Il est accepté qu’en France l’on puisse moquer, bafouer ou blasphémer la religion catholique sans pour autant s’attirer les foudres de l’opinion publique ni s’exposer à la contre-attaque communautaire et la répréhension légale.
A la croisée de la tradition paillarde, de l’héritage anticlérical révolutionnaire, de la médiatisation des scandales et de la crise de foi qui vide ses paroisses, l’église affaiblie semble habituée à la résignation de laisser faire sans riposter. Caricature, kiss-in sur parvis (1) ou œuvre outrageante (2), suscitent tout au plus aujourd’hui un semblant de réaction gênée qui ne cesse de valider cette drôle de jurisprudence sans fixer limite à la tolérance.
Bien à l’inverse d’autres confessions plus enclines à se défendre ou attaquer dès le premier soupçon, elle se limite à un repli passif et quasi silencieux dont le mérite essentiel est de ne pas participer au jeu de la tension entre communautés. Aussi, en écho à ce refus d’alimenter les dissensions, la moindre des choses, la plus juste, que l’on soit catholique ou non, croyant ou pas, semble d’être attentif à la parole portée en marge de la discorde lorsque le sujet abordé rejoint nos préoccupations. Il s’agit donc ici de se situer bien au-dessus de tout contexte prosélyte afin de rendre compte avec objectivité de propos faisant autorité en leur domaine.
Au cours des 26éme Journées Mondiales de la Jeunesse, Benoît XVI s’est exprimé largement quant aux valeurs et rôles de l’éducation. Force est de constater que les points énoncés rejoignent sans ambiguïté les considérations de quiconque, à gauche comme à droite, s’inscrit dans une démarche dissidente face aux dérives mondialistes qui tiennent notre école en agonie. Afin de bien situer les propos du pape en référence aux politiques d’enseignement, procédons par thèmes en nous valant d’une série de citations mis en rapport avec des directives européennes bien précises.
Employabilité :
Il s’agit d’un des maîtres-mots de la logique européiste. L’école, désormais au service du monde économique, a pour vocation de formater l’élève selon des normes pragmatiques en adéquation aux exigences du marché. En fin de cursus, il doit être employable en vertu de compétences acquises et disposé à la nécessité d’une formation « tout au long de la vie » afin d’entretenir une rentabilité permanente : « La principale stratégie consiste à ce que les jeunes aient acquis à l’issue de leur scolarité les compétences, les connaissances et les comportements qui font qu’un travailleur est productif et employable » (OCDE, Apprendre à tout âge pour rester employable toute une vie, réunion du 14 et 15 octobre 1997.)
En échange, le pape critique sans détours « une vision utilitaire de l’éducation (…) qui s’installe aujourd’hui » et dont le but est « de former des professionnels compétents et efficaces qui puissent satisfaire la demande du marché du travail à tout moment précis ». Cette opposition qui réfute la conception utilitariste actuelle mène logiquement au second point de comparaison.
Les compétences aux dépens du savoir :
La compétence est un autre terme clé du registre employé par les instances de l’UE en matière d’éducation. Il ne s’agit plus de connaître, s’approprier et réfléchir mais de savoir-être ou savoir-faire. Les matières sont devenues des prétextes à l’apprentissage de ces comportements transversaux, les programmes sont allégés et on ne demande plus à l’enseignant de transmettre les connaissances ou d’éveiller les esprits mais simplement d’évaluer la bonne mise en pratique des qualités demandées : « Il est plus important de viser des objectifs de formation de caractère généraux que d’apprendre des matières bien précises. Dans le monde du travail, il existe tout un éventail de compétences – qualité relationnelles, aptitudes linguistiques, créativité, capacité de travailler en équipe et de résoudre les problèmes, bonne connaissance des technologies nouvelles – qu’il devient aujourd’hui essentiel de posséder » (OCDE, analyse des politiques d’éducation, 1998).
