Des documents déclassifiés du ministère des Affaires étrangères israélien font la lumière sur les liens secrets tissés par un homme d’affaires israélien et agent du Mossad [1] avec la dictature militaire qui a régné sur le Panama pendant 20 ans.
Hugo Spadafora avait été enlevé en plein jour en septembre 1985. Médecin local dans une petite ville de l’est du Panama, le Dr Spadafora était depuis longtemps dans le collimateur du régime militaire pour les critiques virulentes qu’il osait formuler contre le gouvernement. Le chef incontrôlé du régime, le général Manuel Noriega, avait donné l’ordre de faire enlever et torturer à mort le Dr Spadafora ; des morceaux de son corps décapité furent retrouvés dans un sac postal, moisis. Les résultats des tortures qu’il avait subies étaient clairement visibles. Sa tête ne fut jamais retrouvée.
Néanmoins, certains diront que la famille Spadafora avait eu de la chance. Contrairement à la longue liste d’opposants à la junte militaire au Panama qui ont « disparu » à l’époque, ils avaient au moins un corps à enterrer. La torture, les enlèvements, les meurtres et les disparitions faisaient partie intégrante de la réalité quotidienne au Panama depuis le coup d’État militaire d’octobre 1968. Le régime tyrannique du général Noriega conserva le pouvoir jusqu’à ce qu’il tombe en disgrâce auprès de son protecteur américain. Lorsque Noriega refusa de céder le pouvoir, les États-Unis envahirent le Panama et le firent déposer par la force. C’était à la fin de 1989.
La dictature au Panama a effectivement perduré pendant 22 ans grâce au soutien américain, mais les États-Unis n’étaient pas le seul pays à soutenir le régime militaire brutal. Israël avait également des intérêts sécuritaires dans ce pays d’Amérique centrale et maintenait des liens étroits avec le gouvernement, ignorant systématiquement ses violations des droits de l’homme et sa corruption endémique.
Aujourd’hui encore, la plupart des faits concernant les relations entre les États-Unis, Israël et la junte panaméenne restent inconnus. L’armée américaine est en possession d’archives constituées de milliers de caisses de documents classifiés relatifs au général Noriega. Du côté israélien, les documents pertinents du Mossad datant de cette période restent également inaccessibles au public. Ce qui est clair, c’est qu’à l’époque, tant Israël que les États-Unis avaient des intérêts politiques et sécuritaires liés non seulement au Panama et à son célèbre canal, mais à toute l’Amérique centrale et du Sud. Un exemple en est l’affaire Iran-Contra du milieu des années 1980, au cours de laquelle Noriega avait aidé les États-Unis et Israël à armer les forces rebelles qui cherchaient à renverser le gouvernement socialiste du Nicaragua.
Des documents du ministère des Affaires étrangères récemment déclassifiés par les archives d’État israéliennes jettent un peu de lumière sur les liens qu’Israël entretenait avec les dirigeants despotiques du Panama. Les dizaines de dossiers comprennent des câbles de l’ambassade d’Israël à Panama City, informant le ministère à Jérusalem sur ce qui se passait au niveau local. Quels étaient exactement les intérêts d’Israël au Panama ? Les documents ne le disent pas. Ce qu’ils précisent sans équivoque, c’est que les liens militaires et politiques d’Israël avec le Panama avaient été gérés pendant les décennies en question par le Mossad, excluant totalement le ministère des Affaires étrangères.
Ainsi, de nombreux câbles mettent en scène un personnage central : Michael « Mike » Harari, l’agent principal du Mossad qui avait créé l’unité d’assassinat de l’agence d’espionnage et que les journalistes israéliens surnommaient le « James Bond sioniste ». Harari entretenait des relations étroites avec les dirigeants de la junte militaire du Panama lorsque celle-ci était au pouvoir. Peu avant sa mort en 2014, Harari a déclaré au journaliste Ronen Bergman dans une interview que Noriega avait été un collaborateur de haut rang au service de la défense d’Israël.
Harari s’est retiré du Mossad officiellement en 1980, mais il a continué à opérer au Panama bien après : en apparence, c’était un homme d’affaires proche du régime qui servait d’éminence grise à l’homme fort Noriega, mais en parallèle, il continuait à agir au Panama pour le compte du Mossad. Les documents révèlent que l’ambassade à Panama City était furieuse du double rôle qu’il jouait. Parfois, ils ne savaient tout simplement pas ce qui le motivait : agissait-il au nom de l’État d’Israël ou pour servir ses propres intérêts commerciaux ?
