Trump avait promis à l’AIPAC en mars 2016 : « Nous déplacerons l’ambassade américaine dans la capitale éternelle du peuple juif, Jérusalem. » En tenant cette promesse, il a apporté un précieux soutien à Nétanyahou, dont la popularité en Israël est entièrement basée sur sa capacité à manipuler les États-Unis. Nétanyahou lui fit alors ce compliment :
« Nous nous en souviendrons comme nous nous souvenons de la déclaration de Cyrus, il y a 2500 ans, quand il a dit aux exilés de Babylone : “Vous pouvez retourner reconstruire le temple de Jérusalem.” C’est un moment historique et nous nous en souviendrons toujours. »
Cyrus est ce roi perse dont Yahvé a « éveillé l’esprit » pour le convaincre « de lui bâtir un temple à Jérusalem, en Juda », selon le Livre d’Esdras (1,1-2). Un autre roi perse, Artaxerxes, a plus tard confié cette mission à Esdras. Pour son décret, le prophète Isaïe décerne à Cyrus le titre d’ « oint (mashiah) de Yahvé » :
« Ainsi parle Yahvé à son oint, à Cyrus dont j’ai saisi la main droite, pour faire plier devant lui les nations et désarmer les rois. […] C’est à cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu que je t’ai appelé par ton nom. […] Je suis Yahvé, il n’y en a pas d’autre, moi excepté, il n’y a pas de dieu, […] il n’y a personne sauf moi, blablabla » (Isaïe 45,1-5)
Yahvé qui a « éveillé l’esprit de Cyrus » et a « saisi sa main droite » représente, bien entendu, le « Pouvoir juif », mais ce nom-là est sacré et imprononçable sous peine de poursuites judiciaires.
L’enthousiasme biblique de Nétanyahou a trouvé un écho chez Jeanine Pirro qui a déclaré sur Fox News, de sa voix à faire débander Epstein en enfer, « Donald Trump reconnaît l’histoire. Comme le roi Cyrus avant lui, il accomplit la prophétie biblique... »
Bien sûr, le manteau de Cyrus est un peu grand pour Trump : déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem n’est pas exactement comme autoriser la reconstruction du Temple. Mais l’annonce de Trump a stimulé les espoirs messianiques des fous du dieu jaloux. Le Mikdash Educational Center a frappé des médailles avec le portrait de Trump superposé à Cyrus sur une face, et le futur temple sur l’autre (ils ignorent évidemment que leur prétendu « Mont du Temple » abritait en réalité la légion romaine qui a détruit le Temple, comme démontré dans The Coming Temple ).
Ce n’est pas la première fois qu’un chef d’État chrétien est comparé à Cyrus le Grand. C’est arrivé à Harry Truman. Selon une anecdote rapportée ici :
« En novembre 1953, quelques mois seulement après avoir quitté la présidence des États-Unis, Harry S. Truman s’est rendu au Jewish Theological Seminary de New York pour rencontrer un groupe de dignitaires juifs. Il était accompagné de son bon ami Eddie Jacobson […]. Jacobson a présenté son ami aux théologiens réunis : “Voici l’homme qui a aidé à créer l’État d’Israël.” Truman a répliqué : “Comment ça, ‘aidé à créer’ ? Je suis Cyrus. Je suis Cyrus.” »
Craig von Buseck en a fait le titre de son hagiographie de Truman, sous-titrée l’histoire épique d’une prophétie accomplie. En matière de prophétie, notons en passant que Truman a aussi accompli celle annonçant le châtiment des « peuples qui auront combattu contre Jérusalem » (en l’occurrence, le Japon allié des Allemands) :
« il fera tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds, leurs yeux fondront dans leurs orbites, et leur langue fondra dans leur bouche. » (Zacharie 14,12)
D’ailleurs, Nétanyahou mentionna Truman parmi les émules de Cyrus en rencontrant Trump dans le Bureau ovale en mars 2018 :
« Je veux vous dire que le peuple juif a une très longue mémoire. Nous nous souvenons de la proclamation du grand roi Cyrus le Grand, le roi perse d’il y a 2500 ans. Il a proclamé que les exilés juifs à Babylone pouvaient revenir et rebâtir le Temple à Jérusalem. Nous nous souvenons de Lord Balfour, qui il y a cent ans a émis la déclaration Balfour qui reconnaissait le droit du peuple juif sur sa terre ancestrale. Nous nous souvenons du président Harry S. Truman, qui il y a 70 ans fut le premier leader à reconnaître l’État juif. Et nous nous souvenons comment, il y a quelques semaines, le président Donald J. Trump a reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël. Monsieur le Président, cela restera dans la mémoire de notre peuple pour les siècles à venir. »
Alors, Trump restera-t-il dans l’histoire comme un nouveau Cyrus ? Yahvé lui a-t-il vraiment saisi la main droite ? De cette main, il a également signé en mars 2019 un décret reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le Plateau du Golan. Miriam Adelson, épouse de Sheldon, a alors déclaré qu’un « Livre de Trump » devrait avoir un jour sa place dans la Bible à côté du « Livre d’Esther ».
