François Ruffin nous reçoit dans sa cuisine rouge et blanche bien connue depuis qu’elle sert de cadre aux vidéos du député, sous le regard d’une marionnette de Ch’Lafleur et avant d’aller jouer au foot. Rare moment de détente avant une semaine marquée par deux gros rendez-vous pour le député France insoumise de la Somme : son Dépu’Tour, du 1er au 5 mai, à la rencontre des électeurs de sa circonscription et la « fête à Macron » du 5 mai, manif pot-au-feu nationale » d’un nouveau genre. Explications.
François Ruffin, le 5 mai, vous appelez à une « manif pot-au-feu » à Paris. De quoi s’agit-il ?
Beaucoup de gens sont aujourd’hui mécontents pour des raisons variées, mais qui ont en commun des décisions prises par gouvernement d’Emmanuel Macron, que ce soit la CSG, les fermetures de classe, les Ehpad, la SNCF, etc. L’idée, c’est que chacun ramène son navet de revendication, sa carotte de mot d’ordre et on met tout en commun ! Au-delà, il y a plein de gens qui ne sont pas cheminots, qui ne travaillent pas dans des maisons de retraite, pour qui cela va correctement dans la vie, mais qui pourtant ont envie d’autre chose, ont envie de respirer, des gens qui pensent que la société ne peut pas être réduite à l’économie et les hommes à être simplement des producteurs-consommateurs.
D’où est venue cette idée ?
L’idée est née d’un groupe dans lequel on trouve Frédéric Lordon, des gens du Monde diplomatique, etc. Après, pour mettre cela en musique, il y a eu un meeting à la Bourse du travail où l’on a fait approuver la date.
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Qu’attendez-vous de cette journée ?
Je pense qu’il faut regarder cela dans une trajectoire où l’on va vers un autre type de manifestations. J’essaie de donner une forme drôle, plus libertaire, à un contenu sérieux. Il va y avoir des chars, nous allons commencer la manif en marche arrière, des trucs comme ça. J’espère que la forme sera réussie aussi, que les gens ne s’emmerderont pas. Qu’est-ce que ça va donner ? Je n’en sais rien. Entre le magnifique et le ridicule, il n’y a souvent qu’un pas…
Mais le 5 mai, on aura des bouts de syndicats qui viennent, on a presque tous les partis politiques de gauche qui appellent à venir – avec plus ou moins de bonne volonté, mais on retrouve le PCF, le NPA, la France insoumise évidemment, Génération.s je crois. Ensuite, il y a des citoyens ordinaires. Ceux qui portent l’organisation sont des jeunes gars qui ont fait Nuit Debout, qui ont eu envie de faire des chars… À Marseille, récemment, un début d’union entre syndicats et forces politiques a été réussi. Or, si on veut battre Macron, pas seulement Macron, mais son oligarchie qui est hyper-puissante, il faut une alliance du mouvement politique, du mouvement syndical et du mouvement citoyen. Le 5 mai est une étape pour créer cette alliance.
Récemment sur France Inter, vous avez été interpellée par une éditorialiste, Carine Bécard, qui disait, en gros, que vous faites du bruit, vous faites des coups, de la mise en scène, mais qu’après vingt ans de combat, vous n’auriez finalement pas obtenu de réels résultats. Alors, où sont vos résultats ?
Je suis député depuis moins d’un an. Qu’elle pose la même question à Marine Le Pen, à des gens qui sont dans le système depuis des années ! Moi mon but, à travers la manif du 5 mai par exemple, c’est de faire bouger les gens, les faire sortir de l’indifférence, leur donner le sentiment qu’ils ont encore un peu de pouvoir, qu’ils peuvent sortir de l’impuissance collective. Cela ne se fait pas en claquant les doigts, c’est sûr…
Alors, après, « mes résultats »… J’ai été petit journaliste local pendant dix ans. Que fallait-il en attendre ? Il y a eu un procès au sujet d’un accident du travail sur le chantier de la Citadelle d’Amiens alors que ce n’était pas gagné d’avance, il y a eu des contrats aidés ou une femme de ménage qui ont été réintégrés. Au cas par cas, on a gagné des choses. Maintenant, en terme de grands dossiers, c’est clair que nous n’avons pas gagné sur l’orientation générale de la société ! Mais à ce compte-là, on peut dire que presque tout le monde est inutile ! La seule chose que je vois, avec mon mandat de député, c’est que cela change la nature de la société, mais les gens ont le sentiment de prendre un bol d’air.
Au sujet d’Emmanuel Macron, un fossé semble se creuser dans l’opinion, entre les classes populaires, où il décroche largement et les classes supérieures ou sa cote de popularité croît. Est-il donc « haï » par le peuple (comme vous l’écriviez, avant le second tour de la Présidentielle, dans une tribune du Monde) ?
Je ne sais pas si le peuple déteste Emmanuel Macron. En revanche, il incarne l’oligarchie, dans son parcours, dans sa manière d’être et parfois dans sa manière de mépriser aussi – avec « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », les « illettrés » de chez Gad, etc. Et puis n’oublions pas que le premier signe envoyé par le nouveau Président, l’automne dernier, c’est quand même de supprimer l’impôt sur la fortune. Soit quand même 3,5 milliards d’euros. Et après on vient te raconter qu’il n’y a pas d’argent pour les maisons de retraite, que l’on va chercher 5 euros sur les APL et sur la CSG des retraités. L’injustice est étalée. C’est Robin des Bois à l’envers : je prends aux pauvres pour donner aux riches !
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L’émission Questions Politiques entière avec Ruffin du 15 avril 2018 :