On croyait que la mondialisation conduirait à l’uniformisation du monde sous la bannière du modèle occidental. Mais l’auteur de La Grande Séparation montre que celle-ci réveille au contraire les particularismes identitaires.
Figarovox : Votre livre s’intitule La Grande Séparation. Qu’est-ce que cette grande séparation ? De quoi nous séparons nous ?
Hervé Juvin : La condition politique repose sur la séparation des groupes humains qui assure leur diversité. Jusqu’ici cette séparation entre les hommes provenait de la langue, des mœurs, des lois et des cultures, et se traduisait par le phénomène universel de la frontière : on traçait des séparations matérielles entre « nous » et les « autres ». Il s’agissait d’une séparation géographique, matérielle, et horizontale. La Nation était la traduction politique de cette séparation.
Depuis une trentaine d’années, on assiste à un phénomène nouveau, une forme de transgression qui se traduit par le « tout est possible » ou « le monde est à nous ». Tout cela est en train de faire naitre une nouvelle séparation qui bouleverse radicalement tout ce qui faisait le vivre-ensemble et le faire société. Ce que j’appelle « grande séparation », c’est cet espoir un peu fou, très largement dominant aux États-Unis, notamment à travers le transhumanisme, de s’affranchir totalement de la condition humaine. L’ultra-libéralisme, l’hypertrophie du capitalisme financier, le retour du scientisme sont l’une des faces d’un visage dont le transhumanisme, la transexualité, le transfrontiérisme sont l’autre face. Il faut en finir avec toutes les limites, toutes les déterminations de la nature. Ainsi Google a pour objectif affiché de lutter contre la mort à travers sa filiale Calico. L’idéologie transgenre veut que chaque homme et chaque femme puisse choisir leur sexe. Des entreprises très « humanistes » comme Goldman Sachs remboursent les opérations de changement de sexe de leurs employés !
Cette idéologie des « trans » vise à construire un homme hors-sol, délié de toute origine, et déterminé uniquement par sa propre volonté. C’est le retour du mythe de l’homme nouveau appuyé sur un délire scientiste qui voudrait que chacun soit à lui-même son petit Dieu autocréateur, pur produit de son désir, de ses intérêts ou de sa volonté propre. C’est cela, la grande séparation : la fabrique d’un homme sans origines, sans liens et sans foi, mais qui a chaque instant se choisit lui-même et choisit qui il est.