Et d’abord, Johnny était-il blanc ?
La question n’est pas si farfelue. Personne n’a oublié les obsèques de Johnny, suivies de la polémique – cette bonne vieille habitude nationale – sur l’absence de la France des banlieues à la cérémonie.
"La France de Johnny vote Front national. C'est une France populaire, c'est la France des anciennes terres industrialisées du Nord, qui votait jadis communiste !" Patrick Buisson #RadioBrunet pic.twitter.com/b2zOYwIbj0
— RMC (@RMCinfo) 13 décembre 2017
Le Figaro dans son édition du 13 décembre 2017 a demandé au sociologue de la France périphérique Christophe Guilluy ce « que révèle le phénomène Johnny » :
« On peut cependant rappeler le mépris de classe qui a entouré le personnage de Johnny, notamment via “Les Guignols de l’info”. Il ne faut pas oublier que ce chanteur, icône absolue de la culture populaire, a été dénigré pendant des décennies par l’intelligentsia, qui voyait en lui une espèce d’abruti, chantant pour des “déplorables”, pour reprendre la formule de Hillary Clinton.
L’engouement pour Johnny rappelle l’enthousiasme des bobos et de Canal + pour le ballon rond au moment de la Coupe du monde 98. Le foot est soudainement devenu hype. Jusque-là, il était vu par eux comme un sport d’“ouvriers buveurs de bière”. On retrouve le même phénomène aux États-Unis avec le dénigrement de la figure du white trash ou du redneck.
Malgré quarante ans d’éreintement de Johnny, les classes populaires ont continué à l’aimer. Le virage à 180 degrés de l’intelligentsia ces derniers jours n’est pas anodin. Il démontre qu’il existe un soft power des classes populaires. L’hommage presque contraint du monde d’en haut à ce chanteur révèle en creux l’importance d’un socle populaire encore majoritaire.
C’est aussi un signe supplémentaire de l’effritement de l’hégémonie culturelle de la France d’en haut. Les classes populaires n’écoutent plus les leçons de morale. Pas plus en politique qu’en chanson. »
À propos de « mépris de classe », le philosophe raciste Alain Finkielkraut a fait remarquer ce qu’on avait tous remarqué : l’absence des racailles, islamistes, djihadistes et autres terroristes dans le dernier hommage du peuple de France à son chanteur fétiche.
Oui mais ça, Finky, c’est normal, logique, calculable : il ne s’agit pas de haine antifrançaise ou antiblanche, mais de goût musical directement induit par les origines ethniques et culturelles des communautés en question. Il n’est pas raciste de dire que les Arabes et les Noirs de la tranche 15-35 de banlieue préfèrent globalement le rap au rock, et donc un rappeur noir à un rocker blanc.
Il ne s’agit pas de racisme antiblanc d’un côté ou antinoir de l’autre (un beauf de 60 ans n’écoute pas de rap) mais de la traduction d’une préférence culturelle presque inscrite dans les gênes. La musique n’est universelle que parce qu’il y a des musiques. À part un public un peu pointu qui goûte tous les genres, chacun aime la musique que ses déterminismes lui imposent.
- Un père et son fils fans de hard rock
On peut aller contre cette loi d’airain en faisant écouter à un bébé blanc de la classe intermédiaire (dans la phraséologie des instituts de sondages) du rap noir violent. Il aimera ensuite ce genre-là. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le couple Kanye West & Kim Kardashian : le père n’a pas voulu que son futur enfant écoute du rap mais de la musique classique, et précisément du Bach, dans le ventre de sa mère. Le déterminisme musical n’est donc pas intangible.
Les parents écoutant les musiques qui leur plaisent, leurs enfants baignent naturellement dedans, et font évoluer ensuite ce déterminisme avec leurs propres rencontres... musicales. Mais la base, elle, ne changera jamais. Voilà pourquoi l’amour pour Johnny s’est transmis de père en fils (plus que de mère en fille mais aussi) de génération en génération depuis 1960. Cela veut dire que dans ces familles, il n’y a pas eu de grande évolution musicale, même si on ne peut pas négliger le facteur accidentel, par exemple un fils qui flashe sur du Mozart, un jour, grâce à une pub sur TF1.
Le goût se transmet de génération en génération tout en évoluant
Ne confondons donc pas racisme et déterminisme culturel. De plus, les musiques ou les genres se mélangent : Johnny est ainsi passé en 10 ans d’une voix rockabilly – ce rock très blanc et sudiste des années 50 aux États-Unis – à une voix presque noire, celle de la soul des années 60-70. Alors, Johnny, chanteur blanc à voix noire ? Un peu.
