Gilad Atzmon (et son groupe The Orient House Ensemble) se produisait au festival A Vaulx Jazz. un homme engagé, tant dans sa musique que dans ses réflexions sur la société. Fraîchement arrivé au centre culturel communal Charlie Chaplin pour la soirée métisse à Vaulx-en-Velin en compagnie d’Abraham Inc., l’artiste et militant palestinien, n’ayant même pas eu le temps de poser ses bagages, a pris le temps de converser un moment avec nous. Un beau moment.
ZYVA : Merci pour le temps que vous nous accordez, vous venez juste d’arriver ! D’où venez-vous ?
Gilad Atzmon : Aujourd’hui... Hier de Paris, avant-hier, à New York , je fais aussi la présentation de mon nouveau livre aux Etats-Unis le mois dernier.
ZYVA : D’accord. Donc une double expérience avec, d’une part, votre livre, et le concert, n’est-ce pas trop difficile ?
G.A. : C’est très dur. C’est très dur, je prévois même de me diviser en deux parce que je ne peux tout simplement plus gérer ça tout seul. C’est difficile, mais en même temps c’est très important, c’est très important pour moi et pour les gens qui me suivent. Surtout en France actuellement. J’ai vu ce qui c’était passé, était-ce hier ? Il y a deux jours à Toulouse. Je suis la seule personne dans le monde qui ait soit deviné, ou qui soit assez stupide pour appliquer cet évènement à la question de l’identité juive. C’est dramatique ce qui s’est produit, c’est une tragédie, mais il y a des tragédies comme celle-ci quotidiennement en Palestine. Et alors que nous parlons, le lobby juif aux Etats-Unis fait pression pour une attaque en Iran qui pourrait conduire à des centaines de milliers, si ce n’est des millions de morts. Et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour amener un peu de sens dans notre système politique, dans notre société. Et c’est ce que je fais. C’est... Voilà je viens juste de l’avoir, je l’amène à un ami, c’est mon nouveau livre en français. Il sort cette semaine ou la semaine prochaine, je ne sais plus.
ZYVA : « La parabole d’Esther », bravo.
G.A. : C’est à propos de l’identité juive et j’essaye d’expliquer pourquoi, et non pas pour justifier, d’expliquer, de comprendre, ce qui s’est passé. De façon à ce que les Français et la communauté juive soient en paix. C’est très important vous savez, parce que nous ne cherchons pas la paix actuellement. Nous courrons seulement après les guerres. Ca prend de fait beaucoup de mon temps, beaucoup de mon énergie, ça détruit d’ailleurs probablement ma santé, mais c’est très très important.
ZYVA : Vous vous sacrifiez à votre manière pour...
G.A. : Quelqu’un doit le faire. Les politiciens ne le font pas, les académiciens non plus, terrifiés à l’idée de perdre leurs positions, les journalistes non plus... Il ne reste donc plus qu’un saxophoniste ! Avec moi que peuvent-ils faire ? S’ils détruisent mon saxophone, ce n’est pas grave, j’en aurais un gratuit !
ZYVA : Quelque part c’est aux artistes d’envoyer des messages...
G.A. : C’est très difficile pour les artistes d’envoyer des messages puisqu’ils sont eux-mêmes régis par les maisons de disques. Ils sont inquiets pour leurs carrières. De fait, j’en paye le prix fort. En France, j’ai été rejeté pendant longtemps. J’ai beaucoup combattu en France et c’est une honte parce que ce que je fais est très important pour les Juifs plus que pour quiconque d’autre ! Ils pensent que tout ceci est antisémite, ça ne l’est pas ! Dans mon groupe il y a toujours eu des Juifs, ma femme est juive. Il est évident pour moi que la communauté juive ne peut pas se sauver elle-même. Mais nous devons les aider.
ZYVA : Mais sont-ils prêts à entendre ce que vous avez à leur dire ?
G.A. : Pas vraiment. Non. Et c’est un gros problème parce qu’aux Etats-Unis, j’étais à la télévision et à la radio tous les jours, quelque chose comme cinq fois par jour. Beaucoup de gens m’écoutent aujourd’hui, beaucoup de gens supportent ce que je dis. Vous pouvez voir sur les premières pages leur soutien. Ca vient de quelques-uns des plus grands professeurs et d’académiciens dans le monde. Mais s’ils n’écoutent pas, ils s’excluent eux-mêmes d’un discours plus important qu’eux-mêmes. C’est donc un gros problème. Mais nous devons faire tout ce que nous pouvons. Actuellement nous vivons sur une bombe prête à exploser. Et ma musique est ma force. Alors je viens ici, hier j’étais à l’hôtel, on a fait un petit meeting, des gens sont venus me parler, beaucoup de personnes venant d’Algérie. Ils voulaient savoir ce que j’avais à dire. Vous savez, les gens veulent savoir ! Nous vivons dans une société qui est sur le point de se désintégrer. C’est vraiment effrayant.
