M. Alain Soral qui a choisi la meilleure part, celle des chemins difficiles parsemés d’épines pour y cueillir des roses ou une fleur encore plus rare qu’il offrirait à cette personne qui s’incarne sous le nom de la France, mérite d’abord d’être salué par ses auditeurs et lecteurs.
Il existe entre les pensées, plutôt individuelles, et les actes qui ont une nature ou une conséquence plutôt collective, une zone intermédiaire qui est celle qu’occupent les formules. Entre celles-ci, notre ami Soral se réfère pour une seconde fois à une formule simple [1] que j’ai donnée à des militants de son organisation qui m’interrogeaient sur l’Islam et le monde arabe [2] qui devient, par conséquence de la colonisation française d’un siècle et demi, une composante de l’Europe ; et organisation, dis-je à propos d’Egalité et Réconciliation, dont l’objectif fut toujours le mien et qui est la synthèse - au sens hégélien - de la droite et de la gauche que les ateliers des « arrières-loges », depuis la Révolution française, (avec leur entendement diviseur, eût dit le grand Hegel !) ont fractionnée pour mieux désorienter l’opinion et se réserver indirectement et donc secrètement la direction du pays assumée depuis deux siècles avec le résultat que l’on constate.
On rétorque à cette formule que les Amérindiens ont été massacrés, sans que ce soit leur responsabilité ; non ! ils ont été anéantis après un combat héroïque et constant, et leurs descendants sont enfermés dans leur réserve, témoins non de leur passé, mais d’une volonté de survivre au déclin d’une civilisation vorace, celle dont le Pape Léon XIII, parlant de la manière américaine ou actuellement impériale de vivre et faire vivre caractérisait, dans une lettre-encyclique latine à l’archevêque de Boston, condamnant l’Américanisme : « une course très rapide, mais en dehors de la voie » [3]. Partout en Amérique latine, les indigènes ont été dominés, mais ont survécu en formant des unités hispano-indiennes autonomes. C’est le vaincu qui en réalité a absorbé le vainqueur, et l’anéantissement des tribus, comme dans le nord de l’Argentine a été aussi en plusieurs endroits le lot de la résistance.
Ailleurs le spectacle est plus consternant, et j’en citerai un sur l’Algérie : chacun sait que la colonisation ne fut possible qu’avec l’aide de nombreuses élites locales ou dissensions qui firent que les troupes engagées ne purent triompher de la résistance armée qu’en disposant de troupes indigènes, notamment au siège de Constantine défendu par sa garnison turque. Et tout au long de deux siècles les troupes maghrébines se retrouvent dans les répressions d’autres pays musulmans, comme dans l’opération des Dardanelles, en Syrie dans le Djebel druze à côté de troupes musulmanes sénégalaises et des Indochinois pour œuvrer de la manière qu’on imagine. Voyez la tribu de Misrata à Syrte ! Et cet esprit s’est retrouvé en Palestine aussi et en Mésopotamie ou Irak quand une armée musulmane ottomane aidée des Autrichiens et des germano-hongrois a fait brillamment capituler une armée prétendument anglaise, oui, avec des chefs brillants, mais composée aux deux-tiers de Sikhs et de musulmans indiens, de Népalais et autres colonisés.
Pourquoi l’armée anglaise, comme française en Algérie ont-elles pu maintenir leur autorité avec un relativement faible nombre de soldats ? Et pourquoi, en revanche, trois ou quatre fois les Britanniques se sont-ils cassés les dents, encore aujourd’hui avec les Otaniens, en Afghanistan ? Pourquoi l’armée française composée de Sénégalais et d’autres peuples dont des Algériens ont-ils subi une défaite cuisante en Indochine ? Poser la question suffit.
On prétend objecter que nous classons ainsi les peuples en forts et faibles. Oui, il y a des inégalités naturelles au sein de chaque famille, et donc dans les familles de peuples : prenez un artisanat iranien et tunisien, il y a une différence qui saute à l’œil, et le nier c’est vouloir niveler par le bas : prenez - je parle en professeur de philosophie, mais en termes simples - un texte de Descartes et un texte également français de Leibniz portant sur la physique ou la théologie, à une génération de distance : c’est la même différence que les deux artisanats dont je parlais, l’un est aimable et clair, l’autre tout autant, mais ajoute un mystère, et travaille mieux le génie de la langue française, lui fût-elle étrangère ; tout comme il y a un seul livre sacré qui indique le chemin du sommet divin, mais des routes mieux tracées qui sont toutes accessibles, mais exploitent mieux les indications. Telle est la métaphysique iranienne dans la littérature arabe ou l’Islam dont l’unité primordiale se différencie ainsi, et le caractère du génie saxon dans le français philosophique. Le texte est identique, mais l’œil diffère.
Quittons le sol français et « l’Empire du soleil couchant », comme un homme d’esprit définissait cette civilisation de l’Empire dont traite M. Soral que je remercie d’avoir pu ainsi populariser la connaissance de ce monstre de néant. Prenons la Chine, le Japon. Je ne ferai pas de longs discours : la Chine s’est débarrassée de l’emprise coloniale et le Japon l’a précédée, car ils avaient en eux des anticorps. Où trouvez-vous dans le monde la meilleure édition française de Pascal, le mathématicien et mystique chrétien français ? Au Japon ! Ce même pays qui a repoussé et frappé même à mort tout missionnaire, même si Hiroshima et Nagasaki étaient restées deux villes chrétiennes ! Où trouvez-vous pourtant une meilleure connaissance des cultures étrangères, l’islam compris, sinon au Japon qui vient de remporter au Caire le prix d’une excellente édition du Coran , il y a peu ?
J’étais, il y a deux ans, à l’université de Monastir, sous la dictature de Ben Ali, comme on dit, c’est-à-dire à l’époque où la Tunisie n’avait pas encore donné la liberté aux ateliers maçonniques qui ouvriront sous peu ; je visitais des usines fermées aujourd’hui et à l’université, cadeau des Suisses, les étudiantes coiffées ou non du hidjeb étaient nombreuses ; dans la section mathématique, la seule que je fréquente, que je visite régulièrement depuis dix ans, invité à participer à un jury, devant une candidate venue d’un pauvre village, et spécialisée dans les statistiques, j’interrogeais le président du jury, un algérien, doyen de l’université de Constantine, lui-même versé dans ce domaine : il me dit son admiration de voir une classe moyenne encore vivante en la gentille Tunisie, bref, nous parlons de l’Algérie, et il me dit combien il y admirait le travail japonais qui y bâtissait jour et nuit une route reliant les deux frontières marocaines et tunisiennes [4]. « Mais pourtant le chômage existe en Algérie ? » dis-je, « oui, mais ce sont des japonais qui construisent ». Et la candidate, marquée de la santé campagnarde soupire : « ce sont des gens qui nous montrent la voie ! »
Je ne crois pas que ma candidate soit darwinienne, ou adepte de théories qui font frémir les gens attablés à Saint-Germain des Près, non, elle a du bon sens et quand c’est tout un peuple qui lui ressemble, alors il devient le soleil, et lui-même, à la japonaise, s’incline devant sa propre force.