Le peuple français : ennemi désigné
Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R
Sommaire
- Désignation de l’ennemi intérieur et guerre civile
- Une guerre civile pour le contrôle de l’État
- La guerre mondiale pour conjurer la guerre civile ?
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Didier Lallement, qui a été préfet de Paris de mars 2019 à juillet 2022, a déclaré dans un entretien récent accordé à L’Opinion [1] que le mouvement des Gilets jaunes a été l’entrée d’une partie de la classe moyenne « dans la violence politique et la révolte ». Et il a ajouté qu’un jour les forces de l’ordre risquent de devoir ouvrir le feu sur les manifestants, car, selon lui, « la violence a toujours été, d’abord, celle des Gilets jaunes. Pendant tout le mouvement » [2].
Didier Lallement, qui avait d’ailleurs lancé à une française se réclamant des Gilets jaune « nous ne sommes pas dans le même camp » [3], bénéficie de la bienveillance des grands médias qui font la promotion de son livre, L’Ordre nécessaire. « L’ordre nécessaire » fait référence à un texte tiré des Écrits militaires de Léon Trotsky, le fondateur sanguinaire de l’Armée rouge. Lorsqu’il était préfet, Lallement a cité dans sa carte de vœux pour l’année 2021 ce texte de Trotsky :
« Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. Sachez seulement et souvenez-vous bien que, sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables. » (Léon Trotsky, 21 avril 1918) [4]
Ces déclarations ne sont pas le fait d’un individu isolé mais d’un représentant du pouvoir politique, et elles son révélatrices non pas seulement de la sociopathie des dirigeants actuels, mais d’une guerre civile déclenchée et assumée par la macronie et l’hyperclasse occidentale.
Désignation de l’ennemi intérieur et guerre civile
L’ordre et l’autorité qu’évoque souvent Lallement sont censés être incarnés par un président juvénile, nombriliste et survolté ne respectant même pas les règles élémentaires de la diplomatie ou un préfet dont le costume et la casquette sont visiblement trop grands.
Pour faire respecter l’ordre et l’autorité, il faut les incarner, et, surtout, être légitime en tant que représentant de l’État. Et la violence légitime est normalement exercée par l’État pour maintenir ou restaurer/instaurer la paix dans la société [5]. Selon Thomas Hobbes, cette violence étatique à pour rôle de protéger le peuple. C’est la raison pour laquelle l’État détient le monopole de cette violence légitime. Dès lors qu’un pouvoir politique, à la solde de l’oligarchie, utilise cette violence contre le peuple, il perd sa légitimité, et c’est le début de la guerre civile.
La montée de la violence politique est la conséquence de l’instrumentalisation de l’État par des banquiers qui utilisent la police comme une milice privée contre un peuple que ces mêmes banquiers ont appauvri. La conséquence inéluctable est la délégitimation du pouvoir politique et la fin de l’État de droit auquel les gens sont attachés.
Il faut donc distinguer le pouvoir politique, qui contrôle en ce moment l’État, et l’État lui-même.
