révoquée en 1991 par la Résolution 46/86
L’endogamie sacrée
Si l’interdit de l’inceste est la première marche de la civilisation, l’exogamie monogamique en est la seconde. Par le mariage exogame, l’homme poursuit sa socialisation au-delà de sa famille et de son clan ; il naît à l’humanité, ou tout au moins à une communauté humaine plus vaste [1]. Pour les juifs fidèles à la Torah, c’est l’exogamie, plus que l’inceste, qui est le grand tabou.
Dans le monde antique, le mariage suppose l’adoption réciproque des dieux, ou du moins leur cohabitation. Épouser une femme d’un autre peuple, c’est se lier, non seulement à ses parents, mais à ses dieux. Cela ne pose pas de problème dans la mesure où les dieux se tolèrent mutuellement. Mais le dieu des Hébreux est un dieu jaloux. Le commandement de stricte endogamie est justifié par celui de strict monothéisme (monothéisme exclusif, distinct du monothéisme inclusif qui combine la pluralité et l’unité du divin, admis par toutes les sagesses du monde), et les femmes étrangères sont tenues pour les principales responsables de l’apostasie de leurs maris ; pire encore, elles transmettent leurs dieux et leurs rites à leurs enfants. Lors de la première conquête de Canaan, il est interdit de marier ses enfants aux autochtones, « car ton fils serait détourné de me suivre ; il servirait d’autres dieux ; et la colère de Yahvé s’enflammerait contre vous et il t’exterminerait promptement » (De 7.3-4). Pour prévenir toute contagion religieuse, Moïse ordonne au nom de Yahvé d’exterminer dans certaines villes conquises tous les êtres vivants sans distinction « afin qu’ils ne vous apprennent pas à pratiquer toutes ces abominations qu’ils pratiquent envers leurs dieux » (20.18).
Lorsque certains Hébreux prennent femmes parmi les Moabites, cela donne, en termes bibliques : « Le peuple se livra à la prostitution avec les filles de Moab. Elles l’invitèrent aux sacrifices de leurs dieux ; le peuple mangea et se prosterna devant leurs dieux » (No 25.1-2). Moïse/Yahvé fait alors empaler les chefs du peuple coupable, puis ordonne l’extermination de tous les Madianites, à l’exception des « petites filles qui n’ont pas partagé la couche d’un homme, et qu’elles soient à vous » (31.18). L’interdiction de l’exogamie ne s’applique pas, en effet, au viol et à l’esclavage sexuel ; la règle voulant que la judéité se transmette par la mère est là pour empêcher les bâtards de ces unions de souiller la communauté. En effet, « le bâtard ne sera pas admis à l’assemblée de Yahvé ; même ses descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l’assemblée de Yahvé » (De 23,3).
Le commandement de l’endogamie fait l’objet d’une telle valorisation dans la Bible qu’il va jusqu’à transgresser l’interdit de l’inceste, tel qu’il est compris par la plupart des peuples. Abraham épouse sa demi-sœur Sara, la fille de son père. Cela lui permet, lorsqu’il se rend en Égypte, de faire passer sa femme pour sa sœur, de sorte que le Pharaon se l’approprie ; puis, apprenant qu’elle est déjà mariée, il dédommage le mari par « du petit et du gros bétail, des ânes, des esclaves, des servantes, des ânesses, des chameaux » (Ge 12.16). Abraham réitère cette stratégie rentable chez les Philistins du Négeb (Ge 20). Son fils Isaac est moins endogame : il reçoit une épouse égyptienne dans sa jeunesse, mais ses héritiers seront les enfants qu’il aura avec Rébecca, la fille de son cousin Bethuel (Ge 11.29). Rébecca, horrifiée à l’idée que son fils Jacob épouse une femme hors de sa parenté, l’envoie chez son frère Laban pour qu’il épouse l’une des filles de ce dernier, ses cousines germaines. Il épousera les deux, Léa et Rachel (Ge 28.2). Le cas d’Ésaü, frère aîné de Jacob, est en apparence similaire : il offense ses parents en épousant deux femmes hittites (« sujet d’amertume pour Isaac et pour Rébecca », Ge 26.35), puis se repend et prend pour épouse sa cousine Mahalath, la fille de son oncle Ismaël (Ge 28.9). Cette généalogie n’a pu être inventée que par une caste d’exilés babyloniens pratiquant une endogamie extrême.
