Le 25 mars 1975, le roi Fayçal d’Arabie, défenseur authentique de la cause palestinienne, était assassiné par son neveu Fayçal ibn Musad, un jeune homme fragile tout juste revenu de Berkeley (Californie) où, sous le charme d’une jeune actrice, il était devenu toxicomane. Retour sur la vie et la mort de ce grand souverain.
C’est en 1932, alors âgé de vingt ans, que Fayçal ben Abdelaziz al-Saoud a été nommé ministre des Affaires étrangères par son père Abdelaziz al-Saoud, le fondateur de la dynastie saoudienne. Foncièrement anticommuniste, il cherche une alliance avec les États-Unis. C’est sous son influence que son père accepte l’invitation du président américain Roosevelt (revenant de Yalta), sur le croiseur USS Quincy en février 1945. À l’issue de cette rencontre est scellé le Pacte du Quincy, par lequel les États-Unis s’engagent à protéger le royaume et la famille régnante en échange d’un approvisionnement énergétique privilégié. Une close tacite de ce pacte est la promesse de Roosevelt de ne pas autoriser la création d’un État juif indépendant en Palestine. Le 5 avril, Roosevelt réaffirme par écrit à Ibn Saoud son engagement à n’entreprendre « aucune action, en tant que chef de l’exécutif de ce gouvernement, qui pourrait se révéler hostile au peuple arabe ».
Roosevelt meurt sept jours plus tard, le 12 avril. En 1947, Fayçal se sent profondément trahi lorsque Truman, pour des raisons de financement électoral essentiellement, se prononce pour le plan de partage de la Palestine. À l’issue du vote, Fayçal dénonce publiquement les manœuvres de corruption et d’intimidation qui ont permis d’obtenir deux tiers des votes à l’Assemblée générale de l’ONU et déclare que, pour ces raisons, son gouvernement « ne se considère pas lié par la résolution adoptée aujourd’hui par l’Assemblée générale [1] ». Néanmoins, Fayçal, qui avait tenté de rassurer les délégations arabes, est sévèrement critiqué pour son « inexplicable naïveté », et d’autant plus lorsque Truman reconnaît l’État d’Israël quinze minutes après sa proclamation.
En 1964, Fayçal est appelé sur le trône à la demande des princes, pour remplacer son frère, jugé incompétent. Il sauve le pays du naufrage économique et le guide vers la modernisation. En matière de politique étrangère, sa grande ambition, qu’il exprime dans son discours inaugural à la Conférence islamique mondiale en avril 1965, est de faire basculer le monde arabe dans le camp américain, que Nasser a quitté à contre-cœur en acceptant l’offre d’aide militaire de l’URSS (les Américains ayant posé des conditions inacceptables à leur aide militaire). En contrepartie de sa fidélité aux États-Unis, Fayçal s’engage à avoir une attitude intransigeante vis-à-vis d’Israël (dont il refuse toujours la légitimité), de soutenir le peuple palestinien dépossédé, et d’user de son influence sur les cercles dirigeants américains en faveur de la cause palestinienne.
Lorsque Gamal Abdel Nasser meurt le 28 septembre 1970, le roi Fayçal devient le principal soutien de Yasser Arafat et de l’OLP. C’est grâce à lui qu’Arafat sera accueilli à l’Assemblée générale des Nations unies le 13 novembre 1974 et traité comme un chef d’État.
- Fayçal accueilli par Nixon à la Maison Blanche en 1971
Nixon n’est pas un président pro-israélien, loin de là. Mais en 1973, Henry Kissinger, déjà conseiller à la Sécurité nationale de Nixon, devient aussi secrétaire d’État, à l’issue d’une lutte d’influence se soldant par la démission de William Rogers, partisan d’un soutien à la cause palestinienne. Sous l’influence de Kissinger, les États-Unis viennent en aide à Israël durant la guerre du Kippour, en octobre 1973, par laquelle l’Égypte et la Syrie ont tenté de récupérer les territoires illégalement occupés. Après la guerre de 1973, l’assistance militaire des États-Unis à Israël se renforce.
En avril 1974, le roi Fayçal envoie son ministre du pétrole Sheikh Yamani à Washington, pour déclarer à Kissinger qu’il n’augmenterait pas sa production si les Américains ne forçaient pas Israël à se retirer des territoires occupés. Nixon tente de reprendre la main et envoie le directeur adjoint de la CIA, le général Vernon Walters, pour une rencontre secrète avec les leaders de l’OLP, sans en informer Kissinger. Walters revient convaincu de la bonne foi d’Arafat. En juillet 1974, Nixon lui-même se rend en Égypte, Arabie Saoudite, Syrie, Israël et Jordanie et exprime une position très ferme, tançant Israël pour son intransigeance. Le 6 août 1974, Nixon annonce à Kissinger qu’il entend couper toute aide militaire et économique à Israël si l’État sioniste refuse de se plier aux résolutions de l’ONU [2].