Ceux qui ont pris le contrôle de l’État et désignent comme ennemi une partie du peuple français, son cœur sociologique : la classe moyenne, ont déclenché une guerre civile froide dont a ouvertement parlé le sénateur français Alain Houpert :
« Le gouvernement a choisi le séparatisme, la discrimination, en particulier sur le pass sanitaire. Diviser les Français. On risque de rentrer dans une guerre civile froide. » [6]
Ainsi que l’explique Carl Schmitt, qui est l’un des plus grands théoriciens de la souveraineté du XXe siècle, « tous les États connaissent sous une forme quelconque, plus ou moins sévère ou clémente, ce que le droit public dans les démocraties grecques connaissait comme désignation officielle du πολεμιος (NDA : qui signifie « hostile »), le droit public romain comme celle de l’hostis ; ouvertes ou cachées dans des périphrases d’allure plus générale, entrant en vigueur ipso facto ou selon des procédures judiciaires sur la base de lois d’exception, ce sont toutes les formes intra-étatiques de désignation officielle de l’ennemi public : bannissement, ostracisme, proscription, mise hors la loi. Cette désignation est, selon le comportement de celui qui a été déclaré ennemi de l’État, le signal de la guerre civile, c’est-à-dire de la désintégration de l’État en tant qu’unité politique organisée, pacifiée à l’intérieur, territorialement une et impénétrable à l’étranger. C’est la guerre civile qui décidera alors du sort ultérieur de cet État. Cela n’est pas moins vrai, mais bien au contraire encore plus évident pour un État de droit de caractère bourgeois et cela, malgré toutes les conventions qui lient cet État aux lois constitutionnelles. Car, ainsi que dit Lorenz von Stein, dans l’État constitutionnel, la constitution est "l’expression de l’ordre social, l’existence même de la société civile étatique. Sitôt qu’elle est attaquée, le combat se décide nécessairement en dehors de la constitution et du droit, donc par la force des armes". » [7]
Lallement et Macron, qui désignent des millions de Français comme ennemis – souvenons-nous de ses propos sur les non-vaccinés exclus de la société – ont le mérite d’être clairs et de nous amener dans le champ du politique, celui de la distinction entre ami et ennemi.
Le danger de la politique macronienne est de conduire à une guerre civile conduisant à l’explosion de l’État. Mais peut-être que les tenants du pouvoir désignant des ennemis intérieurs et extérieurs tous azimuts ne se considèrent pas comme faisant partie du peuple français. Auquel cas, il s’agirait d’une guerre entre deux groupes distincts ne faisant plus société, l’oligarchie et le peuple. C’est ce qui ressort d’ailleurs des travaux du géographe et sociologue Christophe Guilluy qui parle de sécession des élites. Nous serions alors sur une frontière floue entre lutte de classes et guerre privée de type médiéval. Car ce qui reste de l’État, dépouillé de ses prérogatives régaliennes par l’UE, c’est la police, le ministère de l’Intérieur, la capacité de répression, non pas des délinquants, mais de la classe moyenne élargie, ennemie principale du pouvoir politique.
Une guerre civile pour le contrôle de l’État
L’un des enjeux de cette guerre civile est le contrôle de l’État affaibli. L’État est une construction empirique. Ses bases sont le sol et l’homme. L’État est une unité, une sorte d’être avec un cerveau auquel sont reliés les organes. « Ce qui rend une telle association d’individus, que nous appelons État, apte à réaliser les performances extraordinaires et uniques que nous lui connaissons, c’est qu’elle est un organisme doué d’esprit et de sens moral. Le lien spirituel supplée le manque de cohésion matérielle… Toutes les manifestations de l’État attestent ainsi l’action du lien moral sur le fondement corporel. Dès lors, la dimension organique de l’État est non moins réelle que son aspect de communauté spirituelle. » [8]
L’État, s’il veut survivre, doit maintenir l’unité de son corps et de son « âme ». Ce qui implique une sorte de « communion » entre l’élite dirigeante et le peuple. Or, cette élite dirigeante occidentale en générale, et française en particulier, a fait sécession, puis est entrée en guerre avec une partie de l’État qui est le peuple. Le résultat final possible est l’effondrement de l’État. Du moins son instabilité, des convulsions qui dureront le temps de la reprise en main de l’État par un nouveau pouvoir politique.
C’est ce qui ressort des propos tenus par l’émule de Trotsky, Didier Lallement. Selon lui, il y a deux camps qui s’affrontent au sein de la société française. Une guerre civile opposant le pouvoir macronien (et ses donneurs d’ordre) et le peuple français. En d’autres termes, une guerre ouverte est menée par le pouvoir politique contre le peuple. Mais le peuple français n’est pas en guerre contre l’État. Le mouvement de révolte des Gilets jaunes, comme celui des Bonnets rouges, ou les manifestations contre le pass sanitaire et le pass vaccinal, ne sont pas portés par une idéologie anarchiste ou sécessionniste remettant en cause la légitimité de l’État. Ils remettent en cause la légitimité du pouvoir politique qui contrôle l’État et qui, lui, a fait sécession. Diriger l’État et faire sécession revient à séparer la tête de son corps, de la société.
