Les Calédoniens sont inquiets pour leur avenir. Le récent coup d’éclat du Préfet local, qui a démissionné avec perte et fracas lors de la visite de la Ministre des Outre-mer en annonçant ne pas vouloir cautionner « le largage de la Nouvelle-Calédonie » par l’État français, a ravivé les appréhensions quant à l’avenir institutionnel de l’île.
Rappel : où en est la Nouvelle-Calédonie ?
La Nouvelle-Calédonie est depuis près d’une trentaine d’années, après les troubles qui ont secoué l’île dans les années 80 avec la naissance des premières revendications indépendantistes Kanak, entrée dans un processus dit de « décolonisation », au travers d’accords politiques structurant le fonctionnement institutionnel de l’île ainsi que ses perspectives de développement. Les Accords de Matignon (1988-1998) puis l’Accord de Nouméa [1] (1998-2018) ont été imaginés dans le but d’unir les forces indépendantistes et « loyalistes » (pro-France) dans le développement du Pays, en respectant les particularismes locaux et dans une démarche de construction d’un destin commun entre toutes les ethnies du territoire ; la question institutionnelle est alors repoussée à la fin de la période de l’accord. Le principe est simple : on travaille ensemble d’abord et on décide après. L’État est un partenaire à part entière qui garde un rôle d’arbitre, respectant théoriquement une certaine neutralité.
La formule a plutôt bien fonctionné, les communautés se sont rapprochées et la Nouvelle-Calédonie a pu ainsi assurer son développement dans la paix tout en opérant un rééquilibrage politique et économique envers les populations les plus défavorisées (majoritairement indépendantistes). Parallèlement, la Nouvelle-Calédonie acquiert de l’autonomie politique avec le transfert de compétences de l’État vers le Territoire. A la fin de la période de l’Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura acquis la totalité des compétences politiques de gestion hormis les compétences régaliennes. Une sorte de décentralisation aboutie, qui permet au Territoire d’adapter sa politique en fonction des réalités culturelles et humaines de cet archipel du bout du monde.
Indépendance ou pas indépendance ?
L’Accord de Nouméa prévoit à son terme un référendum d’autodétermination sur l’indépendance de l’île. Apparemment la tendance pro-France l’emporterait largement. Il faudrait alors décider, par une médiation politique, du statut et du modèle institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, soit un nouvel accord politique qui remplacera l’Accord de Nouméa, définitivement ou pour une période donnée. Mais une autre voie, déjà empruntée en 1998, existe : adopter ce nouvel accord avant la fin de l’actuel en évitant le référendum. Il faudrait pour cela modifier la Constitution française puisque l’Accord de Nouméa est constitutionnalisé depuis le 6 juillet 1998 [2]. Quel intérêt pour l’État ? Les termes d’un nouvel accord politique ne seront certainement pas les mêmes s’ils sont négociés après que les Calédoniens aient par référendum clairement réaffirmé leur volonté de rester Français…
Si une majorité de Calédoniens préfèrent éviter le référendum, qui ferait inexorablement un vainqueur et un vaincu (on préfère là-bas le « consensus » à l’Océanienne), beaucoup sont inquiets sur les termes éventuels d’un nouvel accord politique, qui auront des conséquences décisives sur leur niveau de vie, sur la paix sociale et sur leur avenir tout simplement. Mais l’inquiétude immédiate qui agite la société calédonienne est surtout celle de ne pas avoir voix au chapitre, depuis que l’État socialiste, sous le patronage d’Alain Christnacht, a repris en main le « dossier » calédonien, dont le « bouclage » ne se fera pas forcément au bénéfice de la population. Le récent coup d’éclat du Préfet Jean-Jacques Brot a braqué tous les regards sur le programme socialiste pour la Nouvelle-Calédonie.
Un haut fonctionnaire défie l’État
Le 14 octobre 2014, l’Assemblée nationale annonce la création d’une « mission de réflexion sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie » [3], menée par un fin connaisseur de l’île, le socialiste Alain Christnacht. La « mission Christnacht » a pour but de « préparer l’avenir », en réalité pré-négocier une solution institutionnelle qui succéderait à l’Accord de Nouméa, de préférence en évitant le référendum.
Jean-Jacques Brot, personnalité caractérielle du corps préfectoral français et connue pour son franc-parler, avait déjà ouvertement critiqué la politique du gouvernement socialiste en Nouvelle-Calédonie, qu’il accuse de vouloir préparer une solution au rabais pour le futur de l’île et trop favorable aux indépendantistes. Sentant son remplacement imminent (comme nombre de préfets depuis l’élection de Hollande) il profite alors de la venue en juillet de la Ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin, pour frapper un grand coup. Il annonce sa démission subitement, et clame son refus de cautionner « le largage de la Nouvelle-Calédonie par l’État socialiste » [4]. La visite de la Ministre a d’ailleurs été pour le moins tendue, Jean-Jacques Brot a ouvertement et à plusieurs reprises montré son hostilité. La polémique enfle alors et la défiance est de mise, surtout dans le camp des pro-France, contre cette mission Christnacht et le programme socialiste dont elle fait figure d’emballage. Finalement, en juillet dernier, Jean-Jacques Brot est démis de ses fonctions de haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (équivalent du Préfet) et remplacé par un proche d’Alain Christnacht. Le haut-fonctionnaire n’en démord pas et déclare alors qu’il reviendra en Nouvelle-Calédonie dès que possible afin de proposer son aide à « tous ceux qui veulent rester dans la France ».