Les documents dont la publication a été autorisée au cours des derniers mois décrivent les moyens utilisés par Harari pour aider Noriega à conserver le pouvoir. Il apparaît que l’agent né à Tel-Aviv était un acteur majeur d’un plan politique visant à faire pencher une certaine élection en particulier en faveur de son client panaméen. Dans le cadre de ce complot, Harari avait fait distribuer un livre dont le contenu, fabriqué de toutes pièces, accusait le rival de Noriega, le Dr Arnulfo Arias, d’avoir perpétré un massacre parmi la communauté juive du pays. Harari était perçu comme un personnage si important au Panama que, durant les dernières années du régime militaire, Washington avait exigé qu’Israël l’oblige à quitter le pays. Les Américains étaient convaincus que ce n’est qu’en débarrassant le pays de Harari qu’il serait possible de mettre fin au règne de Noriega, et ils n’ont apparemment pas hésité à menacer Israël pour atteindre cet objectif.
Les câbles nouvellement publiés envoyés par l’ambassade d’Israël à Panama City tout au long des années de la dictature dressent un portrait saisissant du régime. Ils révèlent un cycle continu de violations des droits de l’homme, de corruption, de protestations populaires et de suppression vicieuse de la dissidence. Dans un câble daté du 25 novembre 1969, un an après la prise du pouvoir par le coup d’État militaire dirigé par Omar Torrijos, l’ambassade informe le ministère des Affaires étrangères d’une nouvelle loi récemment promulguée. « Le gouvernement peut arrêter une personne sans décision de justice », écrit l’ambassadeur Yehiel Eilsar, qui ajoute : « Il est interdit aux individus de formuler des critiques négatives à l’encontre du gouvernement, d’un ministre ou d’un fonctionnaire. » Un câble daté du 21 octobre 1970 note que les étudiants politiquement actifs des universités et des lycées sont expulsés ; en outre, une unité secrète de sécurité et d’espionnage a été créée au sein de la Garde nationale du Panama. Quelques semaines plus tard : « Il ne fait aucun doute que le réseau de la Garde nationale se voit déployé pour chaque événement, activité, spectacle ou phénomène civil, parfois ouvertement, parfois clandestinement. »
Israël avait des intérêts de sécurité au Panama et maintenait des liens étroits avec le gouvernement, ignorant systématiquement ses violations des droits de l’homme et sa corruption endémique.
En mai 1971, Eilsar avait commencé à rapporter à Jérusalem l’enlèvement et la disparition d’un prêtre local, Hector Gallego Herrera – un incident qui avait suscité des protestations au sein du public et de l’Église catholique. Eilsar n’avait aucun doute sur l’identité des auteurs de l’événement : le colonel Noriega, alors chef de la police secrète. « Le colonel Noriega est connu pour être ambitieux, rusé et intelligent, et comme quelqu’un qui aime faire les choses de sa propre initiative, par exemple l’enlèvement du père Gallego », écrit l’ambassadeur plus tard cette année-là.
Les activités de Noriega et d’Omar Torrijos à l’époque n’affectaient pas leurs bons rapports avec Israël. Un document biographique sur Noriega rédigé par le ministère des Affaires étrangères indique qu’il avait suivi un cours de renseignement et de défense en Israël, ainsi qu’un entraînement de parachutisme. Selon des câbles envoyés par l’ambassade à Panama City, les deux fonctionnaires se sont également rendus en Israël à diverses occasions. En mai 1970, Torrijos – celui qui a été chef de facto du pays jusqu’en 1981 mais n’a jamais été officiellement nommé président – a effectué une visite officielle, suivi quelques mois plus tard par Noriega. Ce dernier s’est également rendu en Israël en 1984. Yitzhak Rabin, alors chef d’état-major et député travailliste, se rend au Panama et rencontre Noriega en décembre 1983 ; le ministre des Affaires étrangères Yitzhak Shamir l’y rencontre un an plus tard.
