Les acteurs d’Hollywood, ainsi que les scénaristes, tous fortement syndiqués, sont en grève pour avertir des dangers de l’IA dans leur métier. Concrètement, que risquent-ils ? La réponse est simple, et une image du dernier Scorsese, The Irishman, montre les possibilités des nouvelles technologies dans le domaine filmographique.
Al Pacino, qui incarne Jimmy Hoffa, est filmé à plusieurs âges de la vie du syndicaliste ; idem pour De Niro qui est son tueur attitré. Leur collaboration s’étale sur des décennies, jusqu’à la disparition du patron des teamsters (les camionneurs). Dans le film, on voit donc ces deux acteurs à leur âge réel, 79 pour Al (qui en a 83 aujourd’hui) et 75 pour Bob (qui en a 79 en 2023). Mais on les voit aussi, plus ou moins bien grimés, sur une période de 50 ans.
Même chose pour Harrison Ford dans le dernier Indiana Jones. Le site du mensuel Première explique qu’il a fallu 100 spécialistes en post-prod pour rajeunir le héros !
Ce sont plus de 100 artistes qui se sont attelés au développement et à l’amélioration de leur programme d’intelligence artificielle déjà existant pour créer une technique de Face Swap irréprochable. Cette technique consiste à coller les traits d’un visage sur un autre de manière ultra réaliste : ici, le jeune Ford sur le Ford de 80 ans.
Sur The Irishman, parfois, on a du mal à trouver que le rajeunissement de Pacino, De Niro ou Pesci fonctionne... Il y a quelque chose de non-humain qui frappe et limite l’identification aux personnages.
Les visages ont donc été rajeunis numériquement. Jusque-là, rien de bien grave, c’est pour la cohérence de l’histoire. Sauf que les empreintes numériques de nombreux acteurs appartiennent de fait aux grands studios, qui peuvent donc les faire « jouer » au-delà de leur mort. Et des grosses sociétés de datas comme Trevor T ont déjà commencé à acheter les droits d’exploitation des visages et des voix de certains d’entre eux.
La technologie utilisée et inventée par James Cameron dans la série des Avatar permet de réutiliser cette empreinte, on l’a vu avec Sam Worthington et Sigourney Weaver. Ce qui était une prouesse technique devient une menace : aujourd’hui, les acteurs redoutent d’être utilisés de leur vivant, une fois leur empreinte numérique prise, et éjectés du business.
Certes, le droit les protège, puisqu’ils sont théoriquement propriétaires de leur image, mais aux USA, les droits s’achètent, ils ne sont pas incessibles, comme chez nous. La crainte des 160 000 acteurs et scénaristes américains est donc fondée : la dématérialisation des acteurs est en cours.
- Isabelle, à 61 ans en 2016...
Chez nous, on dispose de moins de moyens que le ciné US, mais la numérisation des acteurs est utilisée, notamment pour gommer des imperfections, de corps ou de visage. Plus besoin de doublures, on peut photoshoper un visage, par exemple celui d’Isabelle Adjani.
Nous sommes en 2010 : Isabelle, 55 ans au compteur, réinjecte une partie de son cachet du film De Force (entre 50 000 et 100 000 euros) dans la correction numérique de son visage.
- Chirurgie esthétique à l’ancienne
On peut appeler ça de la chirurgie ou du maquillage numérique. La production refusera de prendre à sa charge ces coûteuses améliorations en post-production. Mais comme l’actrice multi-césarisée a le final cut sur son image, elle peut faire ce qu’elle veut, du moment qu’elle paye.
En 2023, en fin de carrière, Adjani est poursuivie pour fraude fiscale et blanchiment : elle est suspectée d’avoir dissimulé 2 millions au fisc, qui proviennent d’un homme d’affaires sénégalais membre du CIO ! On rappelle que le CIO est un repère de commissionnaires plus ou moins corrompus par les États qui veulent organiser les Jeux.
Isabelle s’était aussi distinguée dans une affaire de fraude bancaire révélée par Vanity Fair, une enquête hallucinante.
Mais ne nous égarons pas, le sujet, c’est la psychose « IA » chez les acteurs. En France toujours, depuis quelques mois, les professionnels de la voix off et du doublage sont en émoi. Voici l’avertissement qui a tourné sur Facebook :
ATTENTION les copines et copains comédiennes et comédiens VOIX-OFF. Après les séances payées que dalle pour les assistants vocaux où notre voix était sur-exploitée ad vitam eternam sur tous supports, de nouvelles séances sont en cours d’enregistrement en ce moment à Paris mais différemment !
Je vous explique : on vous demande d’enregistrer des phrases banales en plusieurs versions (fermées, ouvertes...etc) avec différentes intonations. Et ca n’est pas pour vous « voler » votre voix...non non...mais votre FORME D’ONDE !! eh oui !! Ensuite ils mettent des voix de synthèse dessus (mais ça ils ne le disent pas). Ce qui les intéresse c’est d’arriver à avoir des voix de synthèse naturelles. Avec bien sûr un tarif ridicule, des cessions de droits illimitées tous supports… BREF. Faites attention. Dites NON évidemment. Et parlez en autour de vous.
Sur le site du client, voici ce qui est écrit : « Nous répondons à la demande croissante de contenu vocal expressif multilingue en révolutionnant la synthèse vocale avec une nouvelle technologie ». Tout est dit.
Si on ne fabrique pas la pelle pour creuser notre tombe... il n’y aura pas de trou !
Le 3 avril 2023, l’air de rien, BFM TV relaie une demande étonnante de l’industrie de la voix, dite voicetech.
En manque de sons pour entraîner leurs modèles d’intelligence artificielle (IA), les entreprises et labos français de techniques vocales (« voicetech ») vont lancer une campagne pour demander aux locuteurs francophones de donner, gratuitement, un peu de leur voix, a expliqué à l’AFP Karel Bourgois, président du Voice Lab.
Une trentaine d’acteurs du secteur ont mis leur force en commun dans cette association pour réunir leurs jeux de données, ou « datasets » : des milliers d’heures de voix enregistrées, indispensables pour nourrir et améliorer des modèles d’IA vocales.
Sans craindre le ridicule, le président du Voice Lab veut carrément récolter, gratuitement, un maximum de voix à travers tout le pays, et parfois par le moyen d’un camion !
Pour aller plus loin, le Voice Lab, en partenariat avec la Fondation Mozilla, va contribuer à relancer la collecte de voix en français sur le site Common Voice, où chacun peut s’enregistrer en lisant du texte. Et, en septembre, il va lancer une campagne pour une nouvelle version de cet outil, qui va collecter des voix plus naturelles, en proposant de répondre à des questions.
Autre piste, avec le laboratoire Human-Num, le projet « écouter parler » : un camion qui parcourt la France pour enregistrer des voix, plus diverses que les voix de radios ou de télés. Le Voice Lab discute aussi avec Radio France, France Télévisions et l’INA, mais se heurte au flou juridique concernant la notion d’usage à des fins d’entraînement des IA.
Ces voix à coût zéro vont évidemment nourrir les robots qui nous répondent par téléphone ou les pubs qui souillent nos médias audiovisuels, et qu’on a régulièrement envie d’insulter. Au bout de cette logique, il n’est pas certain que les salles de cinéma se remplissent à nouveau de spectateurs vivants, sinon de réplicants...