Les exilés à Babylone ont maintenu leur cohésion en conservant jalousement leurs registres généalogiques, en se mariant en vase clos (souvent entre cousins), et en faisant de la circoncision un signe d’appartenance (elle est largement pratiquée en Égypte et en Asie, mais pas en Mésopotamie) [2]. Au retour de l’Exil, en apprenant que certains juifs revenus avant lui de Babylone se sont livrés à l’abomination des mariages mixtes, que « la race sainte s’est mêlée aux peuples des pays », le législateur Esdras les contraint à s’engager à « renvoyer toutes nos femmes étrangères et les enfants qui en sont nés » (Esd 9.2 ; 10.3). L’obsession pour l’endogamie est le thème central du livre d’Esdras, dans lequel sont listées les généalogies des lignées pures dignes de se reproduire entre elles. Ces lignées désignent à l’évidence une classe d’élites, plus qu’un peuple. Dans cette littérature post-exilique, l’impératif de l’endogamie prend un tour moins religieux et plus racialiste : il s’agit bien de préserver la pureté du sang des élus.
Le marranisme et la naissance du racisme moderne
La fierté raciale juive se radicalise chez les marranes, juifs convertis sous la contrainte dans la péninsule ibérique du XVe au XVIe siècle. Loin de se fondre dans la société chrétienne, ces « nouveaux chrétiens » ne socialisent et ne se marient qu’entre eux, continuent leur pratique de l’usure et servent toujours de groupe intermédiaire entre l’élite et la masse des « vieux chrétiens », avec une liberté et une légitimité accrues [3]. Ce comportement fut le facteur déterminant dans la transformation d’une judéophobie de type religieux à cette judéophobie de type racial qu’on nommera plus tard « antisémitisme », et dont la révolte antijuive de 1449 à Tolède contre les conversos marque le tournant. Jusque-là, au sein de l’Église comme dans le peuple, il était admis qu’un juif converti au christianisme n’était plus un juif mais un chrétien. Mais la conversion forcée a renforcé le paradigme racial chez les marranes. Par réaction, les « vieux chrétiens » espagnols se mettent eux aussi à exalter leur race. L’idéologie de la « pureté du sang » devient une valeur matrimoniale centrale de la petite noblesse hidalgo, et se traduit en 1449 dans les statuts de limpieza de sangre, qui interdisent l’accès à certaines fonctions aux conversos. Selon l’historien Americo Castro, cettte idéologie de la pureté du sang était fondamentalement une réponse mimétique à celle qu’affichaient les grandes familles juives, depuis beaucoup plus longtemps et avec davantage d’intransigeance. On aurait peine à trouver chez les Espagnols, par exemple, l’équivalent de ce certificat établi par un rabbin en 1300 pour garantir après enquête que deux jeunes gens aspirant au mariage « sont de descendance pure, sans aucune tache familiale, et qu’ils pourraient se marier dans les familles les plus honorables d’Israël ; car il n’y a eu aucun mélange de sang impur dans les antécédents paternels ou maternels et dans leur parenté collatérale [4] ».
Ce sont des descendants de marranes qui diffuseront dans la civilisation chrétienne les premières théories racistes, d’inspiration talmudique : en 1655 paraît Præadamitæ d’Isaac de la Peyrère, marrane de Bordeaux, selon qui Adam est l’ancêtre de la race juive, tandis que les autres races sont issues d’une humanité pré-adamique, dépourvue d’âme. Dans un ouvrage antérieur, Du rappel des Juifs (1643), La Peyrère évoquait déjà une différence fondamentale dans la constitution biologique des juifs et des gentils, tout en concédant que la différence est moindre que celle entre les corps des bêtes et les corps des hommes, car seulement ces derniers sont « capables de Résurrection et d’immortalité » ; cependant, « les corps des Juifs sont capables de plus de Grâce et de Gloire que les corps des Gentils [5] ».
