L’attentat de Nice soulève une série de graves questions quant au rôle de l’Etat, mais aussi de la municipalité. Ces questions sont démultipliées par les débats qui ont entouré la reconduction de l’état d’urgence, qui a été prorogé pour une durée de 6 mois. Ces questions pourraient être à l’origine d’une polémique aux effets politiques redoutables dans les semaines et les mois à venir.
I. Quelles étaient les mesures de sécurité adoptées pour le feu d’artifice du 14 juillet à Nice ?
C’est le journal Libération qui a lancé le débat dans un article du 21 juillet [1]. Cet article a suscité une riposte violente du ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, parlant d’un « complot » ourdi par ce journal [2]. Or, ce qui est mis en cause est cette partie du communiqué du 16 juillet [3] :
« La mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d’équipages de la police municipale. C’était le cas notamment du point d’entrée du camion, avec une interdiction d’accès matérialisée par le positionnement de véhicules bloquant l’accès à la chaussée. Le camion a forcé le passage en montant sur le trottoir. »
En fait, il apparaît que seuls 2 policiers municipaux assuraient le contrôle du périmètre au point où le camion du meurtrier est entré dans la partie piétonne de la promenade des anglais. Aucune chicane en béton n’était déployée, ni à cet endroit ni 370 mètres plus loin, là où se trouvaient la patrouille de 4 hommes de la police nationale. Or, de telles chicanes avaient été utilisées auparavant, et en particulier lors de l’Euro 2016. Il est clair qu’il y a de sérieuses différences entre ce que dit le ministère de l’Intérieur et la réalité. Pourquoi le ministère de l’intérieur ne veut-il pas le reconnaître ?
II. Étaient-elles raisonnablement suffisantes ?
Cette question surgit au regard des mesures pratiquées pour l’Euro 2016. Il semble que l’événement sportif ait été mieux sécurisé que le 14 juillet. Pourquoi ? Les autorités disposaient elles d’information les amenant à penser que la menace avait baissée ? Sinon, comment expliquer que l’on ait baissé la garde ? On sait que les forces de sécurité étaient (et sont) dans un état d’épuisement avancé. Dans ces conditions, n’était-il pas de l’autorité du maire et du préfet d’interdire un événement que l’on ne pouvait sécuriser convenablement ? Ou bien a-t-on pensé qu’en matière de relations publiques la mort de badauds pesait moins que celles de supporteurs ?
III. Le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement demande à ce que cessent toutes les critiques contre « les services administratifs de l’État ». Est-ce justifié ?
La déclaration de J-M Le Guen [4] pose un véritable problème de morale et de politique. Quand il affirme que : « Je veux bien qu’on aille sur ce terrain-là, mais dans ce cas, il n’y a plus d’état de droit dans le pays. Si un certain nombre de journalistes, de commentateurs, de responsables politiques mettent en cause le fonctionnement de la justice et des services administratifs de l’État, alors c’est une thèse qui est extrêmement dangereuse pour la démocratie », il met en cause en réalité la démocratie. Dans une situation bien plus grave, en pleine guerre de 1914-1918, Clémenceau, alors Président du Conseil, dans un célèbre discours avait eu des mots plus justes et plus dignes :
« Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. N’avoir pas peur de la liberté de la presse, c’est savoir qu’elle comporte des excès. C’est pour cela qu’il y a des lois contre la diffamation dans tous les pays de liberté, des lois qui protègent les citoyens contre les excès de cette liberté. Je ne vous empêche pas d’en user. Il y a mieux : il y a des lois de liberté dont vous pouvez user comme vos adversaires ; rien ne s’y oppose ; les voies de la liberté vous sont ouvertes ; vous pouvez écrire, d’autres ont la liberté de cette tribune ;(…). De quoi vous plaignez-vous ? Il faut savoir supporter les campagnes ; il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés. Parlez, discutez, prouvez aux adversaires qu’ils ont tort et ainsi maintenez et gardez avec vous la majorité du pays qui vous est acquise depuis le 4 septembre [5]. »
Il tint ce discours alors que les troupes allemandes occupaient une partie de notre territoire, alors que des Français mourraient par centaines chaque jour. Il est clair que les membres de ce gouvernement perdent leurs nerfs. Mais 84 personnes, elles, ont perdu la vie. L’indécence du gouvernement n’en est que plus évidente. Ce n’est donc pas seulement Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, qui devrait démissionner, mais bien l’ensemble du gouvernement.
IV. Pourquoi la justice ordonne-t-elle à la mairie de Nice de détruire les images de l’attentat ?
La justice évoque le souci « d’éviter la diffusion non contrôlée de ces images » et en particulier le risque que ces images ne soient utilisées sur des sites djihadistes [6]. La sous-direction antiterroriste de la Police judiciaire (SDAT) réclame donc l’effacement complet des enregistrements pris entre le 14 juillet 22h30 et le 15 juillet 18 heures pour toutes les caméras ayant une vue sur la scène de l’attentat et tout particulièrement pour les six caméras surveillant la promenade des Anglais qui ont filmé en direct l’attentat du 14 juillet. Or, cette demande est pour le moins surprenante dans le contexte de la polémique suscitée par les conditions de sécurité. L’avocat de la ville de Nice, Philippe Blanchetier, a réagi vigoureusement, citant notamment « la polémique sur la nature du dispositif policier » le soir de l’attaque et déplorant dans une déclaration à l’agence Reuters [7] :
« C’est la première fois de ma vie que je vois une réquisition aux fins d’effacement de preuves (…). L’argument avancé de risque de fuite ne tient pas. »
Si ce fait devait être avéré, il serait particulièrement grave, et mettrait en cause l’ensemble de l’action gouvernementale.
V. Lors du débat sur la prolongation de l’état d’urgence, des déclarations ont été faites par des membres de l’opposition quant à une interdiction du « salafisme ». Cela correspond-il aux besoins de la situation ?
L’état d’urgence, décrété dans la nuit du 13 novembre, acte de souveraineté [8], a fini par être dangereusement galvaudé. Cela vient d’une incapacité à nommer l’ennemi [9]. Au lieu de s’engager dans la prolongation de l’état d’urgence, on aurait pu, et dû, prendre des mesures simples comme :
l’interdiction du financement étranger direct des lieux de culte et associations cultuelles ;
le contrôle par le ministère de l’Intérieur des prêches et l’expulsion des prédicateurs refusant les principes figurant dans le préambule de la Constitution, ainsi que ceux appelant à la haine ;
l’interdiction aux Français étant allés combattre dans une organisation terroriste et génocidaire de revenir sur le territoire national.
Ces mesures ne nécessitent pas l’état d’urgence. Elles peuvent être prises dans le cadre législatif normal. Elles montrent que l’état d’urgence est aujourd’hui bien plus un acte de communication qu’un acte de nécessité. Ce sont de tels comportements, de la part du gouvernement comme de la part d’une partie de l’opposition qui mettent en péril la démocratie et qui témoignent d’une perte totale de légitimité.
Les questions posées appellent des réponses claires, et sans ambiguïté. Mais, ce n’est pas ce gouvernement qui est en mesure de les donner. Il doit impérativement démissionner pour que la vérité soit faite et pour que l’on passe du registre de la communication à celui de l’action.