Attention, terrain miné. A chaque fois qu’on parle d’emploi, de rentabilité, de motivation, de sécurité de l’emploi, de flexibilité, de CDI, de stagiaires, de jeunes sur le marché du travail, de syndicats, en France, on entre sur un terrain miné par toutes les forces en présence. En pratique, il est impossible d’évoluer là-dedans sans se faire mitrailler d’un côté ou de l’autre. Le travail, c’est la chasse gardée du patronat et des syndicats, chacun tirant dans son sens, le patronat étant divisé (petits et grands patrons), les syndicats encore plus (avec les partis politiques derrière). Au milieu, le petit Français, se débrouille entre des lois complexes et un libéralisme « simplificateur ». Entre sa volonté d’être protégé et les forces du marché, qui sont sans pitié.
Quand Gérard Longuet, conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, annonce « nous avons des Français qui ont des poils dans la main », il énonce une vérité connue de tous… les employeurs. De l’autre côté, chez les syndicats et les employés, on contre-attaque avec l’avidité des patrons. La réalité est, heureusement, moins binaire. Car si l’image du travailleur français moyen est celle d’un planqué qui cherche à éviter le boulot tout en touchant son chèque, à la fin du mois, cette image ne vient pas de nulle part. D’abord, elle est générée par l’éternel conflit entre le privé et le public : le privé accusant le public de vivre à ses dépens, le public accusant le privé de dévoyer les lois du travail. Chaque chose étant vraie, mais pouvant être dite de manière moins conflictuelle.
Depuis 30 ans que dure la crise économique permanente, les employés français en CDI sentent bien la pression déréglementaire du « marché ». Les expériences de dénationalisation des grands groupes publics offrent un exemple continu de passage d’une économie semi-planifiée, étatique, à une économie livrée aux mains du marché. C’est-à-dire de la concurrence internationale où, comme chacun sait, il n’y a ni foi ni loi. Cette « libéralisation » de l’économie française, initiée par les socialistes en 1983, le fameux tournant vers les marchés, qui sera applaudi par le MEDEF et les banques d’affaires, à l’origine des grandes fusions-acquisitions des années 80-90, montre actuellement ses limites sociales, dangereusement atteintes. Mais le social, les grandes puissances économiques n’en ont rien à faire. C’est le cadet de leur souci, et d’ailleurs, c’est à l’État de gérer les dommages collatéraux. L’État, dans une économie de marché, est devenu l’infirmerie de la guerre économique : il prend en charge les laissés-pour-compte, ceux qui ne peuvent pas suivre, ou qui sont jetés au bord de la route du Profit, qui impose une vitesse de plus en plus rapide, avec de plus en plus d’accident(é)s.
Aujourd’hui, avec un taux de chômage national supérieur à 15% en réalité, c’est-à-dire au niveau italien – sans faire offense à nos voisins –, les Français travaillent plus, gagnent moins, et ont encore plus peur de perdre le peu qu’on leur laisse. L’oligarchie économique symbolisée par la collusion du grand patronat et de ses obligés « politiques » a gagné la guerre économique, c’est l’évidence même, et ses victimes se comptent par millions. Ce n’est pas une image, c’est la réalité : le social, c’est la poubelle de l’économique, pour résumer brutalement. Le social, c’est ce dont l’économie ne veut pas, ne veut plus. Or, la France d’avant le marché fonctionnait sur un pacte authentiquement économico-social, qui permettait au pays d’avancer de manière soudée. Cette soudure entre le haut et le bas, entre l’économique et le social, qui craque de partout actuellement, de manière naturelle ou artificielle. Les jeunes n’entrent pas sur le marché du travail avant 28 ans en moyenne, avec un emploi quelque peu durable. La retraite, elle attendra. Avant cela, changements de caps et chemins de traverses, débrouille et magouilles, solidarité familiale ou nationale, entreront en jeu afin de tenir le coup.
Alors, la petite phrase de Longuet ?
Dans ces conditions de précarité croissante, il est évident que le jeune Français qui débarque en entreprise a une vision tronquée des choses : le patron ne peut être – merci aux clichés de l’extrême gauche, toujours active pour bousiller le pacte social et dessouder les Français entre eux – qu’un salaud d’exploiteur, et le jeune une victime. La motivation, c’est-à-dire le don de soi en entreprise, a été freinée, voire anéantie. Résultat, on le sait, de 40 ans d’une hallucinante campagne de démolition médiatique de la France, de son image, de son passé, et finalement de sa valeur. Comment peut-on alors demander à des jeunes, qui ont été complètement démotivés, de croire soudain en la France, à l’entreprise, au pacte social ? De faire confiance au patron ?
Effectivement, il y a eu, de ce côté-là, non pas un suicide, mais un meurtre français, un meurtre franco-français. Nous ne reviendrons pas sur les responsables de cette option politico-médiatique, dont les Français subissent aujourd’hui les conséquences désastreuses. Les souverainistes ont abondamment commenté cette situation dans leurs livres et colloques. Et plutôt que de s’attacher à dénoncer ou chasser les coupables, on ferait mieux de s’attacher à remonter la pente, en recroyant en la France, en ignorant ceux qui la démolissent, pour retrouver les vertus du travail, c’est-à-dire la part de chacun dans le construction nationale, sans diaboliser le patron, surtout s’il est petit, inoffensif, et qu’il tire dans le même sens.