- Benjamin Disraeli
S’il est un personnage emblématique de l’influence des marranes sur la civilisation chrétienne, c’est Benjamin Disraeli (1804-1881), premier ministre de la Reine Victoria de 1868 à 1869 puis de 1874 à 1880, ami intime de Lionel de Rothschild, et « véritable créateur de l’Empire britannique », comme l’écrit Nahum Goldmann [6]. Disraeli est un « fanatique de la race », selon les termes de Hannah Arendt [7]. Sidonia, le héros de plusieurs de ses romans (décrit par Robert Blake comme « un croisement entre Lionel de Rothschild et Disraeli lui-même [8] »), se passionne pour sa race : « La race est tout ; il n’y a pas d’autre vérité. » Sidonia renonce à épouser une non-juive parce qu’ « aucune considération mondaine n’aurait pu l’induire à compromettre cette pureté de la race dont il s’enorgueillissait ». Pour Benjamin Disraeli, « une langue et une religion ne font pas une race […] il n’y a qu’une seule chose qui fasse une race, et c’est le sang » (Endymion, 1880). Il écrit encore : « Personne ne doit traiter à la légère le principe racial, la question raciale. Elle est la clé de l’histoire du monde. » Dans une œuvre qui ne relève pas de la fiction (Lord George Bentinck : A Political Biography, 1852), Disraeli écrit que les juifs « sont la preuve vivante la plus frappante de la fausseté de cette pernicieuse doctrine des temps modernes, l’égalité naturelle des hommes […], un principe qui, s’il était possible de le réaliser, détériorerait les grandes races, et détruirait tous les génies du monde. […] La tendance innée de la race juive, qui est justement fière de son sang, est opposée à la doctrine de l’égalité des hommes [9]. » De telles idées passaient pour éclairées dans le climat philosémite de l’Angleterre victorienne. Lucien Wolf, rédacteur en chef du Jewish World, historien et politicien influent, insiste sur la définition raciale de la judéité, et proclame la supériorité raciale des juifs, dans un article influent de 1884 titré « What is Judaism ? A Question of To-Day » : « Dans le judaïsme la religion et la race sont des termes presque interchangeables. » « Il est bien connu que les Juifs sont une race réellement supérieure, physiquement, mentalement et moralement, aux peuples parmi lesquels ils vivent [10]. »
Disraeli peut être considéré comme un précurseur du sionisme puisque, bien avant Theodor Herzl, il tenta de faire inscrire à l’ordre du jour du Congrès de Berlin la « restauration d’Israël », espérant convaincre le Sultan de céder la Palestine comme province autonome. Son contemporain Moses Hess, autre inspirateur de Theodor Herzl, avait mis l’accent dès 1862 sur le principe de la « pureté de la race » : « La race juive est une race pure qui a reproduit l’ensemble de ses caractères, malgré les diverses influences climatiques. […] Les caractères juifs sont indélébiles. » Par conséquent, « un Juif continue à appartenir au judaïsme par ses origines, même si lui-même ou ses ancêtres ont renié le judaïsme [11] ».
Racisme juif, racisme aryen
On peut estimer qu’en Allemagne, le racisme juif précède le racisme aryen, tout comme, dans l’Espagne du XVIe-XVIIe siècle, la fierté du sang exprimée par les marranes avait suscité par réaction les statuts ibériques de la « pureté du sang ». Le parallèle a été fait par Yitzhak Fritz Baer dans Galout, publié à Berlin en 1936 : dans les deux cas, nous avons des communautés juives soudain émancipées (par le baptême entre 1391 et 1497, par les lois européennes entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe), qui acquièrent rapidement une puissance économique, politique et culturelle disproportionnée par rapport à leur nombre, et qui expriment une fierté raciale offensante pour les Gentils, ce qui génère chez ces derniers une hostilité qui tourne à « guerre des races » [12].
« Un Juif élevé parmi les Allemands pourra adopter les coutumes allemandes, les mots allemands. Il pourra être entièrement imprégné de la substance allemande, mais le noyau de sa structure spirituelle restera toujours juive, parce que son sang, son corps, son type physique racial est juif. »
Ces mots n’ont pas été écrits par Adolf Hitler dans Mein Kampf, mais vingt ans plus tôt, en 1904, par le sioniste Zeev Jabotinsky dans sa « Lettre sur l’autonomie » [13]. À l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933, la communauté juive avait déjà été sujette à un endoctrinement racial de type völkisch depuis un demi-siècle, particulièrement de la part des sionistes. Il n’est donc pas étonnant que les juifs sionistes et anti-assimilationnistes allemands se soient montrés favorables aux lois de Nuremberg de 1935, qui interdisent les mariages entre juifs et Allemands dans le Reich.