Après la mort de Torrijos dans un mystérieux accident d’avion en juillet 1981, une lutte éclate pour la direction de la Garde nationale, dans laquelle Noriega est gagnant. Il cherche à consolider sa position en nommant un président fantoche du nom de Nicolas Ardito Barletta, qui aurait dû rentrer dans le rang lors des élections de 1984.
Cependant, un obstacle majeur à ce plan survient : Arnulfo Arias, le chef de l’opposition, qui avait été président à trois reprises avant le coup d’État militaire. Arias est extrêmement populaire et il est perçu comme la seule personne capable de mettre fin à la junte. Tous les pronostics laissaient penser qu’il remporterait l’élection.
Selon l’ambassade d’Israël au Panama, le général Noriega n’aurait pas accepté une victoire d’Arias. Selon un câble daté du 15 mars 1984, envoyé par l’ambassadeur Yosef Hassin, « Très peu de commentateurs croient en l’existence d’une élection libre et non truquée. Tout le monde croit que le général Noriega fera tout ce qu’il peut pour empêcher l’élection d’un président qui ne lui plaise pas, y compris un coup d’État ou la falsification des résultats de l’élection. »
C’est ce qui s’est passé : l’homme fort a agi pour liquider politiquement son rival au moyen d’une campagne de prévarication et de diffamation – et justement, il s’est fait aider dans cette entreprise par Mike Harari, l’homme du Mossad ostensiblement déclaré à la retraite.
Le sous-secrétaire d’État adjoint américain lui a recommandé de quitter le Panama, ajoutant : « Pour le bien d’Israël, cet individu devrait partir immédiatement. »
Les documents du ministère des Affaires étrangères n’indiquent pas clairement quand Harari est arrivé au Panama. Le premier câble qui le mentionne est daté du 25 juillet 1980. Rédigé par l’ambassadeur de l’époque, Chanan Olami, il note qu’en ce qui concerne l’activité pro-palestinienne au Panama, « Mike Harari du Mossad peut nous être utile en raison de ses liens avec Torrijos ».
Harari est mentionné une seconde fois dans une correspondance d’Olami à Jérusalem, en août 1983, dans laquelle il rend compte de la cérémonie au cours de laquelle Noriega est devenu chef de la Garde nationale : « Le CV du général Noriega, qui a été lu lors de la cérémonie et distribué au public, mentionne qu’il a suivi des cours en Israël, et que parmi ses invités privés parmi les étrangers, l’un de ceux qui ont été présentés à l’assistance était le général Mike Harari d’Israël. »
Le plan concocté par Harari et Noriega pour vaincre Arias est décrit de manière lucide dans les câbles envoyés par l’ambassadeur Hassin. L’élément central est la composition et la distribution d’un livre intitulé Holocauste au Panama, qui invente un chapitre au sujet du passé du candidat présidentiel Arnulfo Arias. Selon ce livre, le leader de l’opposition aurait ordonné le meurtre de juifs d’origine allemande qui avaient immigré au Panama lors de son premier mandat présidentiel, en 1941.
La rédaction et la distribution du livre avaient été financées par la Garde nationale et, selon l’ambassadeur d’Israël, « les droits de distribution du livre avaient été acquis par Mike Harari ». Les exemplaires du livre furent stockés dans le bâtiment de la légation d’Israël à Panama, sans l’autorisation de l’ambassadeur, tandis que Harari attendait un « feu vert de l’armée pour commencer à les distribuer au public ».
Bien que les allégations du livre soient fausses, elles s’appuient sur une période sombre du passé d’Arias. Dans les années 1930, il avait été ambassadeur du Panama dans l’Italie de Mussolini. Il était fasciné par le fascisme et sympathisait avec le régime nazi. Il est apparu plus tard que le ministère des Affaires étrangères de Jérusalem était indulgent sur cette question. « Pour autant que nous le sachions, Arias avait effectivement été envoyé en Europe pendant la période du nazisme, et comme beaucoup d’autres gens du même ordre (comme l’Argentin Juan Perón), il éprouvait de la sympathie pour le régime », écrivait Herzl Inbar, directeur du bureau de l’Amérique latine au ministère des Affaires étrangères, en mars 1983. « Cependant, nous n’avons pas connaissance de déclarations ou d’actes antisémites ou anti-israéliens durant son activité politique au Panama. »
La communauté juive du Panama avait la même impression. À la suite d’une réunion qu’Arias tient pendant sa campagne présidentielle avec des représentants de la communauté, ces derniers sont repartis avec le sentiment qu’il s’agissait « d’un événement du passé lointain où le nationalisme extrême était à la mode. Mais aujourd’hui, il n’éprouve aucun sentiment anti-juif, il désire être proche d’eux, et leur souhaite bonne chance », écrit Hassin le 14 mars 1984.
