Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 Jacques Nikonoff explique quels sont, pour lui, les véritables enjeux du TPP.
Le Trans-Pacific Partnership Agreement (TPP, Partenariat transpacifique en français) a été signé le 5 octobre par 12 pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam. Ce n’est pas un simple accord commercial mais, comme l’affirme le Wall Street Journal du 21 octobre, « une pièce centrale du leadership économique mondial des États-Unis ». Plus précisément, cette opération a trois objectifs :
Premier objectif : repositionner les États-Unis en Asie pour contrer l’influence grandissante de la Chine
Les exportations des États-Unis vers les pays signataires représentent 698 milliards de dollars (621 milliards d’euros), soit 44% de toutes les exportations américaines, la région pesant 40% du PIB mondial. Or les États-Unis ont été contestés en Asie par l’influence grandissante de la Chine. Face à une Chine qui affiche sa volonté d’être une puissance régionale et même au-delà, le TPP sert aux États-Unis à rester une puissance du Pacifique, zone où le taux de la croissance économique est le plus fort au monde. C’est aussi la plus vaste zone de dérégulation de la planète.
C’est pourquoi Barack Obama répète : « Si nous n’écrivons pas ces règles économiques dans la région, la Chine le fera ». Des normes supérieures à celles de la Chine qui sera obligée de s’aligner sur ces standards. Sinon c’est elle qui soumettra le commerce mondial à ses normes, beaucoup moins exigeantes. » Le président américain ajoute : « Alors que plus de 95% de nos clients potentiels vivent en dehors de nos frontières, nous ne pouvons pas laisser les pays comme la Chine écrire les règles de l’économie globale. Nous devons écrire ces règles, en ouvrant nos produits américains à de nouveaux marchés et en établissant de hauts standards de protection des employés et de la sécurité environnementale. »
Voilà la raison pour laquelle la Chine n’a pas été invitée au TPP, la stratégie de repositionnement américain en Asie n’était pas compatible.
Deuxième objectif : le Partenariat transpacifique et le Partenariat transatlantique sont les deux mâchoires qui vont se refermer pour imposer les valeurs américaines au commerce mondial
S’il faut faire confiance au Wall Street Journal, c’est bien dans sa mission de défense des intérêts des grandes firmes et banques américaines. Lorsque ce journal affirme que « le TPP, en son cœur, est un effort pour configurer la globalisation selon les standards économiques américains », il faut le croire. Barack Obama le confirme ; pour lui le traité reflète « les valeurs américaines ». Le TPP est ainsi le premier d’une nouvelle génération de traités fixant les normes pour le commerce mondial au bénéfice des États-Unis, reposant sur des bases de développement néolibéral. Il servira de modèle aux autres accords en cours de négociation, et particulièrement au Partenariat transatlantique. Les deux mâchoires se refermeront alors pour la reconquête du leadership mondial américain.
On fera néanmoins remarquer que la mise à niveau du droit du travail que les dirigeants américains veulent imposer aux pays signataires, selon leurs propres standards, est une prétention bien étrange. Les États-Unis sont en effet l’un des rares pays qui ne signe pas les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Sur huit « Conventions fondamentales », les États-Unis n’en ont signé que deux : la Convention n°105 de 1957 sur l’abolition du travail forcé et la Convention n°182 de 1999 sur les pires formes de travail des enfants. Les six autres ne sont pas encore signées : la Convention n°29 de 1930 sur le travail forcé, la Convention n°87 de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, la Convention n°98 de 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective, la Convention n°100 de 1951 sur l’égalité de rémunération, la Convention n°111 de 1958 sur la discrimination (emploi et profession), la Convention n°138 de 1973 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi. Quant aux quatre « Conventions prioritaires », les États-Unis n’en ont signé qu’une seule : la Convention n°144 de 1976 sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail. Les trois autres ne sont toujours pas signées : la Convention n°81 de 1947 sur l’inspection du travail, la Convention n°122 de 1964 sur la politique de l’emploi, la Convention n°129 de 1969 sur l’inspection du travail dans l’agriculture.
Par ailleurs, il est parfaitement contradictoire, et même indécent, de revendiquer la construction d’un ordre juridique mondial et d’utiliser le secret comme le font les dirigeants américains.
