Or donc, C+, média du capital mondialisé, vient de nous offrir une curiosité. Elle a confié, figurez-vous, un rôle en or à... Olivier Besancenot.
Dans l’émission « Groland », sorte de bouffonnerie sinistre visant à rendre drôle la fin de la civilisation française pour que se tiennent tranquilles les veaux qu’on mène à l’abattoir, le facteur de Neuilly apparaît en infirmier – il soigne un Français moyen victime de sarkozyte. Olivier la bonne bouille se permet même de dire à ce brave prolétaire en état de choc : « À bientôt pour la manif ! ».
Pour ceux qui croient que je plaisante, voici le lien :
Quand une chaîne de télévision détenue par Rothschild & co invite un soi-disant révolutionnaire à jouer dans un sketch, faut-il s’étonner ?
Même pas.
Petit rappel de ce qu’est la politique politicienne, pour ceux qui ont oublié les années 80...
Jusqu’à la mort du Parti Communiste Français, en politique, le sujet, c’était la répartition des fruits de la croissance entre travail et capital. Puis, avec le tournant de la rigueur, en 83, la gauche française capitula en rase campagne. Dès lors, ayant renoncé à la lutte des classes, elle n’avait au fond plus de raison d’être.
François Mitterrand décida de lui redonner malgré tout un contenu, et pour cela, il fabriqua une fausse droite. Que le clivage gauche – droite perdurât, dût-il être transmué, et la gauche se survivrait ! – Voilà la stratégie mitterrandienne.
C’est alors que Mitterrand s’intéressa au Front National. Ce parti jusque-là très marginal venait de rencontrer quelques succès locaux. Il semblait capable de capitaliser électoralement sur l’alliance paradoxale des exclus, des parias, de tous ceux qui n’avaient pas leur place dans la nouvelle France mitterrandienne, dans la société fric et bons sentiments des deux Bernard, Tapie et Kouchner. Au FN se côtoieraient par la force des choses les rescapés de la droite patriote, démonétisée par le turbocapitalisme mondialisé, et l’ancien électorat communiste, trahi par la gauche institutionnelle. Le tout ne formerait bien sûr jamais un parti cohérent à l’idéologie stable. Si le FN additionnait dans les urnes les voix des mécontents, il ne pouvait rien en faire.
La fortune du FN vint précisément de cette faiblesse : le parti lepéniste était pour la gauche le repoussoir idéal, fort en apparences, mais inoffensif en réalité. Mitterrand, parfait salaud mais fin politique, comprit tout le parti qu’il pourrait tirer de ce repoussoir. Le Parti Socialiste avait besoin d’un fascisme de pacotille à combattre pour cacher son ralliement au libéralisme mondialisé : eh bien, Le Pen, pour cela, c’était parfait. De là la manip SOS Racisme, et tout ce qui s’ensuivit : désormais, la gauche ferait sans vergogne la politique de la droite, mais elle n’en paierait pas le prix électoral. Dans le spectacle politique, Mitterrand s’était réservé le beau rôle, il avait à ses côtés l’intelligentsia antiraciste, le camp du Bien. En 1988, au premier tour, la droite fut majoritaire. Mais au deuxième tour, écartelé entre l’électorat centriste et l’électorat frontiste, Chirac implosa…
Un quart de siècle plus tard, nous assistons tout simplement à la réédition de cette manip, mais en sens inverse – avec Sarkozy dans le rôle de Mitterrand, et Besancenot dans le rôle de Le Pen.
Le problème de Sarkozy est le symétrique parfait de celui rencontré par Mitterrand il y a vingt-cinq ans. En 83, la gauche, surtout sociale, avait perdu ses repères : il fallait d’urgence inventer une gauche « sociétale » qui la remplaçât, et pour cela, on inventa une ultra-droite raciste. En 2008, c’est la droite sarkozyste, surtout sociétale, qui est en train d’imploser – entre « ceux qui se lèvent tôt » et le président Bling-Bling, la rupture est consommée.
Comment Sarko va-t-il s’en sortir ? – Eh bien, comme Mitterrand en 83 : n’ayant au fond plus rien à proposer en termes d’offre politique réelle, il va déplacer le débat dans l’univers fantasmatique. Et puisque c’est la droite sociétale qui implose, il va fabriquer une fausse gauche sociale pour construire en miroir une fausse droite sociale. Tous les termes de l’équation mitterrandienne sont reconstruits – mais tout est inversé : c’est la droite qui a besoin de déplacer le débat, et c’est du sociétal au social qu’elle va opérer le transfert.
L’objectif de Sarkozy sera, pour éviter la désertion de l’électorat droitier, de fabriquer une gauche repoussoir, une gauche caricaturale qui jouera à la Révolution – une gauche qui fera craindre au bourgeois le triomphe de la chienlit. Au deuxième tour des élections 2012 (si la France ne s’est pas écroulée d’ici là), Sarkozy sera présent. Et s’il veut gagner, il va falloir qu’il ait en face de lui une gauche à faire peur, une gauche… à la Besancenot.
Il ne faut donc pas s’étonner que les médias du Capital servent désormais la soupe au gentil facteur de Neuilly. La collaboration de Besancenot et de C+ est, à vingt-cinq ans de distance, la répétition mutatis mutandis de l’émission « l’heure de vérité », offerte à Le Pen sur demande de Mitterrand, en 1984. La seule nouveauté, dans cette histoire, c’est que du fait de l’effondrement du niveau en France, on est, en un quart de siècle, passé de l’heure de vérité à… la minute du rire !
Michel Drac pour E&R et Scriptoblog
Source : http://www.scriptoblog.com