Les Antillais n’ont pas vraiment la banane. Ils viennent d’obtenir la confirmation officielle de ce qu’ils craignent depuis des décennies : ils sont empoisonnés au chlordécone - un insecticide utilisé contre le charançon du bananier.
Pourtant fin prêt dès le mois d’octobre 2009, l’INVS vient seulement de publier le rapport du Conseil scientifique du Plan chlordécone. Huit mois plus tard, donc. Le temps de corriger les fautes d’orthographe, sans doute. Une étude étonnante, menée en Guadeloupe, environ 4 fois moins polluée que la Martinique, et sur la totalité de la population, sans distinction de lieu de vie ou d’activité (ouvrier agricole au contact permanent avec le produit, secrétaire de banque...). Mais à étude étonnante, résultat détonnant : l’exposition au chlordécone augmente massivement le risque de cancers de la prostate. Les victimes représentent 3,3% de l’ensemble de la population martiniquaise, selon Patrick Lozès, par qui le scandale est arrivé, en 2007. Rapporté à la population métropolitaine, cela correspondrait à plus de deux millions de personnes ! Une broutille...
Les pouvoirs publics en eaux troubles
De quoi faire s’étrangler Roselyne Bachelot, si attentive au bien-être sanitaire de sa population ? Que nenni. La ministre de la santé persiste et signe, dans un simple communiqué de presse d’une naïveté déconcertante : oubliant malencontreusement que le chlordécone se trouve aujourd’hui sur la liste mondiale des "douze salopards", ces polluants organiques cancérigènes dont les écosystèmes ne parviennent pas à se débarrasser, Roselyne affirme que ce rapport ne montrerait en réalité qu’une "possible association entre une exposition au chlordécone et la survenue d’un cancer de la prostate". Et le ministère se retrouve donc dans l’incapacité de réquisitionner les gymnases de l’île pour y refourguer les soins d’urgence aux malheureux, puisque l’étude se contenterait de conclure "à la nécessité d’investigations complémentaires", qui concluront certainement à la nécessité d’investigations supplémentaires ? Rendez-vous dans 10 ans...
Des avertissements ignorés
Il aura donc fallu 40 ans pour que les pouvoirs publics commencent à se poser des questions. Car c’est en 1972 que la France a autorisé l’insecticide. Provisoirement, pour une durée d’un an. Autorisation qui sera renouvelée jusqu’en 1990, en métropole. Mais les Antillais ont pu, par dérogation, continuer de respirer les douces effluves de ce maudit pesticide jusqu’en 1993. Les chanceux...
Pourtant, dès 1968, la commission "d’étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture" avait conseillé l’interdiction du produit en raison de ses dangers potentiels pour la santé humaine et animale. Mais les pouvoirs publics ont ignoré l’avertissement. Pourtant, en 1976, les Etats-Unis ont interdit le produit, en raison de sa toxicité. Mais les pouvoirs publics ont ignoré l’avertissement. Pourtant, en 1977 et 1980, deux rapports officiels démontrent les risques de pollution. Pourtant, en 1979, le Centre international contre le cancer l’avait classé comme potentiellement cancérigène pour l’homme. Mais les pouvoirs publics ont ignoré l’avertissement. Etc...
Du "monstre chimique" au "scandale écologique majeur"
En juin 2009, Catherine Procaccia, sénateur UMP du Val de Marne et Jean-Yves le Déaut, député PS de Meurthe et Moselle, ont tiré la sonnette d’alarme. Présentant leur rapport parlementaire sur les ravages du chlordécone, ils évoquaient "un monstre chimique", qui aurait contaminé 20% des surfaces agricoles utiles en Martinique et en Guadeloupe, mais aussi de nombreux pays d’Europe de l’Est (1.500 tonnes, dont personne ne sait où ils ont attérri). Selon les rapporteurs, on pourrait potentiellement se trouver en présence d’un problème sanitaire et environnemental "de dimension mondiale". "Nous sommes bien face à un scandale du sang contaminé bis. Mais on essaie, encore aujourd’hui, de protéger les empoisonneurs" conclut Patrick Lozès, sur lequel le ministère de l’Ecologie avait tenté de faire pression, en 2007, pour étouffer ce "scandale écologique majeur". Raté.
Et pour les poursuites judiciaires, on avisera dans une cinquantaine d’années...