Le Livre d’Esther, dans lequel Dieu n’est jamais mentionné, est l’un des favoris des sionistes. En 2015, Nétanyahou s’y est référé pour dramatiser sa phobie de l’Iran, dans une allocution au Congrès américain programmée à la veille de Pourim. Notons que l’histoire d’Esther suit le même schéma que celle d’Esdras : à travers elle, le Pouvoir juif a « éveillé l’esprit » d’un autre roi perse, Assuérus, en lui saisissant un autre membre, pour protéger les juifs de leurs persécuteurs et pendre ces derniers.
En décembre dernier, Trump est un peu devenu un Assuérus des temps modernes lorsqu’il a signé un décret contre l’antisémitisme et contre le boycott d’Israël dans les campus universitaires. Les universités qui toléreront des manifestations hostiles à Israël seront mises à l’amende.
Ça commence à faire beaucoup. Avec tout ces décrets, Trump a donné beaucoup de gages à Israël, suffisamment pour gagner le droit à un second mandat (depuis un demi-siècle, Israël a réussi à en priver tous les présidents qui lui ont résisté : Kennedy, Nixon, Bush père, Carter). Mais combien de ses partisans a-t-il perdu en chemin ? D’après mes observations, il n’y a plus que la branche la plus nationale-sioniste de l’Alt-Right américaine qui le soutient.
Trump a choisi le chemin de la paix plutôt que celui de la guerre. Il semble parier sur la capacité d’Israël de choisir aussi ce chemin pourvu qu’on lui donne ce qu’elle veut : Jérusalem, le Golan, la promesse que l’Iran n’aura jamais la bombe, le pétrole syrien qu’il garde sous contrôle américain (lire « la main secrète du Lobby israélien dans le vol du pétrole irakien et syrien », traduit de unz.com) et que sais-je encore ?
Jacques Attali nous a dit que le gouvernement mondial, basé à Jérusalem de préférence, arrivera « soit avant la guerre, soit à la place de la guerre ». Avec Trump, y allons-nous à la place de la guerre ?
Je continue de croire que Trump sera le choix le moins pire que pourront faire les Américains en novembre 2020. Il a mis fin à la destruction de la Syrie, a fermé l’usine à terroristes islamistes, a fait échouer le projet néoconservateur de Troisième Guerre mondiale, a restauré de la multipolarité en permettant à la Russie de reprendre la main, a réintégré la Corée du Nord dans le dialogue des nations, et je m’efforce de croire qu’il saura négocier avec l’Iran une sortie de crise prometteuse sur le long terme.
Mais avec ou sans guerre, Israël est et restera toujours le psychopathe des nations, qui veut tout et ne lâche jamais rien. On ne demande pas à Trump d’être Nabuchodonosor, mais on aimerait qu’il fasse moins le Cyrus à l’avenir.