Un mois plus tard, l’ambassadeur rapporte dans un câble que la large distribution du livre avait pour but non seulement de dissuader la petite communauté juive de 5 000 âmes et d’autres de soutenir Arias, mais aussi de lancer « une campagne de peur face à sa politique raciste ». Selon celle-ci, il allait expulser « tous les Chinois, les nègres, les juifs et les Indiens du Panama ».
L’intrigue fut couronnée de succès : Holocauste au Panama fait des gros titres sensationnels et c’est un livre largement couvert par tous les médias locaux. Dans un câble adressé à Jérusalem le 5 avril 1984, Hassin note : « La presse est remplie de gros titres et de descriptions détaillées de l’effusion de sang juif et du meurtre d’enfants juifs perpétrés sous la responsabilité d’Arnulfo Arias. »
Cette histoire infondée, ajoutait-il, causait beaucoup de désarroi dans la communauté juive : « Il y a de la colère et de l’embarras parmi les juifs parce qu’ils sont utilisés dans une affaire qui, selon eux, est fabriquée de toutes pièces, tant dans la forme que dans le contenu. Une pétition comportant 50 signatures de juifs de la communauté déclare qu’il n’y a jamais eu d’antisémitisme, de discrimination ou de meurtre de juifs au Panama, et qu’ils ne disposent d’aucune information ou de preuve allant dans ce sens. »
Hassin avait non seulement accepté les vigoureuses dénégations d’Arias concernant toute implication personnelle dans le prétendu meurtre, mais il était également convaincu qu’une telle atrocité n’avait jamais eu lieu.
« Il est vrai qu’il y avait une communauté germano-suisse dans la région de Chiriqui [à l’ouest du Panama], dont on ne sait pas si elle était entièrement, partiellement ou pas du tout composée de juifs », écrit l’ambassadeur le 26 avril. « On ne sait pas ce qu’ils sont devenus au fil du temps – s’ils sont retournés en Europe, sont morts de maladie, ont été assassinés ou dispersés dans d’autres villes du Panama. »
L’élection a lieu le 6 mai. Le 22 mai, Hassin rapporte qu’il avait entendu des questions du type : « Si toutes les accusations contre Arias sont documentées dans le livre, pourquoi le gouvernement du Panama ne le juge-t-il pas pour meurtre, et pourquoi le gouvernement d’Israël ne fait-il pas pression pour qu’il soit puni ? »
L’ambassadeur s’était montré très troublé par les implications possibles de cette affaire sur les relations israélo-panaméennes. « Pourquoi était-il nécessaire, en premier lieu, de permettre à un homme d’affaires privé, qui possède également un statut reconnu dans l’État, d’impliquer l’ambassade dans un sujet dont le seul but était d’interférer dans une élection nationale ? » écrivait-il dans un câble. « Cet épisode est susceptible de placer l’ambassade et Israël dans une position inconfortable et de nous causer des complications », ajoute-t-il dans un autre câble. « Arias pourrait gagner les élections, et lorsqu’il apprendra qu’un homme d’affaires israélien a prêté main forte dans la bataille contre son élection à la présidence, nous ne nous en sortirons pas glorieusement. » Il ajoute, dans un autre câble, « Il sera très difficile de rectifier les dommages qui ont été causés. »
Par la suite, l’envoyé israélien apprenait que ce n’était pas la seule implication de Harari dans l’élection. Dans le cadre de la campagne, il avait également promis à Noriega qu’une forêt serait plantée en Israël en mémoire du général Torrijos. Hassin était indigné. « Je ne connais aucun autre pays qui ait commémoré [l’assassinat] de Torrijos », écrit-il. « Il est clair que les dons qui ont été collectés pour la "forêt Torrijos" avec l’intercession de M. Harari ne sont pas le résultat d’une amitié spontanée pour Israël, mais donnent suite à un ordre explicite de Noriega. » (On ne sait toujours pas si la forêt a jamais été plantée).