ZYVA : Comme vous l’avez dit, c’est une honte que les académiciens ne puissent rien faire...
G.A. : L’institution académique est morte. L’université est morte. Elle est tellement loin de ce que nous définissions comme étant l’université. Elle ne correspond plus à la réponse que nous attendons à la question « qu’est-ce que l’université à la base ? ». Ce que nous faisons maintenant ? Nous ne donnons pas toutes les réponses. Mon approche, je suis philosophe de profession, mon approche dans quelque problème humaniste est de commencer, est de tenter de comprendre la question d’origine. La retrouver. Aller au plus loin possible dans la compréhension de la plus profonde question. Maintenant à l’université, on n’apprend plus à poser des questions, on apprend des réponses. En Occident, on doit savoir que la Deuxième Guerre mondiale était comme ça, qu’Hiroshima était comme ça. Non ! Nous devons poser la question du pourquoi ? Pourquoi la Deuxième Guerre mondiale, pourquoi Hiroshima ? Pourquoi des holocaustes se produisent régulièrement ? Pourquoi Israël s’octroie le droit de prendre possession de la Palestine, et maintenant c’est la plus grande menace sur la paix. Nous devons répondre à ces questions ou cela va finir en un grand désastre. D’ailleurs ce désastre est déjà là. 1 500 000 de personnes sont mortes en Irak. 1 500 000 Irakiens. A cause de nous, à cause de moi. Je n’en veux pas. Si l’on tue une personne, on se tue nous aussi.
ZYVA : Il y a toujours un retour.
G.A. : Oui, c’est curieux.
ZYVA : Un autre artiste me fait particulièrement penser à vous, Marcel Khalife
G.A. : Oui.
ZYVA : Ces textes sont aussi plein de sens, il porte aussi un message fort.
G.A. : Oui, absolument. Il vient du même endroit que moi (rires) !
ZYVA : Il vient du même endroit que vous ?
G.A. : Oui, il vient de Palestine (NDLR : en fait il se trompe, Marcel est Libanais)
ZYVA : Vous le connaissez ?
G.A. : Je ne l’ai jamais rencontré. Mais je l’ai déjà entendu. Je suis très timide quand j’arrive quelque part. Je ne parle pas. Si quelqu’un nous présente, alors oui.
ZYVA : C’est bizarre.
G.A. : Non vous savez, j’ai toujours été comme ça. Avec les femmes comme avec les musiciens ! Si une femme voulait de moi, bon maintenant je suis marié, elle devrait me violer ! Et elles n’ont jamais voulu me violer, alors il ne s’est rien passé !
ZYVA : Et à propos de musique ? Bien sûr vous jouez ce soir, ce n’est pas la première fois que vous venez à Lyon...
G.A. : Je pense que c’est la première fois. C’est très important pour moi de jouer en France. A chaque fois que je viens en France c’est plein à craquer, les gens aiment ce que nous faisons parce que ça combine de la musique européene avec du Jazz, de la musique arabe, et la France est un melting pot. La France est probablement la plus importante société européene en termes de culture. Un des instrument qui représente ce mélange c’est le Bandonéon (NDLR ou Accordéon). Pourquoi ? Parce que l’accordéon s’inscrit dans les cultures d’Europe et d’Afrique du Nord. C’est très important pour moi !
ZYVA : Je ne sais pas si les gens comprennent vraiment ce que vous voulez dire...
G.A. : Les gens viennent, ils écoutent ma musique et s’ils ne la comprennent pas, ce n’est pas très grave. Mais en général les gens aiment ma musique.
ZYVA : Titre d’un artiste ou d’un groupe qui pourrait vous représenter vous ou votre musique :
Gilad Atzmon : Ma musique, non, pas vraiment, mais je peux vous donner quelques morceaux qui me plaisent beaucoup. Pour moi, ma musique est une tentative pour célébrer la beauté. Alors je dirais un mélange de John Coltrane, Astor Piazzolla et Oum Kalthoum