins de considérer qu’Hitler agissait pour la gloire de Yahvé, associer le terme « holocauste » aux fours crématoires des camps nazis est absurde. Le terme s’applique mieux à la guerre du Viêt Nam si l’on considère qu’en concentrant sur elle l’attention du public américain, puis la protestation des pacifistes américains, et de la jeunesse américaine dans son ensemble, elle laissait le champ libre à Israël pour sa conquête d’annexion des territoires syriens, égyptiens et jordaniens. Cela apporte une réponse plausible à la question : Pourquoi Johnson, qui ne donna pas satisfaction aux faucons de la CIA concernant Cuba, entraîna-t-il l’Amérique dans l’enfer du Viêt Nam ? Il se trouve que l’homme qui l’encouragea dans cette voie était Walt Rostow, son Conseiller à la Sécurité nationale (dont le frère Eugene était simultanément Secrétaire général adjoint aux Affaires politiques). Est-ce un hasard s’il était juif ?
Deux mois à peine après son élection en 1968, Nixon étendit secrètement et illégalement la guerre au Cambodge, déclenchant un bombardement massif, avec pour résultat la prise du pouvoir par les sanguinaires Khmers Rouges, responsables de l’extermination d’un tiers de la population. Il se trouve que l’homme qui poussa Nixon dans cette direction était Henry Kissinger, Conseiller à la Sécurité nationale puis simultanément Secrétaire d’État. Est-ce un hasard s’il était juif ?
Mais il se trouve aussi que les « Pentagon Papers », qui mobilisèrent l’attention et l’indignation du public américain durant plusieurs années, furent clandestinement communiqués à la rédaction du New York Times au début de l’année 1971 par Daniel Ellsberg, avec l’aide de son ami Anthony Russo, du linguiste Noam Chomsky et de l’historien Howard Zinn. Est-ce un hasard s’ils sont tous de la communauté ?
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C’est également durant cette période qu’un grand nombre d’intellectuels juifs dits néoconservateurs opérèrent un virage à 180 degrés de la gauche pacifiste à la droite militariste. Irving Kristol, l’un de leurs chefs de file, écrivit dans la revue de l’American Jewish Congress en 1972, qu’il fallait combattre la proposition du candidat démocrate George McGovern de réduire le budget militaire américain de 30 %, car :
« Cela revient à planter un couteau dans le cœur d’Israël. [...] Les Juifs n’aiment pas les gros budgets militaires, mais il est maintenant dans l’intérêt des Juifs d’avoir un grand et puissant appareil militaire aux États-Unis. [...] Les Juifs américains qui se préoccupent de la survie de l’État d’Israël doivent dire “non, nous ne voulons pas réduire le budget militaire, il est important de garder un gros budget militaire, afin de pouvoir défendre Israël” [10]. »
Contre la volonté de McGovern de mettre un terme immédiat à la guerre du Viêt Nam, Kristol aurait pu ajouter : « Les Juifs américains qui se préoccupent de la survie de l’État d’Israël doivent dire “non, nous ne voulons pas d’un retrait américain du Vietnam, il est important de poursuivre le génocide de Vietnamiens, afin que la jeunesse américaine proteste contre la guerre criminelle de son propre gouvernement plutôt que contre les violations du droit international par Israël. »