Le 9 août 1974, Nixon démissionne, contraint par l’intensification du scandale du Watergate. Cette affaire, qui passe communément pour la preuve de l’indépendance des médias américains et de leur efficacité comme contre-pouvoir démocratique, est en réalité la démonstration de la puissance des grands médias (et du Washington Post en particulier) comme arme sioniste dans la politique des profondeurs.
Nixon est remplacé par le vice-président Gerald Ford. Connu pour ses positions pro-israéliennes, Ford prend comme première décision de reconnaître officiellement Jérusalem comme la capitale de l’État hébreu. Cette décision unilatérale, qui bafoue les résolutions de l’ONU, suscite la colère du roi Fayçal d’Arabie.
Le 16 août 1974, Fayçal décide d’utiliser l’arme pétrolière et provoque la première crise pétrolière en réduisant le volume d’extraction, dans l’espoir d’infléchir la politique pro-israélienne des États-Unis. Puis il procède au retrait des réserves d’or saoudiennes entreposées aux États-Unis. Kissinger menaçe d’utiliser la force pour desserrer ce qu’il qualifie d’ « étranglement du monde industrialisé ». Des manœuvres militaires sont menées par le commandement américain dans le Golfe et des simulations de débarquement ont lieu à Oman. Un accord est finalement négocié lorsque Fayçal envoie à Washington son ministre de la Défense, l’émir Sultan. En échange d’un recul du gouvernement américain sur la question de Jérusalem et de son engagement à exiger d’Israël le retour aux frontières de 1948, Fayçal recrute un millier de conseillers militaires américains pour former la Garde nationale saoudienne, chargée de protéger les puits de pétrole et la famille royale. Par ce geste, Fayçal place son sort et celui de sa famille entre les mains des États-Unis, comptant sur la bonne foi des Américains pour rééquilibrer leur politique au Moyen-Orient.
- Henry Kissinger (à gauche) et le roi Fayçal
à Riyad en mars 1975
Ce rééquilibrage n’aura pas lieu. Le 25 mars 1975, le roi Fayçal est assassiné par son neveu Fayçal ibn Musad. Le régicide est condamné à mort et promptement décapité sans avoir expliqué son geste, et ses motivations restent inconnues à ce jour. On sait qu’il était d’un naturel calme, qu’il vivait aux États-Unis depuis dix ans, que durant ses études à l’Université du Colorado, il était tombé sous le charme de l’actrice Christine Surma, laquelle l’avait convaincu de s’installer à Berkeley, l’avait introduit dans un milieu gauchiste et l’avait rendu addict du LSD. Avant de rejoindre Riyad en mars 1975, il avait brièvement suivi un traitement psychiatrique à Beyrouth. Selon une enquête publiée par l’Executive Intelligence Review du 26 décembre 1978, Fayçal ibn Musad aurait été la cible d’un projet inspiré par Bernard Lewis (futur inventeur du « Choc des civilisations ») et orchestré par une cabale de sionistes liés à l’Aspen Institute du Colorado et au Council on Foreign Relations, visant à utiliser des étudiants saoudiens résidant aux États-Unis pour déstabiliser l’Arabie Saoudite [3].
Quelques heures seulement après la mort de Fayçal, son frère Khalid bin Abdulaziz Al Saud est proclamé roi par un conseil restreint ne comprenant que cinq membres de la famille royale. Le nouveau roi se montre beaucoup mieux disposé à l’égard d’Israël. Il n’exprimera durant son règne, jusqu’en 1982, aucun intérêt particulier pour la cause palestinienne, et se montrera incapable de la moindre action significative lors de la Guerre civile qui ravagera le Liban à partir de 1975. En 1979, il n’est certainement pas en position d’empêcher Sadate de signer une paix séparée avec Israël, ce dont Fayçal s’était efforcé de le dissuader, car cela rendrait à jamais impossible toute coalition militaire contre Israël.
L’assassinat de Fayçal présente une ressemblance avec celui de Robert Kennedy, le 6 juin 1968, juste après l’annonce des résultats des primaires de Californie qui faisaient de lui le favori pour l’investiture démocrate. Son assassin, Sirhan Sirhan, était un jeune homme de tempérament calme et, depuis bientôt cinquante ans, clame depuis sa prison qu’il ne se souvient ni d’avoir tué Robert Kennedy, ni d’avoir souhaité le faire – amnésie confirmée par plusieurs expertises psychiatriques. Il pense avoir été drogué et/ou hypnotisé. Le fait que Sirhan ait été palestinien et qu’on ait expliqué son geste par sa haine supposée d’Israël, faisant de lui l’un des premiers « terroristes palestiniens », suffit à orienter les soupçons vers le réseau sioniste, qui avait tout intérêt à empêcher Robert Kennedy d’accéder à la Maison Blanche et, de là, de rouvrir l’enquête sur l’assassinat de son frère.