Jérôme Fourquet est l’analyste politique qui monte. Ce spécialiste de la géographie électorale dirige un département de l’IFOP et ses projections stratégiques intéressent la presse et les partis. On le voit souvent prendre la parole dans Le Figaro, qui cherche un fondement scientifique à son orientation ou sa réorientation nationale-sioniste. Mais un Guilluy peut aussi fournir des munitions au camp de la nouvelle droite française : il suffit d’adapter les concepts en vogue. Naturellement, Fourquet revient, le lendemain de la fête nationale, sur les deux événements qui se sont croisés dans la nuit du 14 juillet..
« Le 14 Juillet, cette année, a été l’occasion, dans une unité de temps et de lieu (les Champs-Élysées), quasiment théâtrale, d’assister à un précipité des fractures françaises. Le matin, le défilé militaire officiel a été perturbé par des sifflets, qui, s’ils n’étaient pas inédits, établissaient bien la distance qui existe entre le président de la République et une partie de la population française. L’après-midi fut l’occasion de violences de la part de black blocs et “d’ultrajaunes”, et le soir, le feu d’artifice traditionnel a été suivi de manifestations de joie bruyantes des Franco-Algériens, accompagnées parfois d’affrontements violents avec les forces de l’ordre. Ce jour de fête nationale, qui puise sa source dans la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, a viré en journée de l’archipelisation. »
Et tout le monde de se poser la question naturelle : est-ce une répétition de quelque chose de plus grand et de plus violent à venir ? Fourquet voit dans ces heurts la preuve de l’existence d’archipels français. Pour lui, les grands événements fédérateurs – fête nationale, victoire en Coupe du monde, baccalauréat, Tour de France, la grande transhumance des départs en vacances, tout ce qui faisait et démontrait l’unité de la Nation – montrent des fissures dangereuses pour ceux qui veulent bien les voir. Des signes avant-coureurs inquiétants pour la suite. Plus rien ne semble sacré, et l’image des centaines de clandestins qui prennent d’assaut le Panthéon n’est pas rassurante. La France en été devient le théâtre de la grande déferlante migratoire, ce qui ne va pas calmer la colère des Gilets jaunes, cette France délaissée qui part de moins en moins en vacances... Ce baume apaisant sur les douleurs sociales ne joue plus son rôle.
« Du fait de la montée en gamme des infrastructures touristiques (remplacement des emplacements pour les tentes et caravanes par des mobile homes dans les campings, “premiumisation” des villages vacances) le ticket d’accès pour les vacances a été sensiblement rehaussé. Les campings se sont transformés en “hôtellerie de plein air”, et VVF (Villages Vacances Famille) s’appelle désormais Belambra. Conséquence de cette érosion du tourisme social, le bas de la classe moyenne reste à quai. Dans une société de loisirs où les réseaux sociaux exacerbent la consommation ostentatoire et où partir en vacances fait partie du must have le plus basique, le bas de la classe moyenne qui avait occupé les ronds-points se sent de nouveau mis de côté à l’heure de la grande migration estivale. On le voit donc, les fractures sont multiples : générationnelles, socio-économiques, ethnoculturelles, idéologiques. »
La cerise sur le gâteau de la colère, c’est l’épisode des dîners homard & grands crus des Rugy. Fourquet y voit la réactivation du sentiment révolutionnaire de la fin du XVIIIe :
« Évidemment, les images des dîners fastueux du ministre de l’Écologie ont eu un effet dévastateur et ont sans doute contribué au regain de mobilisation des « gilets jaunes » dimanche. Cette affaire nourrit dans l’opinion le sentiment d’un décalage entre le vécu des Français et le train de vie d’une caste dirigeante qui semble avoir abandonné la décence. Elle réactive l’imaginaire révolutionnaire déjà très présent depuis la crise des Gilets jaunes, avec l’idée d’une « nuit du 4 Août » qui serait nécessaire pour abolir les privilèges des élus et des hauts fonctionnaires, qui constitueraient la nouvelle noblesse. Elle touche également à la question du consentement à l’impôt, qui fut aussi à l’origine de la révolte des ronds-points. »
Dernier point, la bataille (électorale) pour Paris montre la polarisation de l’électorat macroniste dans les grandes métropoles, laissant les villes moyennes et petites – celles des Gilets jaunes – aux autres candidats. Il y a bien deux Frances, et elles se regardent en chiens de faïence...
Cette évolution est-elle naturelle ? Il n’y a pas que l’impact de la mondialisation, qui a pulvérisé une partie de l’industrie française, et donc des emplois de la France périphérique, il y a aussi les choix politiques. Et ces choix, depuis plus de 35 ans, sont ceux du marché, un marché qui segmente les hommes et qui augmente les inégalités entre eux. Les riches deviennent plus riches (notre compatriote Bernard Arnault est devenu en période de paupérisation des Français l’homme le plus riche du monde derrière Jeff Bezos mais devant Bill Gates, une fierté nationale qui va mettre du baume au cœur des Gilets jaunes), les pauvres plus pauvres, et la classe moyenne est déchirée. La guerre des riches contre les pauvres ou de l’oligarchie contre le peuple explique les agressions contre la Nation et contre tout ce qui faisait son unité. Il ne s’agit donc pas d’une fatalité mais d’un projet.
Fourquet, fort de cette analyse sociologique que nous avons tous faite (sauf le coup du projet oligarchique, ce qui lui coûterait sa place), celle du dangereux démembrement de la Nation, était récemment l’invité de Taddeï dans Interdit d’interdire :