Eric Burdon, le chanteur des Animals, chantait comme un Noir, et c’était un petit Blanc issu d’une famille ouvrière de Newcastle. Wikipédia écrit qu’il « refuse la voie tracée par ses parents et décide de s’inscrire dans une école d’arts plastiques », preuve que le facteur « accident » a joué. L’accident faisant partie intégrante de l’Évolution : chacun se rappelle les conséquences de la grande faille africaine qui est probablement à l’origine du passage miraculeux du singe à l’homme.
Johnny, lui, a fait un tube avec la reprise de Hey Joe, ce thème populaire transcendé par Jimi Hendrix, qui était lui-même meilleur guitariste que chanteur. Justement, Hey Joe se prête bien au débat noir/blanc sur la musique. La version des Byrds est dite folk, tandis que celle de Wilson Pickett serait plutôt soul :
Hey Joe par The Byrds en studio en 1966, avec leur jeu inimitable de guitares entrecroisées donnant cette impression de frise de notes :
Hey Joe par The Byrds sur scène, moins précis, mais les drogues psychédéliques n’ont pas forcément amélioré la virtuosité :
Et une cover par des Blancs de 70 ans dans un bistrot américain :
Hey Joe en 1966 par Jimi, qu’on ne présente plus, la chanson n’est pas de lui mais cette version fera le tour du monde :
Hey Joe par Johnny (qui connaissait Jimi) avec des cuivres en 1967 :
Hey Joe par Wilson Pickett et sa voix magique, sans images de scène mais avec un certain Johnny Allen – alias Jimi – derrière et en nœud pap’ :
Personne ne peut se targuer d’unifier toutes les familles humaines sous un seul genre musical. Même Michael Jackson, pourtant bien « blanchi » par son manager, n’était pas complètement fédérateur. Mais on le voit, chacun, noir ou blanc, jeune ou moins jeune, a son Hey Joe. Et c’est ça qui fait la richesse de la musique. Heureusement qu’il y a des différences !
Et hop, un petit coup de pied de l’âne au métissage en passant... puisque dans ce cas, le métissage n’est pas forcément un signe d’évolution. Il l’est jusqu’à un certain stade : par exemple, le rock est issu du croisement entre la rythmique irlandaise et le chant africain, la mélopée de l’esclave sur la bourrée blanche. Et c’est magique ! Après, si on commence à croiser le rock avec d’autres croisements, ça produit plus de monstres que de génies...
Johnny était le chanteur de la France périphérique, qui tenait là son rocker ; Cantat a été celui de la France bobo ; Goldman est celui de la France de la classe moyenne, toujours blanche ; Diam’s était la chanteuse des filles des cités ; NTM a lancé le rap français dans les quartiers avant d’être débordé par ses « fils », mais des petits Blancs écoutaient aussi ce groupe (la tendance Kool Shen) ; Barbara était la voix de la gauche culturelle huppée ; Ferrat celle de la France rouge...
La musique est donc une expression à la fois raciale et sociale. Disons, pour ne fâcher personne, ethno-culturelle. Il n’y a pas de lutte des classes ou des races dans la musique mais une catégorisation relativement précise, avec quelques passerelles. En matière artistique, c’est donc la mixité qui est enrichissante, plus que le métissage, qui montre certaines limites.
Le vote comme la musique est un choix... déterminé
Selon que vous serez riche ou pauvre, noir ou blanc, jeune ou vieux, vous apprécierez telle ou telle musique, et vos goûts évolueront avec votre âge et votre catégorie socio-professionnelle, soit votre culture, culture étant pris ici comme bouillon bactérien.
En gros, les goûts musicaux des Français se situent sur le segment suivant, chacun mettra le curseur où il veut (et où il doit) : variétés (plus ou moins anglo-saxonne) - rock (plus ou moins hard) - rap - chanson (tradition, à texte) - jazz - classique.
Que les tenants de l’électro et autres « sous-catégories » nous pardonnent, on fait dans le grossier pour rester clairs.
La musique n’échappe pas aux lois naturelles de l’inné et de l’acquis : si vous voulez avoir des goûts éclectiques, demandez à vos futurs parents de vous mettre « de tout » pendant la période intra-utérine. Si vos géniteurs sont mono-musicaux, il y a des chances que vous le soyez, à moins que vous ne fassiez un cursus CHAM au conservatoire ou musicologie à la fac. Cependant, même cette branche est déterminée. Ce qui n’empêche pas l’éclosion de musiciens venus de nulle part dans des familles pas du tout musicales ! Inversement, regardez la descendance Gainsbourg.
Conclusion ? Pour enrichir votre lexique musical à venir, faites comprendre à vos parents – mettons, à coups de pied dans le ventre (On rappelle que vous êtes censé être un bébé) – de mixer sans les mélanger Allah Wakbarr d’Ofo The Black Company avec le Messie d’Haendel dans votre biberon tympanique :