Troisième objectif : organiser un gigantesque transfert de souveraineté des États vers les firmes multinationales occidentales
Selon beaucoup d’experts, les gains en termes de croissance économique et d’emplois devraient être minimes. C’est surtout sur les normes dans les domaines de l’environnement, de la finance, du droit du travail, de la propriété intellectuelle, d’Internet, des règles sanitaires… que les États-Unis mettent l’accent pour accroître le pouvoir des firmes multinationales. Le Wall Street Journal n’hésite pas à dire que « malgré les limites à la souveraineté qu’il organise, le soutien politique au traité est fort, à l’exception des États-Unis ». Il ajoute « c’est pourquoi la signification du TPP n’est pas à rechercher dans son impact économique – modeste pour la plupart des signataires – mais dans la manière dont il réduit la souveraineté de ses membres ». Tel est bien le vrai problème, car ce qui est remis en cause c’est la capacité des États à légiférer et à réglementer. Le TPP vise à transférer du pouvoir aux multinationales en affaiblissant la souveraineté des États. La tendance est même une substitution de souveraineté : ce sont les grandes firmes multinationales qui imposeront leurs règles à la place des États, ce sont elles qui feront la loi dans un grand nombre de secteurs.
C’est le cas pour Internet dont les principes de base sont remis en cause. Sa privatisation et celle des technologies de l’information et de la communication sera accélérée ; les règles en matière de droits numériques seront alignées sur les normes américaines ; la surveillance de masse sera généralisée à un point inouï. Il y aura criminalisation dès lors qu’un « système d’ordinateurs » révèlera les méfaits des entreprises multinationales, pouvant entraîner des poursuites contre les « lanceurs d’alertes ». Les journalistes seront empêchés de mener des enquêtes sur ces entreprises. Il suffira qu’un gouvernement allègue qu’une infraction a eu lieu, pour qu’il puisse saisir les ordinateurs et les équipements incriminés sans passer par la justice. Les fournisseurs d’accès ou de services pourraient se voir demander de surveiller les activités des utilisateurs, de supprimer certains contenus sur la Toile dès qu’ils reçoivent une plainte d’un utilisateur, avant même que la justice ne soit saisie.
Autre cas : il sera Interdit d’exclure les produits financiers risqués, de limiter les contrôles de capitaux, de taxer les opérations spéculatives…
Ensuite, le transfert de souveraineté des États vers les firmes multinationales s’effectuera par les tribunaux privés d’arbitrage : Investor-State Dispute Settlement (ISDS). Rappelons que cette « justice » privée permet aux firmes multinationales, devenant juge et partie, d’attaquer les États qui ne capituleraient pas devant elles. Par exemple imposer par la loi de mettre sur les paquets de cigarette une mention du type « Fumer tue ».
Les firmes multinationales occidentales sont aux abois. Concurrencées par des firmes issues des pays émergents dans de nombreux secteurs, elles sont aussi menacées par la Chine qui, de son côté, démondialise. En effet son rôle d’usine du monde semble avoir atteint un plafond. Le commerce d’assemblage, qui consiste à importer des pièces pour les monter et les exporter ralentit depuis 2008, expliquant la diminution générale de la croissance économique chinoise. C’est la fabrication et l’utilisation de pièces fabriquées localement pour la réalisation de produits destinés au marché intérieur qui est désormais prioritaire. Du coup, la réorganisation planétaire des chaînes de valeur des firmes multinationales, qui avaient marqué la mondialisation jusqu’à présent, se trouve entravée.
Il n’est pas certain que ce traité soit ratifié par les États-Unis tant la contestation y est forte.
Le revirement d’Hillary Clinton, candidate démocrate à la Maison-Blanche, est significatif. Elle est désormais contre ce traité alors qu’elle le soutenait avec fougue jusqu’à présent. Une fraction importante du parti démocrate y est également opposée car elle craint une nouvelle vague de délocalisations. Les syndicats américains font en effet remarquer que les pays signataires du NAFTA (North Atlantic Free Trade Agreement), tous signataires du TPP, ont vu se multiplier les délocalisations. L’AFL-CIO affirme que plus de 700 000 emplois ont ainsi été détruits aux États-Unis. Quant à Bernie Sanders, candidat socialiste à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine, il déclare : « Wall Street et les grandes entreprises l’ont une nouvelle fois emporté. Il est temps pour nous d’empêcher les grosses multinationales de truquer le système pour accroître leurs bénéfices à nos dépens. » Il a trouvé un soutien inattendu dans le constructeur automobile Ford qui « recommande au congrès de ne pas approuver le TPP dans sa forme actuelle, afin d’assurer la compétitivité future de l’industrie américaine »…