Que sait-on sur l’Aqmi ? Selon la version relayée par les médias, l’Aqmi procède d’un groupe terroriste algérien créé en 1998, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), lui-même une dissidence des tristement célèbres GIA (Groupes islamiques armés) qui firent régner la terreur durant la « sale guerre » dans l’Algérie des années 90.
En décembre 2006, ce qui restait du GSPC dans le maquis algérien fait allégeance de manière spontanée au réseau cher à Oussama Ben Laden, devenant dès janvier 2007 Al-Qaïda au Maghreb islamique (l’Aqmi), sorte de « groupe franchisé » autoproclamé de la « Base » (Al-Qaïda, donc) en Asie, sous la férule d’un certain Abdelmalek Drougbel. Ces informations proviennent surtout de sites internet réputés proches des groupes en cause.
Contrairement au très algérien GSPC, l’Aqmi va veiller à élargir son rayon d’action vers le Sud, dans l’immense zone désertique du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, principalement), un terrain aux frontières poreuses dominé par les tribus nomades parmi lesquelles toutes sortes de trafiquants et contrebandiers agissent au grand jour. Des membres de l’Aqmi se livreraient eux-mêmes à divers trafics lucratifs, quitte à adopter un profil plus mafieux qu’islamiste…
Des dizaines d’attentats et de prises d’otages, revendiqués ou non, sont attribués à l’Aqmi ; des rançons (officieuses) et des libérations de détenus en échange ont réussi à faire libérer la plupart des otages. Mais quatre Français et un humanitaire américain sont assassinés en Mauritanie en 2007 puis un otage britannique en 2009 ; deux Espagnols enlevés le 29 novembre dernier restent détenus et ce mardi encore, l’enlèvement de deux Maliens était attribué à l’Aqmi.
La lutte contre l’Aqmi, dont les « katibat » (phalanges) en dehors de l’Algérie compteraient selon les diverses estimations au total entre 200 et 500 hommes, est rendue difficile par la nature hostile du terrain. Des forces spéciales américaines opèrent depuis les années Bush sur place en tant que conseillers des forces africaines des régimes alliés tel le Mali.
Voilà pour la version véhiculée par les États concernés, nombre d’« experts » et aussi la presse en général.
Il y a au moins une autre théorie. Selon des spécialistes, le GSPC n’était autre qu’une création des services secrets de l’armée algérienne (l’ex-Sécurité militaire rebaptisée DRS, Département du renseignement et de la sécurité), qui exerce la réalité du pouvoir à Alger.
« Le terrorisme résiduel du GSPC est un des instruments (des chefs de l’armée algérienne) pour consolider leur mainmise sur les richesses du pays et pour se légitimer auprès des puissances occidentales, en particulier auprès des États-Unis grâce à l’adhésion à la “Global War on Terror” de l’administration Bush » après les attentats du 11-Septembre, écrivent ainsi l’éditeur français François Gèze et la journaliste algérienne Salima Mellah sur le site algeria-watch dans un article bien documenté de 72 pages datant de 2007.
Et si le GSPC est manipulé – au moins au niveau de certains de ses chefs – par les « services » algériens, l’Aqmi doit répondre au même schéma. L’assertion n’offusquerait sûrement pas le Britannique Jeremy Keenan, un anthropologue à l’expertise non contestée qui arpente le Sahel depuis quatre décennies. Selon l’universitaire qui connaît un nombre important de sources sur place (et vient d’écrire deux livres sur le sujet), les services secrets américains, après le « 9/11 », ont même collaboré avec le DRS dans des coups tordus dans le Sahel.
S’exprimant sur le site d’Al-Jazeera en anglais (1) à propos de l’affaire Germaneau, il voit aussi l’ombre d’Alger : « Il existe des contacts étroits entre la cellule d’Abdelhamid Abou Zaïd d’Aqmi et le DRS, Zaïd étant lui-même considéré comme un agent du DRS. Pour cette raison, les habitants de la région, de plus en plus remontés contre les soi-disant activités d’Al-Qaïda, se réfèrent souvent à l’Aqmi comme “Aqmi/DRS”. Ainsi, les derniers mots attribués au colonel Lamana Ould Bou, du service malien de la sécurité d’Etat, peu avant son assassinat à Tombouctou le 10 juin 2009, furent : Au cœur d’Aqmi, il y a le DRS… »
Mais pourquoi cette duplicité algérienne ? Pour Keenan, Alger veut prouver aux pays de la région « leur incapacité à détruire Al-Qaïda et à assurer leur propre sécurité, tout en démontrant que la seule puissance régionale capable d’assurer ce rôle est l’Algérie. Toute la stratégie du DRS en créant l’Aqmi dans la région sahélienne en 2006, a été de convaincre les Occidentaux, et en particulier les Etats-Unis, du rôle indispensable de l’Algérie comme gendarme régional ».
En tout état de cause, la prudence s’impose. Cité sur un blog du Monde diplomatique, Antoine Glaser, directeur de la Lettre du continent, en atteste : « En tant que journaliste, j’ai toujours été très méfiant dans la couverture du terrorisme, que ce soit en Algérie même ou dans les pays du Sahel. Le journalisme atteint très vite ses limites puisque l’on ne peut pas recouper l’info avec ces terroristes eux-mêmes. (…) Pour le coup, en ce domaine, on se fait balader par tout le monde. »