Au fond, c’est une lutte entre le pouvoir macronien et le peuple français pour le contrôle de l’État.
Nous ne disons pas que le président de la République est la couverture de Rothschild et qu’il est une fabrication de Jacques Attali, ami de David de Rothschild. C’est le président de la République et Jacques Attali qui l’affirment.
Emmanuel Macron : « David (de Rothschild) est au courant de mon engagement, je suis son hedge, sa couverture. Quand la gauche sera au pouvoir, je serai sa protection. » [9]
Jacques Attali : « Emmanuel Macron ? C’est moi qui l’ai repéré. C’est même moi qui l’ai inventé. Totalement. À partir du moment où je l’ai mis rapporteur, où il y avait Tout-Paris et le monde entier et où je ne l’ai pas éteint, il s’est fait connaître. C’est la réalité objective. » [10]
Prenons au sérieux les dires d’Attali et de Macron, et admettons que la réalité objective est que le président de la République a été « inventé » par Attali et qu’il est la « couverture » de Rothschild. La conclusion est que Macron mène une guerre contre le peuple français pour le compte de l’oligarchie financière.
La banque pilote l’État en poursuivant des intérêts privés, et le peuple défend des intérêts publics. Lorsque des millions de personnes se réunissent contre une oligarchie pour leur survie, il s’agit de facto d’une défense des intérêts de la nation, du collectif. L’objectif implicite du peuple est la reprise de contrôle de l’État, afin de rediriger sa tête vers l’intérêt collectif. L’État ne peut perdurer que dans la poursuite de buts qui sont exclusivement collectifs.
Lorsque Macron ordonne à la police d’éborgner des Français, quand les médias lynchent l’économiste Gaël Giraud qui a osé dire que Macron n’était rien d’autre que l’enfant soldat de Rothschild, ce n’est pas dans l’intérêt du collectif, c’est dans celui de l’oligarchie financière au pouvoir.
Dès lors, on comprend pourquoi nous vivons depuis 2015 sous un état d’exception, un état d’urgence, d’abord terroriste, puis sanitaire, qui n’a pris fin que le 31 juillet 2022. Mais… « Afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires et proportionnées qu’une reprise de l’épidémie pourrait exiger, la loi maintient néanmoins un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la Covid-19. Ainsi, les systèmes d’information SI-DEP (centralisation des résultats des tests) et Contact Covid (identification des personnes malades et des cas contacts) sont prolongés jusqu’au 30 juin 2023 afin de surveiller l’épidémie. » [11]
Toute autre crise, géopolitique, énergétique ou « écologique » pourra justifier un nouvel état d’urgence.
La guerre mondiale pour conjurer la guerre civile ?
Ce que l’on observe à l’échelle occidentale, c’est une guerre civile internationale et à mort de l’hyperclasse contre ses propres peuples. C’est une guerre civile qui s’inscrit dans un grand mouvement de guerre totale, que Schmitt appelle « la guerre civile mondiale », avec une dimension supplémentaire. La guerre civile mondiale est inter-étatique, mais la guerre actuelle, de l’oligarchie occidentale contre les peuples qu’elle gouverne, est une guerre intra-étatique. C’est une guerre civile dans une autre.
Mais il y a contradiction dans la situation actuelle, où Macron désigne au peuple français – qu’il combat depuis plusieurs années – un ennemi extérieur, à savoir la Russie. Emmanuel Todd a récemment souligné la dangerosité, pour le pouvoir, de mener à la fois une guerre contre les Français et contre la Russie [12].
Cette guerre extérieure contre la Russie a aussi pour objectif de conjurer la révolte qui menace l’oligarchie. Les sociétés occidentales sont prises dans une contradiction du libéralisme politique. Si les dirigeants occidentaux veulent faire accepter à leur peuple la Russie comme ennemi, alors ils doivent maintenir la cohésion de l’État ; or leur politique va dans le sens inverse de cette règle élémentaire.