Dans son livre Wir Juden (« Nous les Juifs ») publié à Berlin en 1934, Joachim Prinz, idéologue sioniste du judaïsme allemand, qui deviendra président de l’American Jewish Congress (1958-1966), écrit :
« Nous voulons que l’assimilation soit remplacée par une nouvelle loi : la déclaration d’appartenance à la nation juive et à la race juive. Un État fondé sur le principe de la pureté de la nation et de la race ne peut qu’être honoré et respecté par le juif qui déclare son appartenance à son propre peuple. […] Car seul celui qui honore ses origines et son propre sang peut respecter et honorer la volonté nationale des autres nations [14]. »
L’affinité d’un certain judaïsme pour le nazisme a été analysée par le rabbin américain Harry Waton, dans un livre publié en 1939 par le Committee for the Preservation of the Jews et intitulé A Program for the Jews :
« Le nazisme est une imitation du judaïsme ; le nazisme a adopté les principes et les idées du judaïsme par lesquels détruire le judaïsme et les Juifs. » « La philosophie nazie part du postulat : le sang d’une race détermine la nature, le cours de l’évolution et la destinée de cette race. […] Consciemment ou non, les nazis ont puisé cette théorie dans la Bible elle-même. »
Waton va plus loin encore :
« La déclaration d’Hitler selon laquelle la conscience juive est un poison pour les races aryennes est la réalisation la plus profonde que le monde occidental a atteinte par sa propre nature ; et la capacité d’Hitler à réaliser cela est la preuve de son génie ainsi que le secret de son pouvoir et de la curieuse fascination qu’exerce sa personnalité. […] C’est la pénétration cachée de l’âme juive dans l’esprit des Gentils qui constitue le danger [selon Hitler] ; et c’est un danger parce que l’esprit aryen ne peut pas y résister, mais doit succomber [15]. »
Apologie du métissage goy
Comme le montre Kevin MacDonald pour les États-Unis, transformer les nations occidentales en sociétés multiculturelles a été un objectif majeur des élites juives depuis le XIXe siècle [16]. Il ne s’agissait pas seulement d’augmenter la tolérance nationale envers les communautés ethniques, mais aussi d’augmenter l’importance numérique et la diversité des communautés ethniques par l’immigration massive, en faisant miroiter les bienfaits du métissage mais de manière à aboutir en réalité au pluralisme ethnique. L’une des figures emblématiques de ce mouvement culturel fut Israel Zangwill, auteur à succès avec sa pièce de théâtre intitulée The Melting Pot (1908), dont le titre est passé à la postérité comme métaphore de la société américaine. Le héros est un juif qui a émigré aux États-Unis pour fuir les pogroms qui ont décimé sa famille en Russie. Il tombe amoureux d’une immigrée russe chrétienne, qui s’avère être la fille de l’officier russe responsable de la mort de sa famille. Le père de la fiancée se repend, et le couple peut vivre heureux pour toujours. Le héros se fait le chantre de l’assimilation par les mariages mixtes, par lesquels Dieu donne naissance à un homme nouveau : « L’Amérique est le Creuset [Crucible] de Dieu, le grand Melting-Pot où toutes les races de l’Europe se fondent et se reforment. » Le paradoxe est qu’au moment où il écrit et produit sa pièce, Zangwill est un leader sioniste engagé, c’est-à-dire le chantre d’un mouvement qui affirme l’impossibilité pour les juifs de vivre parmi les gentils, et la nécessité pour eux de vivre ethniquement séparés. Zangwill est l’auteur de cette autre formule fameuse : « La Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre. » On ne saurait mieux illustrer le double langage et le double jeu du juif communautaire qui prône le métissage chez les gentils et la pureté ethnique chez les juifs. Le néo-conservateur Douglas Feith le dit sans ambages dans un discours prononcé à Jérusalem en 1997 : « Il y a place dans le monde pour des nations non-ethniques, et il y a place pour des nations ethniques [17]. »
Dans les nations non-ethniques, il convient de promouvoir l’immigration massive et le métissage. La révocation de l’Immigration Act de 1924, qui limitait l’immigration, en particulier celle issue d’Orient et d’Europe de l’Est, a été un combat politique prioritaire de pratiquement toutes les organisations juives américaines. Le combat fut gagné en 1965, et, en 1993, l’activiste juif Earl Raab, associé à l’Anti-Defamation League, peut se féliciter dans le Jewish Bulletin :
« Le bureau de recensement vient de rapporter qu’environ la moitié de la population américaine sera bientôt non-blanche ou non-européenne. Et ils seront tous citoyens américains. Nous avons dépassé le seuil critique au-delà duquel un parti nazi-aryen serait capable de prévaloir dans ce pays. Nous [les juifs] avons nourri le climat américain de l’opposition à la bigoterie pendant un demi-siècle. Ce climat n’a pas atteint la perfection, mais la nature hétérogène de notre population tend à le rendre irréversible [18]. »
Dans la nation ethnique (et cosmopolite), en revanche, la stricte endogamie reste la règle sacrée. Benzion Netanyahu, père de l’actuel premier ministre israélien, écrit : « Ce n’est que par le mariage mixte qu’une personne peut se déraciner d’une nation, et seulement en ce qui concerne ses descendants. Son individualité, qui est un extrait et un exemple des qualités de sa nation, sera alors perdue pour les générations futures, dominée par les qualités d’autres nations. Quitter une nation est par conséquent, même d’un point de vue biologique, un suicide [19]. » Ce à quoi Golda Meir, premier ministre d’Israël entre 1969 et 1974, trouvera une formulation plus moderne :
« Épouser un non-juif, c’est rejoindre les six millions [de juifs exterminés] [20]. »