Le 20 janvier 2015, à Damas, le Président syrien Bachar al-Assad a accordé une entrevue à M. Jonathan Tepperman, rédacteur en chef du Foreign Affairs Magazine. Voici le texte intégral publié simultanément le lundi 26 janvier 2015, en anglais et en arabe, par le magazine new-yorkais, le site de la présidence syrienne et l’Agence arabe syrienne d’information SANA. Nous l’avons traduit à partir de la version anglaise. [NdT].
J’aimerais commencer par vous interroger sur la guerre. Elle dure depuis près de quatre années et vous en connaissez les statistiques : selon l’ONU, plus de deux cent mille personnes tuées, un million de blessés et plus de trois millions de Syriens ayant fui le pays. Vos forces ont aussi subi de lourdes pertes. La guerre ne peut durer éternellement. Comment en voyez-vous la fin ?
Partout dans monde, toutes les guerres se sont toujours soldées par une solution politique parce que la guerre, en elle-même, n’est pas la solution. La guerre est l’un des instruments de la politique. Ainsi vous finissez par une solution politique. Globalement, c’est ainsi que nous la voyons.
Vous ne pensez pas que cette guerre se réglera militairement ?
Non. Toute guerre se termine par une solution politique.
Votre pays est de plus en plus divisé. On pourrait parler de trois mini-États : l’un contrôlé par le gouvernement, l’autre contrôlé par l’EIIL et Jabhat al-Nousra, puis un autre contrôlé par l’opposition sunnite et kurde plus laïque. Comment allez-vous faire pour rassembler et réunifier la Syrie ?
Tout d’abord, cette image n’est pas exacte, parce que vous ne pouvez parler de mini-États sans parler des gens qui y vivent. Le peuple syrien est toujours pour l’unité de la Syrie et soutient toujours son gouvernement. Les factions que vous avez citées contrôlent certaines régions, mais se déplacent d’une région à une autre. Elles sont instables, sans lignes de démarcation claires entre les différentes forces. Parfois, elles s’associent avant de se déplacer. La question principale concerne la population. Et la population soutient toujours l’État indépendamment de son soutien, ou non, à sa politique. Je veux dire que la population soutient l’État en tant que représentant de l’unité de la Syrie. Donc, tant que le peuple syrien croit en l’unité, tout gouvernement et tout représentant officiel peut unifier la Syrie. En revanche, si le peuple est divisé en deux, trois ou quatre groupes, nul ne peut unifier le pays. Voilà comment nous voyons les choses.
Vous pensez vraiment que les sunnites et les Kurdes croient encore en une Syrie unifiée ?
Si vous vous rendiez à Damas aujourd’hui, vous constateriez que les différentes couleurs de notre société – disons le-ainsi – vivent ensemble. En Syrie, les divisions ne se fondent pas sur des bases confessionnelles ou ethniques. Même dans la région kurde dont vous parlez, nous avons deux couleurs différentes : les Arabes étant plus nombreux que les Kurdes. Il ne s’agit donc pas d’une question d’ordre ethnique, mais de factions qui contrôlent, militairement, certaines zones du pays.
Il y a un an, l’opposition ainsi que les gouvernements étrangers soutenaient que votre destitution était la condition préalable aux négociations. Ce n’est plus le cas. Les diplomates sont maintenant à la recherche d’une solution intermédiaire qui vous permettrait de garder un rôle. Aujourd’hui même, le New York Times a publié un article concernant le soutien appuyé des États-Unis en faveur des initiatives de paix russe et onusienne. L‘article souligne que « l’Occident n’exige pratiquement plus que le président de la Syrie quitte immédiatement le pouvoir ». Vu ce changement d’attitude de la part de l’Occident, êtes-vous désormais plus ouvert à une solution négociée du conflit menant à une transition politique ?
Dès le tout début nous étions ouverts. Nous nous sommes engagés dans un dialogue avec chaque partie en Syrie, qu’il s’agisse d’un parti, d’un courant, d’une personnalité et de n’importe quelle entité politiques. Nous avons modifié la Constitution et nous sommes ouverts à toutes les discussions. Mais quand vous voulez agir, vous ne le faites pas en fonction de l’opposition ou du gouvernement, mais en fonction des Syriens. Il se trouve parfois que vous ayez affaire à une majorité qui n’appartient à aucun courant. Donc, aussi longtemps que vous vous attaquez à un problème national et que vous voulez le changement, chaque Syrien a son mot à dire. Ainsi, le dialogue ne peut se résumer au gouvernement et à l’opposition, mais doit s’instaurer entre les différentes parties et entités syriennes. Voilà comment nous envisageons le dialogue. C’est là un premier point. Le deuxième est que, quelle que soit la solution que vous adoptiez, vous devrez finalement revenir vers le peuple par voie de référendum, parce que vous parlez de Constitution ou de modification d’un système politique. Vous devrez consulter le peuple syrien. Ce n’est pas la même chose que de s’engager dans un dialogue et de prendre des décisions. Le dialogue ne peut se faire uniquement entre le gouvernement et l’opposition.
Donc, vous êtes entrain de dire que vous n’accepterez aucune sorte de transition politique qui n’ait été soutenue par voie référendaire ?
Exactement. C’est au peuple de prendre la décision et à personne d’autre.