Le libéralisme est en opposition fondamentale avec la notion de politique, de collectivité et d’État. « L’unité politique doit exiger, le cas échéant, que l’on sacrifie sa vie. Or, l’individualisme de la pensée libérale ne saurait en aucune manière rejoindre ou justifier cette exigence. » [13]
Le virage idéologique à 180 degrés que veulent faire prendre les dirigeants occidentaux à leurs peuples est trop brusque. On ne transforme pas avec des campagnes publicitaires des peuples de consommateurs en croisés anti-Russes prêts à se sacrifier.
Il y a la contradiction fondamentale du capitalisme, telle qu’expliquée par Marx, à savoir « la baisse tendancielle du taux de profit » causée par les gains de productivité ; et il y a la contradiction du libéralisme politique : « Pour l’individu en tant que tel, il n’existe pas d’ennemi contre lequel il ait l’obligation de se battre à mort s’il n’y consent de lui-même ; le forcer à se battre contre son gré est en tout cas, vu dans la perspective de l’individu, une atteinte à la liberté et une violence. Toute l’éloquence passionnée du libéralisme s’élève contre la violence et le manque de liberté. Toute restriction, toute menace de la liberté individuelle en principe illimité, de la propriété privée et de la libre concurrence se nomme violence et est de ce fait un mal. Aux yeux de ce libéralisme, seul reste valable, dans l’État et en politique, ce qui concourt uniquement à assurer les conditions de la liberté et à supprimer ce qui la gêne. On aboutira ainsi de la sorte à tout un système de concepts démilitarisés et dépolitisés… » [14]
Et c’est ce système là qui exige des Européens de sacrifier leurs entreprises, leurs emplois, leur confort, leurs enfants pour « défendre la liberté » de Zelinsky, pour combattre la Russie, pour sauver la planète du réchauffement, etc., etc.
Le capitalisme et le libéralisme doivent, pour perdurer, dépasser leurs contradictions internes en se transformant. Le système capitaliste financier transnational et libre-échangiste a atteint ses limites. Pour augmenter son taux de profit, il est allé chercher sa main d’œuvre bon marché dans des pays plus pauvres ; ce faisant, il a fermé les usines et détruit la classe ouvrière occidentale, puis la classe moyenne, et a donc réduit leur pouvoir d’achat. Les produits à bas coût venus d’Asie trouvent de moins en moins d’acheteurs chez les Occidentaux appauvris par cette politique de délocalisation. La suite logique a été les prêts bancaires massifs, notamment aux États-Unis, pour maintenir à flot la consommation de gens qui vivaient au-dessus de leurs moyens avec de l’argent qui n’existait pas. Cela a conduit à la crise des subprimes. Le capitalisme est retombé dans sa contradiction initiale.
La transformation nouvelle du capitalisme occidental vise à réduire purement et simplement une partie de la population appauvrie et en révolte ; c’est ce que j’appelle la société de consumation, qui remplace celle de la consommation.
Dans le cas du libéralisme, ce que l’on observe aujourd’hui, c’est qu’il devient le contraire de ce qu’il prétend être, il devient ce qu’il prétend combattre : un totalitarisme.
Le covidisme a été le grand moment de la transformation de la société libérale, ou plutôt du dévoilement de ce qu’elle était devenue. L’oligarchie occidentale a acté, dans ses discours et sa politique, la fin de la liberté individuelle, de la société de production et de consommation. On prépare les peuples à faire face à une guerre mondiale, avec tout ce qu’elle implique. Et dans ce contexte, les principes du libéralisme n’ont plus d’utilité, ils sont un frein pour l’oligarchie au pouvoir.
Les contradictions des sociétés capitalistes libérales d’Occident sont d’autant plus insoutenables qu’elles apparaissent au grand jour. La désignation simultanée d’ennemis intérieurs – les peuples européens – et extérieur – la Russie – par l’oligarchie occidentale gérontocratique, ne pourra conduire qu’à une alliance objective de ces deux ennemis communs.
La pression sera telle que les gouvernements européens feront face à deux issues possibles : une redirection de leur politique vers un apaisement – fin des sanctions, de l’agressivité contre la Russie et relance économique – ou bien un choc frontal d’une violence telle qu’il fera chuter les pouvoirs politiques. À moins d’une guerre mondiale nucléaire…