Il était évident pour Hassin que l’un des principaux bénéficiaires de ces efforts d’ingérence n’était autre que Harari lui-même, « l’homme d’affaires doté d’un statut officiel », comme il l’avait dit. « Entre-temps, seul Israël, un pays étranger, a pris position dans la campagne électorale », écrit-il dans un câble d’avril 1984, ajoutant avec ironie : « Contrairement aux dommages que la "forêt Torrijos" et le livre Holocauste au Panama vont nous causer, nous allons au moins assurer la poursuite d’excellentes relations personnelles entre un général panaméen et un "général" israélien. »
Malgré les critiques émises par l’ambassadeur, il ressort de ses propos qu’il pense que l’intervention dans l’élection n’était pas une initiative privée de Harari mais une démarche délibérée d’Israël. « L’histoire de la forêt était superflue à mon avis », a-t-il noté. « J’espère seulement que vous êtes guidé par des considérations gouvernementales que je ne connais pas, et que je n’ai pas besoin de connaître, et que les fruits de la forêt Torrijos ont déjà été cueillis ou porteront bientôt leurs fruits. Si tel est le cas, je retire ma critique et je demande pardon à tous ceux qui opèrent avec succès en secret. »
Mais les stratagèmes ne marchent pas : Arias remporte les élections de mai 1984 avec une faible majorité. Néanmoins, le candidat de Noriega est déclaré vainqueur. Pour Israël, les États-Unis et la communauté internationale, il est clair que les résultats ont été truqués.
Dans un rapport daté du 11 septembre 1984, résumant son séjour au Panama, l’envoyé Hassin décrit la dernière étape de la prise de contrôle du pays par Noriega. « Le centre du pouvoir dans le pays est l’armée, et au sein de l’armée, la personne qui commande aujourd’hui c’est le général Noriega », écrit-il. « Il existe des institutions et des organisations, des syndicats et des bureaux, une Assemblée nationale et un conseil législatif, mais leur importance est négligeable. »
Hassin aborde également les activités problématiques de Harari : « Un responsable de la sécurité israélienne entretient des liens étroits et rapprochés avec le chef de l’armée, en matière de sécurité et aussi dans le cadre d’affaires privées », a-t-il été rapporté. « Ce personnage israélien a le monopole exclusif des liens commerciaux avec le gouvernement panaméen, et l’ambassade ne reçoit aucune information sur ses affaires. Cette personne sert également de liaison directe avec Israël pour les questions politico-diplomatiques, dans le cadre de ses liens officiels et privés avec des Panaméens. »
Le meurtre brutal du Dr Hugo Spadafora avait provoqué une onde de choc au Panama et déclenché de vastes protestations contre les autorités au pouvoir. L’opposition se renforce et les appels à la destitution de Noriega se multiplient. Parallèlement, la répression et la torture s’intensifient, la censure de la presse s’accentue et les manifestations sont interdites.
L’ambassadeur israélien suivant au Panama, Shaul Kariv, note dans son rapport résumant son mandat (1984-88), que les relations d’Israël avec le Panama n’étaient « pas très heureuses, et même problématiques, si l’on tient compte du fait que ces relations sont menées avec un régime corrompu qui est détesté par une grande partie du peuple panaméen, ou plus précisément, avec un dictateur militaire dont la destitution est exigée par une grande partie de la nation ».
À cette époque, les tensions entre les États-Unis et le Panama ont également augmenté : l’administration de Ronald Reagan prend des mesures pour évincer Noriega. Le département d’État commence à accuser le dictateur de se livrer à des pratiques de corruption, de violer les droits de l’homme, de se livrer au trafic de drogue et de transférer des technologies américaines aux Cubains. Le Sénat américain adopte une résolution demandant à Noriega de se retirer et, en juillet 1987, l’administration annonce qu’elle suspend l’aide militaire au Panama.
Mais Noriega s’accroche au pouvoir et refuse de démissionner. Là encore, Harari a joué un rôle important. Le 7 août 1987, un document provenant du Panama est transmis à l’ambassade d’Israël à Washington. Le document décrit un plan de travail interne visant à maintenir Noriega au pouvoir. Ce plan prévoit, entre autres, la répression des rassemblements et des manifestations par le déploiement de l’armée, la diffusion de rumeurs sur l’intention d’arrêter, voire d’assassiner, les leaders de l’opposition et les hommes d’affaires au Panama et à l’étranger, l’intensification de l’activité des milices pour générer un sentiment de terreur, le contournement des sanctions économiques de l’administration Reagan par un lobbying direct auprès des politiciens américains et le renforcement de la surveillance des médias ainsi que des journalistes panaméens.