De son côté, Benoît XVI condamne « quelques techniques matérielles et anonymes, ou quelques froides données, utilisées seulement de façon fonctionnelle » et ajoute que « l’enseignement n’est pas une communication aride de contenus, mais une formation des jeunes que vous devrez comprendre et rechercher ». Il ajoute enfin que« les jeunes ont besoin de maîtres authentiques, des personnes ouvertes à la vérité totale dans les différentes branches du savoir ». Le nœud de ce désaccord trouve source dans une conception élitiste de véritable éducation dont la conséquence immédiate est l’exclusion totale d’une majorité désormais vouée à l’abrutissement contrôlé. Nous arrivons donc en toute logique au thème suivant.
Le conditionnement à la consommation (3) :
Ce glissement du savoir à la compétence, de la réflexion à l’ignorance, installe définitivement l’enseignement sous le joug du conditionnement économique. Cette relation de soumission est double. D’une part, elle organise un lien permanent entre l’homme et le monde marchand par la nécessité continue de s’y adapter et entretient consécutivement son maintien dans un contexte de commerce. D’autre part, elle prédestine la plupart des élèves, ceux qui, comme l’indique la Table Ronde Européenne « ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autre vont progresser » à être les premières victimes du tittytainment de Brzezinski et consorts.
Rappelons que ce terme de propagande néo-totalitaire désigne tout simplement le contrôle des populations potentiellement en colère par le biais d’« un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante » afin de « de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. ». Si l’on exclue la population minoritaire intégrant les pôles d’excellence, destinée à l’entretien du bon fonctionnement du système en place, et qui sera formée à un minimum de capacité d’analyse à cette fin, on peut affirmer sans exagération que le glissement mentionné est facteur d’une véritable aliénation par la consommation.
Le pape a, quant à lui, clairement manifesté son désaccord avec un système éducatif qui « qui voit l’homme comme un simple consommateur » et déplore que « ce pragmatisme immédiat s’érige en critère principal ». A cette conception d’un enseignement de l’ignorance, il loue dans un chiasme la quête, certes, « de l’amour » et de « la foi » (faut bien qu’il en place une petite), mais aussi de « la raison » et « l’intelligence ». Cette défense n’est pas nouvelle puisqu’il avait déclaré en Jordanie à l’occasion d’une ouverture d’université que la « formation intellectuelle aiguisera le sens critique des étudiants, dissipera ignorance et préjugés et aidera à apprécier l’attrait exercé par des idéologies anciennes ou nouvelles » Si les camps sont à établir Benoît et Michea sont côte à côte face à la menace libérale. Etonnant non ?
Pas tant que ça. Les guerres de religion ont sonné le glas de la référence divine en tant que parangon des valeurs occidentales laissant ainsi le champ libre au modèle axiologiquement neutre de l’économie politique. Dès lors, la nappe du libéralisme, nourrie de cette neutralité fédératrice très compatible à l’intérêt égoïste, va se répandre au détriment de tout système moral en société, qu’il soit religieux ou d’un autre ordre. Cette évolution qui conduit à la sauvagerie actuelle a mazouté sans distinction les principes de l’éthique individuelle et collective tendant à la juste harmonie du groupe.
L’ensemble de ces principes réunis sous le générique de la common decency orwellienne, amplement étudiée par Michea, et qui constitue, selon ce dernier, le principal rempart au néolibéralisme barbare, apparaît alors comme le pendant véritablement laïc de l’opposition du pontife au pragmatisme aveugle du monde marchand. Certes, on pourra toujours gloser sur les divergences d’intentions mais la marée noire ne fait pas dans la distinction. Même courant, même pétrole, même asphyxie. L’exemple d’association entre ces deux hommes, qu’on pourrait croire saugrenue, ne demande même pas réflexion car il semble aujourd’hui urgent d’admettre que pour désengluer, la résistance est avant tout œuvre d’unité.
1 : comme par exemple à Lyon le 18 juin 2010 devant la cathédrale Saint-Jean de Lyon.
2 : tel le Piss Christ d’Andrés Serrano exposé à musée d’art contemporain d’Avignon.
3 : cette partie aborde rapidement des notions et une chronologie précisément étudiées par Jean-Claude Michéa dans L’enseignement de l’ignorance ou La double pensée. Le syntagme « axilogiquement neutre » lui appartient.