Dans un quasi consensus, l’Assemblée nationale a définitivement adopté le 12 décembre, le projet de loi sur la sécurité et le terrorisme du ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Le texte avait déjà l’appui du groupe UMP et a également été accepté par les députés écologistes. Seul le Front de Gauche s’est abstenu. Examiné en procédure accélérée, l’adoption du projet de loi a donc été très rapide et s’est effectuée sans réelle opposition.
Ce texte est annoncé comme devant faire face aux « dysfonctionnements » dans l’affaire Merah. Il s’agirait notamment de permettre le jugement de Français ou des personnes résidant habituellement sur le territoire hexagonal « qui se livrent à des actes de terrorisme à l’étranger ou qui vont à l’étranger [...] pour se former au terrorisme ». Cependant, il est déjà possible grâce à la loi du 23 janvier 2006 de sanctionner les actes nommés comme terroristes et commis par des Français à l’extérieur du territoire national. Cependant, les faits devaient être punis par la législation du pays étranger et dénoncés par ce même pays.
Un démenti des lois existantes
La loi crée un nouveau délit : celui de se rendre dans un camp d’entraînement, notamment en zone afghano-pakistanaise. Non seulement, la loi de 1986 sur la « notion d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » permet déjà de criminaliser de tels comportements, mais plusieurs procès ont permis de condamner les prévenus de telles accusations. Par exemple, cinq des six détenus français de Guantanamo, libérés par les autorités étasuniennes, ont été condamnés à leur retour en France. Il leur était reproché d’avoir participé à des camps militaires d’entraînement attribués à Al Quaeda et, pour un d’entre eux, à « un enseignement religieux ayant prôné la violence ». Ce projet opère ainsi un déni des possibilités légales existantes, ainsi que des condamnations qu’elles ont déjà autorisées.
La volonté affichée par Manuel Valls apparaît d’abord comme un démenti d’un appareillage législatif déjà existant qui contient déjà tout ce que le nouveau ministre de l’Intérieur veut y introduire. Sa démarche fait immédiatement penser aux déclarations de son prédécesseur. Claude Géant qui avait expliqué à la presse que l’on n’avait pas préventivement arrêté Merah, alors qu’il était sous surveillance, parce que « rien de délictuel ne pouvait a priori lui être reproché avant ses crimes ». « En France, on ne défère pas à la justice des gens pour des intentions, pour des idées salafistes. On ne peut arrêter les gens que pour des faits », avait-il ajouté.
La démarche des deux ministres de l’Intérieur est identique. Il s’agit d’abord de démentir l’évolution du droit pénal de ces dix dernières années, c’est à dire l’existence d’incriminations et de procédures pénales qui accordent des pouvoirs étendus à la police et aux services de renseignement . Ils affirment ensuite que, suite à cette lacune, notre sécurité serait menacée et qu’il conviendrait d’introduire dans le code pénal des dispositions qui y sont déjà ou qui sont utilisées dans un cadre administratif.
Des mesures de surveillances qui deviennent permanentes
L’autre grand aspect du texte concerne la surveillance des données de connexion : internet, géolocalisation, factures détaillées de téléphone. Depuis 2006, cette surveillance peut s’exercer dans un but préventif, c’est à dire en l’absence de tout délit. Mais ces dispositions régulièrement renouvelées tous les deux ans, sont temporaires et expirent le 31 décembre prochain. La procédure d’urgence avait d’ailleurs été justifiée par le gouvernement en invoquant la nécessité de les prolonger. Inscrites dans la nouvelle loi, ces mesures deviennent permanentes. À travers ce vote, le groupe socialiste renie son abstention, lors du vote de ces dispositions en 2006.
Après l’affaire Merah, Nicolas Sarkozy avait également envisagé une loi prévoyant une surveillance des connexions Internet. La gauche avait alors critiqué cette initiative Aujourd’hui, elle reprend les mêmes procédures et les mêmes justifications. De plus, la LOPPSI 2, Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, adoptée le 8 février 2011, autorise déjà un type de surveillance plus poussée. Il prévoit la possibilité, avec l’autorisation d’un juge d’instruction, d’installer, à l’insu de l’utilisateur, un dispositif technique enregistrant les frappes au clavier ou des captures d’écran. Afin de mettre en place ce « mouchard », les enquêteurs ont ainsi le droit de s’introduire dans le domicile ou le véhicule de la personne mise en cause, à son insu et, si nécessaire, de nuit.
Prolonger l’effet de sidération
Quelle est la fonction d’une nouvelle loi permettant de criminaliser des comportements déjà poursuivis par la législation en place et installant des dispositions de surveillance déjà utilisées, sinon d’installer un « pas-de-sens » et de prolonger la sidération produite par l’affaire Merah. La stupeur provoquée par cette affaire réside moins dans son caractère violent que dans une manifestation de toute puissance de la police. Les images n’ont rien donné à observer ou à analyser et les « informations » s’annulent réciproquement. Au non-sens de ce qui a été affirmé durant le spectacle de l’assaut, il s’agit, par ce nouveau projet de loi, d’ajouter un automatisme de répétition perpétuant l’effet de pétrification, ainsi que de maintenir l’interdit portant sur tout questionnement relatif à l’affaire. Enfermé dans le pas-de-sens, le sujet ne peut éviter l’éclatement que par une fusion de plus en plus étroite avec « le dit » du pouvoir. Il ne peut ainsi que consentir et donner un surcroît de sens à l’annulation de ses libertés.
Supprimant, comme toute loi antiterroriste, toute distinction entre l’intérieur et l’extérieur, le projet de loi nous place dans la psychose. La fusion opérée par ce texte entre droit pénal et droit de la guerre en est une manifestation. Tout acte de solidarité ou d’empathie vis à vis de populations étrangères, agressées militairement par la France, même si aucune déclaration de guerre n’a été prononcée, devient progressivement un crime. Ce projet de loi s’inscrit ainsi dans l’oxymore de la « guerre humanitaire », celle du « Bien contre le Mal ». Le nouveau gouvernement s’inscrit ici dans la droite ligne du précédent, nous confirmant qu’il s’agit bien d’un « changement dans la continuité ».
Jean-Claude Paye