Les Américains, pour leur part, étaient convaincus que le document « n’était pas l’idée de Noriega mais celle de Mike ». Ils sont persuadés qu’Harari s’efforce de préserver le pouvoir de Noriega à n’importe quel prix, et ils sont déterminés à faire quitter le pays à l’Israélien.
Le 6 juillet 1987, le secrétaire d’État adjoint américain Elliot Abrams a rencontré Oded Eran, un représentant israélien à Washington. La conclusion du ministère des Affaires étrangères qui s’ensuit est sans équivoque : « Les Américains veulent mettre fin au lien entre Noriega et Mike. » Selon le résumé de la réunion transmis par Yitzhak Shefi, qui a travaillé au bureau d’Amérique latine du ministère des Affaires étrangères, Abrams a recommandé à Harari de quitter le Panama, ajoutant : « Pour le bien d’Israël, cet homme doit partir immédiatement. »
Shefi a retenu de cette réunion que « les Américains sont convaincus que la contribution d’Harari à l’ascension de Noriega a été cruciale et que "l’ouverture du dossier" accélérera la chute du général et abrégera considérablement les affres de l’agonie du régime actuel. » Le 29 juillet, Shefi lui-même s’entretient avec Harari et constate qu’il n’est nullement impressionné par les avertissements des Américains. « Mike lui-même se sent de plain-pied avec le gouvernement et avec Noriega », écrit le fonctionnaire. « Il n’a pas l’intention d’abandonner son ami précisément dans cette période critique. »
En mars 1988, le secrétaire d’État adjoint Bill Walker rencontre le général Noriega. La réunion a lieu au domicile de Harari, et un câble daté du 22 mars raconte ce qui s’est passé. Walker a suggéré à Noriega de s’installer en Espagne et lui a promis que les États-Unis ne demanderaient pas son extradition et que sa famille ne serait pas inquiétée. Le câble indique que Noriega a rejeté cette idée « avec un baratin qui a duré environ quatre heures et qui peut se résumer à : allez au diable ! »
Un câble envoyé à Jérusalem par l’ambassade d’Israël à Washington le 14 septembre 1988 indique : « Un Panaméen qui a des liens étroits avec l’opposition au Panama et qui travaille en son nom à Washington, a attiré mon attention sur ce qu’il considère comme un grave préjudice causé à Israël par l’activité de Harari au Panama. Il soutient que l’opposition attribue les actions de Harari à Israël et que les relations [d’Israël] avec le Panama seront sérieusement affectées dès qu’il y aura un changement de gouvernement. »
En mai 1989, une autre élection présidentielle a lieu au Panama. Le candidat de l’opposition a gagné ; mais Noriega a déclaré l’élection nulle et non avenue. Le 20 décembre 1989, les États-Unis envahissent le Panama. Noriega est arrêté puis condamné pour trafic de drogue, blanchiment d’argent et d’autres délits. Il passera le reste de sa vie dans des prisons aux États-Unis, en France et au Panama, jusqu’à sa mort en mai 2017.
Harari, qui a fui le Panama pour Israël juste avant l’invasion américaine, est mort en 2014 à l’âge de 87 ans. Les personnes qui ont prononcé son éloge funèbre ont rappelé ses actes héroïques dans diverses opérations de sécurité à travers le monde – parmi lesquels des actes de vengeance contre les Palestiniens après le massacre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, et le sauvetage des otages lors de l’opération d’Entebbe en 1976. Les documents déclassifiés du ministère des Affaires étrangères ne donnent toutefois pas de détails sur les services qu’Harari fournissait au général Noriega, si ce n’est en ce qui concerne l’élection de 1984. Mais la demande très inhabituelle des États-Unis de faire expulser un agent du Mossad d’un pays étranger indique que ces services étaient d’une grande importance. La nature complète de l’activité de Harari au Panama n’apparaîtra que lorsque le Mossad et les censeurs militaires israéliens autoriseront la publication de plus de détails. Et personne ne se fait d’illusion : cela ne se produira pas de sitôt.