Le plan socialiste pour la Nouvelle-Calédonie
Le gouvernement socialiste semble en tout cas avoir son idée bien précise sur le futur de la Nouvelle-Calédonie. S’ils sont plutôt proches, par idéologie, des indépendantistes majoritairement Kanak (contre les méchants Blancs racistes !) - tout comme la droite est plutôt proche des partis loyalistes – ils restent surtout attachés à mettre en œuvre les économies qu’impose la rigueur européenne, autant de coups de rabot auxquels la petite Nouvelle-Calédonie à l’autre bout du monde n’échappera pas, malgré la peccadille que constituent les apports de l’État par rapport au budget national [5]. Rappelons que la stabilité économique (qui conditionne la stabilité politique) de l’île repose en grande partie sur ces transferts financiers de l’État. Quand bien même, l’État socialiste semble bien décidé à jouer sur les revendications indépendantistes (dont les appétits et luttes de pouvoir sont les mêmes que partout ailleurs) afin de justifier, en accédant à certaines de leurs requêtes « légitimes » à défaut d’être majoritaires, le désengagement de l’État (et bien entendu la diminution de ses subsides) en Nouvelle-Calédonie.
Pour cela, l’État a choisi ses missionnaires dans le cadre de la mission Christnacht. Dans le camp indépendantiste, c’est Paul Néaoutyine, d’obédience marxiste/communiste, qui est désigné comme l’interlocuteur privilégié. Président de la Province Nord de la Nouvelle-Calédonie, son parti n’est pourtant pas majoritaire dans la mouvance indépendantiste, ce qui n’a pas manqué de susciter la colère du courant majoritaire, l’Union Calédonienne, plutôt d’obédience nationaliste et coutumière. Ils soupçonnent entre autre Paul Néaoutyine de vouloir s’assurer un maximum de pouvoir et d’avantages pour « sa » province, notamment en matière de nickel, la principale ressource de la Nouvelle-Calédonie. Dans le camp loyaliste, c’est Philippe Gomès, député UDI de Nouvelle-Calédonie et dont le parti est arrivé en tête des dernières élections locales, qui a été désigné pour défendre le programme socialiste. Colère des autres partis loyalistes, l’UMP locale en tête. Ce Philippe Gomès, non-originaire de l’île et politicien s’il en est, a récemment été épargné par la Justice à deux reprises, notamment dans une affaire d’emplois fictifs octroyés juste avant les élections par une collectivité locale, la Province sud, dont il assurait à l’époque la présidence (2009). Pas de procès pour Gomès malgré une plainte étayée d’un épais dossier déposée par son successeur à la tête de cette même collectivité [6] [7]. le Parquet général de la cour d’appel a réouvert une information judiciaire en 2012, pour finalement prononcer à son tour un non-lieu en août dernier [8]. Entre surprise, indignation ou amusement, beaucoup d’observateurs en Nouvelle-Calédonie y ont vu plus que de la simple chance, et peu sont aujourd’hui étonnés de voir le député UDI en si bon terme avec l’État socialiste et défendre si consciencieusement le bien fondé de la mission Christnacht [9], sans trop s’épancher sur son contenu par ailleurs. Précisons également que l’homme est connu pour son ambition démesurée, et beaucoup de ses détracteurs disent en privé qu’une indépendance de la Nouvelle-Calédonie ne le dérangerait pas pourvu qu’il en soit le premier Président de la République.
Les socialistes ont donc choisi la solution de loin la plus dangereuse pour le Territoire, qui ne conviendra ni aux uns ni aux autres. En sélectionnant soigneusement ses interlocuteurs-liquidateurs – à qui il faudra bien donner gages et compensations (politiques bien sûr !) – afin d’imposer une solution au rabais pour la Nouvelle-Calédonie, ils préparent le parfait cocktail détonnant pour mettre en danger la paix civile sur l’île, puisqu’une dégradation économique exacerbera de facto les tensions politiques, entre et à l’intérieur de chaque camp. Beaucoup d’indépendantistes, malgré leur revendication identitaire de peuple premier colonisé, ne sont pas prêts à payer à n’importe quel prix leur « rêve » d’indépendance (ou d’une « forme d’indépendance »). Ils ont plutôt tendance à considérer ce processus progressif et constructif de décolonisation comme une sorte de dette coloniale que la France aurait — honorablement — décidé d’assumer. L’indépendance n’adviendrait que lorsque le « Pays » sera prêt et si une majorité de Calédoniens la plébiscite. Chez les loyalistes, beaucoup s’accrochent encore à la douce illusion de l’intérêt national géostratégique qui pousserait l’État à garder la Nouvelle-Calédonie au sein de l’ensemble français. Hélas, en cette période de démantèlement des nations au profit de grands ensembles intégrés — et au(x) grand(s) bénéfice(s) des intérêts privés — il y a bien longtemps que la notion d’ « intérêt national » est reléguée au stade de vieillerie du passé. Les cas d’Alstom, Airbus ou Eramet, ou encore les réalités de la construction européenne en sont autant de dramatiques exemples.
Hollande bientôt en visite en Nouvelle-Calédonie
Les Calédoniens ont donc quelques raisons d’être inquiets. De leur lointain « caillou », ils craignent à juste titre d’être les dindons de la farce des politiques d’austérité imposées par l’agenda mondialiste et son bras armé, l’Union européenne. L’État socialiste parait en tout cas bien décidé, avec l’appui local de ses nouveaux missionnaires — intéressés ou obligés — à mettre en œuvre son Grand plan (social) de liquidation de cette terre encore française du Pacifique. Nul doute que les Calédoniens attendent avec impatience la venue de François Hollande le 16 novembre prochain. S’ils ont des questions à lui poser, ils n’auront que peu de temps, le Président ne reste qu’à peine plus d’une journée sur l’île. Détail intéressant par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie n’est qu’une simple escale dans la visite officielle du Président… en Australie.