A priori rien de comparable entre les assassins de Daech et les organisations d’extrême gauche. Les premiers tuent indistinctement pour imposer une tyrannie religieuse tandis que les seconds disent se battre pour libérer l’Humanité exploitée par les possédants et les religions. Néanmoins si ces deux courants politiques sont opposés au niveau idéologique (l’un se dit religieux, l’autre est athée…) leurs actes et leur trajectoire historique sont, sur plusieurs points, comparables…
Contre-discours
Premièrement l’islamisme armé (Daech ou Al Qaïda) produit un contre-discours radical justifiant les pires violences. Ces « arguments » sont rejet global de la majorité apparente, d’où la fascination exercée sur certains jeunes. Il en fut de même du gauchisme toutes tendances confondues ! Car si en Europe l’extrême-gauche resta peu armée d’autres groupes dans le monde furent de véritables forces militaires comme les Khmers Rouges, le Sentier Lumineux péruvien ou les Naxalistes indiens. Comme Daech ces groupes se présentaient comme des rédempteurs, des agents de l’Histoire en marche et surtout des révolutionnaires voulant faire du passé table rase. Daesh fait-il autre chose ?
Quelle différence réelle entre Daesh et les Khmers Rouges ? Réactions à l’impérialisme, aux injustices coloniales et aux pouvoirs locaux violents ils captent la sympathie de gens victime d’injustices réelles.
Il en va de même de groupes comme le Sentier Lumineux, des maoïstes péruviens qui réunirent des milliers d’hommes armés pour lutter contre un État corrompu et sans pitié pour les Indiens et autres mécontents… Or dès que ces militants prirent le contrôle de hameaux la réalité de leur pouvoir n’eut rien à envier aux excès du gouvernement : pour une victime civile de l’armée les guerilleros tuèrent deux personnes non armées. Aujourd’hui le Sentier Lumineux survit à l’échelle d’une simple bande armée comme les derniers Khmers Rouges dans les années 90.
Si l’idéologie motive les militants comme l’étincelle enflamme la plaine la réalité de la lutte armée forge un habitus où la violence devient la seule règle et surtout la seule culture. Cela explique aussi les désertions : quand l’idéal politique se dissipe au profit de crimes atroces les vocations déclinent dans bien des sectes !
Ces organisations sont donc avant tout des miroirs inversés de la réalité subie par la population : mais l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?
Jeunesse(s)
Généralement les militants armés sont des jeunes hommes. Les jeunes femmes aussi s’embrigadent mais bien moins. Guérillas gauchistes ou jihadistes, peu de différences de structures : les jeunes sont le fer de lance de ces groupes combattants et servent à la fois de chair à canons et, par le biais de la sélection naturelle, de petits chefs capables de mener des groupes au combat et à la mort spectaculaire.
Même si les « Tigres Tamouls » (LTTE) furent avant tout une guérilla ethno-nationale en lutte contre une majorité raciste la violence et les techniques des Tigres ont bien des ressemblances avec Daesh. Ainsi avant les islamistes ce groupe fut le premier à utiliser massivement les attentats suicide pour viser militaires et civils adverses. Une femme kamikaze fut même à l’origine de la mort du premier ministre indien Rajiv Gandhi en 1990. Daesh est sans doute tenté par le même genre d’actions contre les pays ennemis.
Dans des sociétés en crise ou la jeunesse est synonyme d’impasse et de souffrance le passage à la violence politique, religieuse ou individuelle est facilitée et plus encore avec les réseaux sociaux qui isolent l’individu dans sa bulle politique et/ou névrotique.
Ingérences
Mais le terrorisme est bien faible quand il n’est pas soutenu de l’extérieur. Les groupes violents d’extrême gauche européens firent long feu car leur soutien extérieur était faible ou inexistant. De même les cagoulés corses survivent comme bande maffieuse et clientèle politique.
Le prolétariat mondial que les « communistes armés » disaient vouloir libérer ne donna aucun signe de sympathie à leurs actions et les polices vidèrent vite ces groupes de leur substance.
Il en va autrement des mouvements armés islamistes généralement mercenaires de puissances manipulatrices ou opportunistes. Faut-il rappeler l’aide des USA aux islamistes contre l’URSS ? Ou encore actuellement le soutien massif des pétro-monarchies à certains groupes islamistes en Syrie ?
Le 11 Septembre ou les atrocités de Daech montrent actuellement que le monstre manipulé s’est mué en abomination décolliérisée. C’est sans doute le point faible de Daesh qui a perdu son principal soutien régional : la Turquie. Pris entre plusieurs feux l’organisation va sans doute crever faute de soutien.
Survie
Historiquement l’extrême-gauche armée a survécu : éliminée comme force armée et politique importante la mouvance survit ici ou là. Ayant existé dans le continuum historique cette tendance politique a encore une existence culturelle parfois réactivée par une propagande habile ou la répétition d’injustices réelles. Parfois elle a même une existence légale qui poursuit la « lutte » (ETA, FARC, népalais maoïstes…). Il en ira sans doute de même pour l’islamisme armé. Ici ou là il a déjà cette destinée par exemple en Algérie ou les anciens des maquis du FIS ont pignon sur rue, s’expriment, fondent des entreprises, pactisent avec leur ancien ennemi étatique, ont des élus, etc. En Algérie le discours islamiste pur et dur n’a nullement disparu, seulement il est cantonné au seul discours apolitique. Les Barbus peuvent dire n’importe quoi et menacer de mort qui ils veulent du moment qu’ils épargnent les uniformes. On en est là.
D’autres sont plus modérés et ont évité l’écueil de la violence comme certains Frères Musulmans (Turquie, Algérie, Maroc…) qui ont accédé à un certain pouvoir par et pour les urnes. Un signe de modernité ? L’avenir le dira mais une géopolitique troublée et les problèmes de développement ne sont pas gages de stabilité. Daech voit dans les Frères Musulmans d’incorrigibles traîtres à abattre. Excusez du peu !
C’est là où l’État a disparu brutalement ou lentement que les groupes armés islamistes sont les plus à même de régner. Un certain Abou Bazr Nasri (vraisemblablement un pseudonyme) a théorisé dans un livre la prise du pouvoir dans les zones « barbares », c’est à dire effondrées ou déstabilisées. Le texte aurait été trouvé en Irak par l’armée us qui l’a rendu publique.
C’est le cas en Somalie ou ailleurs dans les zones grises et pauvres où la natalité a décuplé une jeunesse sans ressources : nord-Mali, Libye ou Afghanistan demeurent des zones où les « nomades » sont armés et assiègent les « sédentaires » désarmés. C’est l’analyse classique d’Ibn Khaldoun (mort à Tunis en 1406) qui voyait dans les empires islamiques du Moyen Âge des proies des tribus nomades armées.
Pourquoi le gauchisme a-t-il échoué politiquement partout ? Pour les mêmes raisons que le jihadisme échouera : ces mouvements réactifs aux souffrances structurelles font une révolution si totale et proposent des solutions si terribles qu’ils retournent la société contre eux.
Rappelons que l’islam de Mahomet fut, certes une révolution monothéiste, mais surtout un habille recyclage de réalités tribales et sociales populaires. Même commentaire pour le communisme, en URSS comme ailleurs en Europe il utilisa les valeurs et l’histoire d’un siècle de gauche socialiste… On sait avec quel succès.